Gérard Lemaire, poèmes pour la Palestine
Gérard Lemaire, la poésie pour dénoncer la guerre
7 octobre 2002
Sur la bande de Gaza
Dans le camp de réfugiés de Khan Younis
Des missiles tirés par les hélicoptères
israéliens
Ont fait quatorze tués et cent blessés
Chaque semaine des grappes de tués et de
morts-vivants
Disparaissent dans les statistiques de
la guerre non-déclarée
Du simple maintien de l’ordre
Des hommes plus hauts dans leurs appareils
Appuient sur des boutons et poussent
quelques manettes
Ce sont à la fois les plus inimaginables et
les plus ordinaires des meurtriers
Honte extrême de l’Humanité
D’ailleurs à l’abri dans nos murs
Ces soudards massacrent l’Homme
Ils injurient ses biens les plus sacrés
Ce sont les exterminateurs dévoués à toutes fins
Mais leurs armes de hautes technologies les
plus sophistiquées
Restent identiques à la massue de pierre
Seulement plus lâches
Seulement beaucoup plus efficaces
Gérard Lemaire 2002
Ils massacrent
Les mains jointes
Ils crèvent des yeux
Mais à genoux
Leurs chars écrasent
Leurs avions pilonnent
Mais ils prient
Chaque matin
Ils prient
Pour leur santé
Et leur joie mentale
Et une place
Au paradis
La mieux située
Gérard Lemaire 2003
Nuits en suites
Pourquoi ont-ils tant tué
Encore aujourd’hui même
Eux les hommes les fils
Du plus épouvantable crime de l’Histoire
Ils n’ont rien appris alors
Je ne sais comment le croire
Leurs gestes assassins de cette heure
Incendient toute l’Humanité
Cette nudité d’une telle violence
Aucun esprit ne peut la regarder
Naplouse Tulkarem Ramallah Djénine
Ces lieux martyrs m’écorchent la tête
Voilà l’Humanité toute plus détruite
Ne reste que ce ventre d’enfant
Gérard Lemaire 2001
Révélation au-delà de l’Horreur
Palestine !
Qui te connaissait
De cette terre volée à un peuple assassiné
Nous avons été trompés
Il existait des bourreaux dans les Victimes !
Mais où se dissimule l’horreur
Immensément toujours inimaginable…
Ils ont rasé les plus pauvres maisons
Ils ont arraché les derniers champs d’oliviers
Et ce n’était jamais fini
Que détruisaient-ils encore
Était-ce leurs propres faces ?
Le monde était tellement misérable
Tous les massacres devenaient possibles
Le monde regardait
Le monde regardait !
Palestine ! Palestine !
Malheur à l’humanité
Tu existes
Ô peuple de martyrs
Même les blessés
Devaient saigner et mourir !
Gérard Lemaire 2002
Le flambeau
À Djenine
Les habitants réfugiés
Avaient oublié d’adopter le mode de vie
américain
N’était-ce pas de malheureux inadaptés
Pourquoi n’imploraient-ils pas la destruction
de leurs étroites venelles
de leurs taudis bâtis à la hâte
Les missiles eux sortaient flambant des meilleures
usines américaines
Pour l’heure les plus performantes du monde
C’était des œuvres d’art ces obus-là
Estampillés par le flambeau de la liberté
de Bartoldi
C’était la délivrance pour les misérables
réfugiés de Djenine
Les survivants pourraient respirer bientôt
Sur des avenues aérées
L’armée israélienne donnait quelque chose
comme la civilisation
À ces pauvres rustres abandonnés de tous
La civilisation des costauds
Et des fluides hyper-aérodynamiques
Dans les tranchées à ciel ouvert
Djenine au fond n’était qu’un champ d’expériences
scientifiquement contrôlées…
Gérard Lemaire 2002
Djenine
Camp ou ville de réfugiés
L’armée israélienne est passée
Pans de murs et ruines
Les maisons debout ont l’air étrangères
Comment parler des morts
Les Résistants
Ceux qui ne voulaient pas
Pluies de missiles
Sur le camp ou la ville de réfugiés
Que s’entassent les morts
Les civils deviennent vite des Résistants
Israël et sa puissance de feu sur Djenine
Camp ou ville de Palestine
Les tankistes n’ont pas à régler les tirs
Israël du Talmud et de la Thora
Et de sa puissance de feu
Jette la destruction sur les réfugiés
Les Résistants et les civils confondus
Djenine !
Un appel sans fond
Djenine !
Quel voile encore tombé
La puissance de feu sur la tache blanche
des réfugiés
Des corps immolés dans les décombres
Djenine !
La foi des Résistants
Le seul haut sacrifice
Dans le camp ou la ville des réfugiés
Sous l’indifférence et la morgue du monde
Djenine l’ensevelie !
Gérard Lemaire 2002
RAFAH (Gaza), 2002.
L’enfant du silence qui meurt sous les balles
Parlera jusqu’au bout des âges
Le voilà frappant à toutes les portes
Avec cette voix qui va transperçant les plus arides sommets
Il ne devait surtout pas tomber lui
Dans cette poussière sans nom de toute la terre
Les soldats ont tiré sur la silhouette sacrée
Dans ce mouvement de l’habitude sans contrainte
Ce n’est pas des soldats mais les plus impardonnables assassins
On ne tire pas sur les pierres avec un cœur de pierre
Et des balles d’armes automatiques
Qui sait si les enfants n’aiment pas la
justice et la liberté
Plus que les hommes
Gérard Lemaire 2002
Ce peuple écrasé
Ce peuple décimé
Parle au poète
Ô palestinien
Ô Frère sans prière
Dans la pureté de ton sang
Tu délies ma langue
Par toi je trouve
Je saisis le sceau
Qui ouvre l’autre saison
Cette simple paix
Coule dans tes veines
Tu es source du souffle
Le malheur rend vivant
Gérard Lemaire 2003
L’enfant mort de la trêve
Cet homme qui porte son enfant mort dans
ses bras
Un enfant tué par une soldatesque trop
nerveuse sans doute
La balle est partie toute seule
Il ne s’est rien passé de plus
Ces jambes d’enfant pendantes
Ne vont pas émouvoir les généraux ni les foules
Pour les foules elles ont autre chose à faire
Les journaux sont luxe mais cela n’indigne
personne
Depuis l’origine des âges
Cet homme portant son enfant dit catégoriquement
Des constats que nul ne voudrait entendre
Que nul ne voudrait croire
Gérard Lemaire 2003
Gérard Lemaire (1942-2016), né à Saint Quentin en France dans une famille modeste, se définissait comme poète, poète prolétarien. O.S. tout poste rebelle, il a voyagé avec 3 sous en poche (Israël, Amérique latine, Canada, Maghreb) ; il s’est inscrit au PCF (1966-1969). Il a commencé à publier de la poésie en 1972 et n’a plus cessé : des volumes de poésie, des poèmes dans des revues (200 d’entre elles), des textes, non publiés, « Journal d’un chômeur » chez Fédérop en 1976, un mémoire sur Panaït Istrati en 1983. Le fil directeur de son œuvre : l’injustice sociale ; il croyait à l’importance de la poésie pour dire et dénoncer les choses et même les changer mais il savait qu’elle n’était pas écoutée.
Poésie