Mélodie – Gérard de Nerval
Mercredi en poésie avec Gérard de Nerval
Mélodie
Quand le plaisir brille en tes yeux
Pleins de douceur et d’espérance,
Quand le charme de l’existence
Embellit tes traits gracieux, —
Bien souvent alors je soupire
En songeant que l’amer chagrin,
Aujourd’hui loin de toi, peut t’atteindre demain,
Et de ta bouche aimable effacer le sourire ;
Car le Temps, tu le sais, entraîne sur ses pas
Les illusions dissipées,
Et les yeux refroidis, et les amis ingrats,
Et les espérances trompées !
Mais crois-moi, mon amour ! tous ces charmes naissants
Que je contemple avec ivresse
S’ils s’évanouissaient sous mes bras caressants,
Tu conserverais ma tendresse !
Si tes attraits étaient flétris,
Si tu perdais ton doux sourire,
La grâce de tes traits chéris
Et tout ce qu’en toi l’on admire,
Va, mon cœur n’est pas incertain :
De sa sincérité tu pourrais tout attendre.
Et mon amour, vainqueur du Temps et du Destin,
S’enlacerait à toi, plus ardent et plus tendre !
Oui, si tous tes attraits te quittaient aujourd’hui,
J’en gémirais pour toi ; mais en ce cœur fidèle
Je trouverais peut-être une douceur nouvelle,
Et, lorsque loin de toi les amants auraient fui,
Chassant la jalousie en tourments si féconde,
Une plus vive ardeur me viendrait animer.
« Elle est donc à moi seul, dirais-je, puisqu’au monde
Il ne reste que moi qui puisse encore l’aimer ! »
Mais qu’ose-je prévoir ? Tandis que la jeunesse
T’entoure d’un éclat, hélas ! bien passager
Tu ne peux te fier à toute la tendresse
D’un cœur en qui le temps ne pourra rien changer.
Tu le connaîtras mieux : s’accroissant d’âge en âge,
L’amour constant ressemble à la fleur du soleil,
Qui rend à son déclin, le soir, le même hommage
Dont elle a, le matin, salué son réveil !
Gérard de Nerval (1808 – 1855)
Tableau de couverture : Julia Borg, peintre maltaise