Coup de coeur

De la nécessité de lire Tahar Haddad aujourd’hui – Hyacinthe

De la nécessité de lire Tahar Haddad aujourd’hui

Les jeudis d’Hyacinthe

Poésie, vie à l’infini

Plus on vit dans un pays, moins on néglige les noms que portent ses rues, écoles, lycées, maisons de la culture et autres établissements d’État. Il en va ainsi de la Tunisie, avec Habib Bourguiba, Farhat Hached, Mohamed Ali Hammi, Abou El Kacem Chebbi, Tahar Haddad et désormais Chokri Belaïd. En s’y attardant, on se rend compte d’un certain nombre de points communs entre les nations, d’Orient et d’Occident, les peuples, du nord et du sud : l’Humanité est partout pareille, inégale, capricieuse, pleutre même, mais courageuse, reconnaissante et surtout amoureuse de ceux qui ne ménagent pas leur peine pour elle.

Militant engagé

Ces mots ne sont pas des généralités. Ils nous ont été inspirés par ceux de Laroussi Amri au sujet de Tahar Haddad : « L’idée qui surgit dès que l’on prononce le nom de Haddad est celle d’un intellectuel organique, car il fut un militant engagé dans le mouvement national, le “Destour”, mais aussi un organisateur de la classe ouvrière pour avoir participé activement à la fondation du syndicat ouvrier (CGTT) en 1924, un réformateur social au service de la féminine, un leader aux idées progressistes, le tout porté par des convictions gravitant autour des valeurs universelles de justice, de liberté et d’égalité. »

Voilà qui est magistralement dit. Ces mots, donc, datent du mois d’août 2019 et le livre, quant à lui, a paru un mois plus tard : Tahar Haddad, recueil de textes introduits par Laroussi Amri, publié à Genève, dans la collection « Pensées d’hier pour demain », série Afrique/ Caraïbes, Cetim (Centre Europe Tiers-Monde).

Représenter la Tunisie

Après Patrice Lumumba, Franz Fanon, Mehdi Ben Barka, Amilcar Cabral, Thomas Sankara, Julius Nyerere, Jospeh Ki-Zebro, Kwame Nkrumah, Ruben Um Nyobè, Gamal Abdel Nasser, Tahar Haddad vient représenter la Tunisie. C’est à vrai dire un excellent choix, tant l’auteur des Travailleurs tunisiens et l’émergence du mouvement syndical (1927) et Notre femme dans la charia et la société (1930) semble peser chaque jour plus, du fait de l’évolution de l’Histoire aussi bien en Tunisie et dans le Monde arabe. Ce poids, permettez-nous de nous y attarder, est celui des promesses et des échecs de tout un peuple, de toute une politique et d’une Révolution, celle de 2011, qui a permis aux islamistes d’accéder au pouvoir et de vouloir réviser les acquis de la Tunisie bourguibienne, celle qui se targuait des droits fondamentaux, à commencer par le Code du statut personnel du 13 août 1956, qui est, rappelons-le, largement inspiré de la pensée de Tahar Haddad.

Tahar Haddad

Recueil Tahar Haddad

Cet ouvrage, Tahar Haddad, recueil de textes introduits par Laroussi Amri, est l’occasion, pour les Tunisiens comme pour tous les autres lecteurs arabes ou autres soucieux d’en savoir plus sur le statut de la femme en islam et dans la société moderne, offre textes, contextes et analyses on ne peut plus pertinents. Ainsi, dans sa préface, le Professeur Laroussi Amri, sociologue chevronné et lui-même militant de gauche qui a connu les geôles du régime tunisien dans les années 70, puis de la censure et jusqu’ à une forme d’exil forcé, avec une rigueur des plus méthodiques, nous brosse le portrait de Tahar Haddad avec la maestria d’un Tocqueville et d’un Balzac réunis. Tout est passé au crible : la vie et l’œuvre de l’auteur de Notre femme dans la charia et la société, avec à chaque fois des titres, des sous-titres et des parties aussi éloquents qu’exhaustifs. De fait, les deux grandes parties annoncées : 1. Émergence du mouvement syndical tunisien ; 2. Haddad et l’égalité entre les sexes sont précédés par une brève notice bibliographique et une brillante introduction intitulée : « Tahar Haddad et son époque : enjeux socio-historiques et engagements culturels et politiques », et suivis par une rubrique baptisée « Pour en savoir plus », qui sert de bibliographie.

Voix de la sagesse

Aussi après cette lecture alléchante, le lecteur pourra-t-il chercher à approfondir ses connaissances. C’est la voix de la sagesse qui a nom, ici, recherche. C’est cette Tunisie-là, ouverte, rigoureuse, humaine et engagée, que nous retrouvons avec Laroussi Amri. Et c’est ce que Haddad écrit lui-même à propos de « l’enseignement féminin » : L’enseignement ne peut engendrer des résultats néfastes si nous nous penchons avec un vif intérêt sur l’éducation morale qui est à la base de tout. »

Le recueil regorge de perles du même genre. À lire, à analyser et à développer. Il est temps de lire et de donner à lire Tahar Haddad. C’est une nécessité d’ordre vital. Inutile d’en dire plus. Écoutons la voix de Tahar Haddad et suivons la voie qu’il a tracée il y a bientôt un siècle : « Je pense que la religion musulmane dans son esprit ne fait pas d’objection à la réalisation de l’égalité dans tous les domaines, une fois disparues les causes de la tutelle masculine. »

 

Laroussi Amri

Laroussi Amri

 

Tahar Haddad, recueil de textes introduits par Laroussi Amri, Genève, Collection « Pensées d’hier pour demain », série Afrique/ Caraïbes, Cetim (Centre Europe Tiers-Monde), 96 pages, ISBN : 978-2-88053-134-8., 11 CHF, 8,50 €, 10 dinars tunisiens.

Hyacinthe

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