Monia Boulila ou le chant qui s’ouvre – Hyacinthe
Monia Boulila ou le chant qui s’ouvre
Les jeudis d’Hyacinthe
J’ai lu et relu Ressac de lumière, de la très chère Monia Boulila, amie, camarade et compagne de route. Un texte, voire plusieurs se sont écrits en moi. La voix de la poète m’est d’autant plus familière que je ne lui ai pas permis de m’ensorceler, de me détourner de ma vocation principale de lecteur, donc de critique.
Reconnaître la voix de la poète
Cela va de soi, en feuilletant les pages du recueil, et avant d’entrer dans le vif du sujet, j’ai nourri quelques appréhensions : des nœuds au ventre et une peur réelle de ne pas retrouver la poète que je connais, dont j’ai lu des textes en arabe et en français, ainsi que des traductions de l’arabe vers le français et vice-versa. C’est que ne pas reconnaître signifierait que quelque chose ne va pas bien, aussi bien dans le recueil tel qu’il est conçu, que dans ma propre vision et lecture des choses. Heureusement, il n’en était rien, car dès le poème liminaire, intitulé « Perles », dédié à « Sousou », la sœur disparue, c’est bel et bien la voix de Monia Boulila que j’ai reconnue :
La douleur me coupe en morceaux
N’est sauvé qu’un seul sanglot.
Ni mots ni écrits
Ni larmes, ni cris
Ne peuvent retracer
Les contours d’une vie
Autour de sa tombe s’élève sa voix
Puis tombe en perles d’un joyau
Et moi je me laisse emporter par l’écho…
Voilà, le ton est donné : Ressac de lumière est placé sous le signe du deuil, mais pas seulement : il est écrit envers et contre l’affliction dans le but de se reconstruire, de vivre, de semer la vie et de faire aimer la vie. Cela, nous le retrouvons à travers l’agencement du recueil qui, de « J’invente la vie ! » à « J’ose la vie ! », en passant par « Je multiplie la vie ! » et « Je scintille la vie ! », dessine une série de portraits en toile de fond comme pour que le titre, Ressac de lumière, qu’on ne cesse de répéter dans la joie jubilatoire de la vie, joue son rôle de catalyseur : le poème éponyme (p. 14-15) chante la « berbérité » de cette voix féminine qui déclare à la fin : « Je ne vieillis point ».
Le chant qui s’ouvre
Point de point final à ce poème, « Ressac de lumière », car c’est le chant qui s’ouvre avec cette déclaration aussi téméraire que solennelle : « Lumière je suis/ J’invente la vie ! »
N’est-ce pas l’apanage de Monia Boulila, de ses sœurs, amies et camarades qui, de janvier 2011 à nos jours, luttent pour que la voix de la femme tunisienne soit chant ? Engagée, oui, la poétesse l’est, mais d’une façon originale, singulière, inédite, comme dans ce poème, intitulé « Sans visa », où elle décline autrement son rapport à l’autre, au monde, à la langue de l’autre, qui est la sienne :
J’entre chez vous
Par le verbe, par les rimes
Avec un souffle inédit
Avec la permission des cœurs
J’entre partager
Un moment de bonheur
J’entre chez vous jour et nuit
Par les rayons de l’amour
Par les ailes de la poésie
Par la porte de la francophonie
J’entre chez vous
Et que la paix devienne l’unique vœu
Et que le mot éteigne le feu
Et que les doigts s’ouvrent comme des roses
J’entre chez vous
Par le ciel, par la terre, par la mer
Qu’importe le chemin.
Au-delà de toute frontière
J’entre chez vous
Fêter la paix
Et célébrer l’amour et l’amitié.
N’est-ce pas à apprendre par cœur ? Oui, pensons-nous ! Et cela nous permet de savoir où nous nous trouvons, du moins le site où nous sommes : Souffle inédit.
La langue se conquiert et ne s’hérite pas
Ressac de lumière, paru au premier trimestre 2021, aux Éditions les Poètes français, est préfacé lumineusement par Christine Détrez, sociologue et romancière. Cette préface nous donne certes envie de lire le recueil, mais elle creuse surtout, en nous et en tout lecteur féru de poésie, un mâle sillon, celui qui permettra à Ressac de lumière de jouer son rôle salutaire : « Et de la vie je ne veux qu’un flot de poésie » (p. 20).
Ce qui nous émeut, c’est que Monia Boulila est Tunisienne, trop Tunisienne, mais la voilà, grâce à la poésie, publiée à Paris, au 16 rue Monsieur le Prince, dans le Quartier latin, dans une collection baptisée « Les poètes français ». Nous le soulignons amoureusement parce que nous croyons que la langue se conquiert et ne s’hérite pas. Cette conquête est, dans le cas de Monia Boulila, un véritable sacre car elle est, par la force des choses, un héritage assuré par la féminité, comme elle l’écrit dans ce poème manifeste qu’est « “Femelle” dis-tu ? » :
Révoltée,
Je sors vaincre le silence des tombeaux
Défier la loi du « genre sous le voile »
Ma révolte sera lumière, naissance et aurore. (p. 13)
Ressac de lumière, de Monia Boulila, préface de Christine Détrez, couverture de Jean-Jacques Oppringils, Paris, Éditions les Poètes français, 2021, 60 pages, 12 euros, ISBN : 978-2-84529-319-9.
Tableau de couverture : Jean-Jacques Oppringils
La poétesse
Merci yacinthe pour cette critique qui comme toujours va à l’essentiel et remue les profondeurs . J’ai effectivement retrouvé dans ce recueil cette sensibilité, cette féminité doublées d’un désir ardent de relever tout défi et de mener tous les combats pour dissiper tout obscurantisme et répandre plein de lumière .