Critique

Michel Surya, Maurice Blanchot

Michel Surya, Maurice Blanchot et les autres

Le problème français : cette passion infranchissable

Les jeudis d’Hyacinthe

Était-ce Sainte-Beuve ou un autre critique qui avait, en 1862, au moment de la parution de Salammbô, écrit à propos de Flaubert : « Il fallait qu’il récidivât » ?

Quoi qu’il en soit, notre récidive est d’autant plus légitime que les attaques de nos ennemis déclarés ne sont, in fine, qu’à l’image des différents maux qui accablent les lettres, le prétendu monde des idées et, cela va de soi, celui de l’édition en France, car celle-ci, tout entière, couve tout cela, comme on parle d’une maladie, dans l’insuffisance, la bêtise et l’arrogance maladive. Exagérons-nous, non, aucunement, d’autant plus que ce nouveau dom Calmet qu’est Alain Jugnon se permet d’écrire à propos de notre dernier texte critique : « c’est le style franchouillard de merde des intellectuels fascistes du Figaro et d’Éléments [sic] ».

Bon, admettons que nous soyons un tantinet franchouillards, mais, en bonnes personnes appartenant au peuple de gauche, nous aimons aussi bien la bonne chère que les fragrances les mieux distillées. C’est un fait et souvent une revendication. Quant aux deux publications susmentionnées, nous sommes sûrs que ce dom Calmet de l’an 21 après deux mille, n’en parle comme par ouï-dire, comme l’ancien des vampires, chacun, en son temps, ayant ses visions, qui ont nom bêtise, folie, superstitions et surtout insuffisances.

Bref, nous ne cherchons pas à voler dans les plumes des médiocres qui se croient sortis de la cuisse de Jupiter ou, plus ridicule encore, qui vivent masqués comme Minerve sorti casquée de la tête de son père. Nous sommes plus modestes et de loin plus brillants car nous savons de quoi nous parlons contrairement à ces gens-là qui, monsieur, pardon ! Mesdames, mesdemoiselles et messieurs, trichent !

Somme toute, après Georges Bataille, dont messire Michel Surya a fait un gagne-pain, c’est désormais Maurice Blanchot qui fait office de poule aux œufs d’or. Or, est-ce de l’or ou des visions, qui plus est hallucinatoires, encore elles, que le déserteur prend pour ce qu’elles ne sont pas. Oui, et À plus forte raison Maurice Blanchot, 1940-1944, suivi de deux lettres de Jean-Luc Nancy, n’en est que la plus misérable illustration. Nous allons de nouveau être sévères, signe qui va désormais et à jamais nous caractériser. Et pourquoi pas ! L’intransigeance est une qualité, notamment avec les faux qui, de toutes parts, s’attribuent les titres les plus glorieux et par là même augmentent, encore et toujours, les malheurs du monde.

Ainsi, une question légitime nous semble s’imposer concernant ce livre, paru le 15 septembre dernier, dans la collection « Le Bel Aujourd’hui », aux éditions Hermann, à Paris, dirigée par Danielle Cohen-Levinas. Cette question est à peu près posée par le regretté Jean-Luc Nancy, décédé le 23 août 2021 : « Il nous est facile aujourd’hui de prendre des distances, même s’il est nécessaire de le faire. Si j’avais eu 37 ans et non 4 en 1944 qu’est-ce qui m’aurait orienté, aimanté ?… [sic] ». (p. 60)

Pourtant, faut-il vraiment de distance, quand, comme on le suppose, dit, déclare et bien sûr défend mordicus, des millions de personnes sont mortes ? Pourquoi le fascisme ou le nazisme, si léger soit-il (mais comment en peser le poids ?), est-il acceptable, défendable ou acceptable chez certains, et pas chez d’autres ? Le style excuse-t-il tout ? Si oui, pourquoi ni Surya ni Blanchot ni Nancy ne se soucient guère de Céline, Brasillach et les autres ? L’histoire littéraire française, quand bien même serait-elle de gauche ou de droite, est-elle aveugle à ce point pour baisser les armes devant la fragile équation du deux poids, deux mesures ?

Il faut croire que oui, car ni Bataille ni Blanchot ne sont littéralement supérieurs à Sartre et à Camus. Le problème français est dans cette passion infranchissable – mais est-elle vraiment « énigme des sommets » ? – à l’égard des faux-semblants, des faux-fuyants et de tout ce qui est faux, car, malheureusement et justement, tout ce qui brille n’est pas de l’or, et la lecture d’À plus forte raison Maurice Blanchot, 1940-1944, de Michel Surya, en est la preuve la plus flagrante.

Tant de choses sont à redire au sujet de ces quelques feuillets, qui font faussement soixante-dix pages et qu’on nous fait payer quatorze et cinquante centimes d’euros, mais celle-ci est la plus rédhibitoire au sens fort du terme, dans cette prose truculente qui caractérise Michel Surya, l’évocation de la rupture de Blanchot avec Fata Morgana, en 1996. Sans doute faut-il citer tout le texte de Surya et avec lui celui de Blanchot, paru dans La Quinzaine littéraire de Maurice Nadeau et réédité dans Maurice Blanchot, La Condition critique, articles 1945-1998 (Gallimard, 2010). Mais ce qui est révoltant dans ce qu’écrit Michel Surya, c’est d’une part le fait qu’il ne daigne pas nommer Bruno Roy, décédé le 15 septembre dernier, comme si le nommer serait invoquer le diable ; ni qu’il ne cite ou interpelle un texte fondamental de Maurice Blanchot, L’instant de ma mort, lequel serait capable, ne serait-ce que mensongèrement, de dédouaner ce Blanchot-là, justement celui des années 1940-1944.

L’affaire est là, oui, toute l’affaire, à suivre…

Michel Surya, Maurice Blanchot et les autres

 

Michel Surya, À plus forte raison Maurice Blanchot, 1940-1944, suivi de deux lettres de Jean-Luc Nancy, Paris, Hermann, coll. « Le Bel Aujourd’hui, 72 pages, 14,50 €. ISBN : 9791037008657.

Hyacinthe 

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