En lice pour la Palme d’Or du Festival de Cannes 2025, Die, My Love signe le retour puissant de Lynne Ramsay, cinéaste écossaise rare et précieuse, qui n’a jamais cessé d’explorer les abîmes de l’âme humaine.
« Die, My Love » : la violence intérieure selon Lynne Ramsay
Après Ratcatcher, Morvern Callar, We Need to Talk About Kevin et You Were Never Really Here, Ramsay adapte le roman argentin Crève, mon amour d’Ariana Harwicz, un texte fiévreux et viscéral sur la maternité, la folie latente et le désir de destruction.
Dans une campagne à la fois isolée et oppressante, Jennifer Lawrence joue le rôle d’une femme rongée par la dépression post-partum, en proie à des impulsions violentes et à une lucidité douloureuse. Son mariage, en ruines, est représenté par un Robert Pattinson à contre-emploi, incarnant un mari aimant mais impuissant, dépassé par la souffrance de sa compagne. Cette confrontation conjugale, tendue à l’extrême, est le cœur battant d’un drame psychologique qui explore l’intimité avec une précision redoutable.
Lynne Ramsay imprime une fois de plus sa marque : une mise en scène minimaliste et sensorielle, où chaque silence est lourd de sens, chaque regard un cri contenu. Le film baigne dans une tension sous-jacente, soutenue par une photographie naturaliste et une bande-son sourde, presque organique. La nature devient complice du malaise : loin de proposer une échappatoire, elle renforce l’enfermement mental de la protagoniste, transformant l’espace ouvert en piège à ciel ouvert.
Jennifer Lawrence offre ici l’une de ses performances les plus audacieuses. Décharnée, fébrile, portée par une rage silencieuse, elle incarne une femme en lutte contre elle-même, sans jamais chercher la rédemption ou l’excuse. En face, Pattinson joue un contrepoint avec retenue, confirmant une nouvelle fois sa transformation en acteur audacieux et nuancé.
Depuis ses débuts en 1999 avec Ratcatcher (présenté à Cannes dans la section Un Certain Regard), Lynne Ramsay n’a cessé d’explorer une veine cinématographique unique, à la lisière du poétique et du cruel. Son œuvre, bien que peu prolifique, présente une cohérence rare, s’intéressant aux âmes blessées, aux traumatismes silencieux, aux violences invisibles. Elle avait déjà bouleversé la Croisette avec We Need to Talk About Kevin (2011) et affirmé sa maîtrise avec You Were Never Really Here (Prix du scénario et Prix d’interprétation masculine en 2017). Die, My Love s’inscrit dans cette trajectoire sans compromis.
Avec ce nouveau long métrage, Ramsay pousse encore plus loin son art de l’ellipse et de l’inconfort. Elle filme l’instabilité mentale sans pathos ni voyeurisme, optant pour la suggestion plutôt que l’explication, faisant ressentir plutôt que démontrer. Le thriller psychologique, sous sa direction, devient une matière à sculpter, libérée des conventions hollywoodiennes et ouverte à toutes les ambiguïtés.
En évitant la facilité du spectaculaire, Die, My Love s’impose comme une œuvre rare, dérangeante, profondément humaine. Un film dont on ne sort pas indemne, et qui pourrait bien offrir à Lynne Ramsay la consécration ultime sur la Croisette.