« Toxic » : Beauté sous emprise

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La réalisatrice Saule Bliuvaite

« Toxic : que révèle l’obsession du mannequinat chez deux adolescentes lituaniennes ?

« Toxic : Un premier long-métrage coup de poing de Saule Bliuvaite, en salle le 16 avril 2025

"Toxic" : Beauté sous emprise
©Akis Bado
Les Alchimistes

Dans un paysage cinématographique européen en perpétuelle mutation, la Lituanie fait entendre une voix nouvelle et singulière. Celle de la réalisatrice Saule Bliuvaite, qui signe avec Toxic un premier film d’une puissance visuelle et émotionnelle rare. À découvrir en salles dès le mercredi 16 avril, ce drame social incisif suit le parcours de deux adolescentes happées par le mirage du mannequinat, dans un monde où la beauté normée fait loi.

TOXIC
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Deux adolescentes dans la marge

Marija a 13 ans. Boitillante, livrée à la garde d’une grand-mère taciturne pendant que sa mère s’absente, elle tente de s’intégrer dans une nouvelle école où moqueries et harcèlement sont son quotidien. Kristina, issue d’un milieu tout aussi précaire, fait partie du clan des persécutrices. Son père, désengagé et alcoolique, incarne l’effacement des adultes dans cet univers désenchanté. Peu à peu, une forme de complicité naît entre les deux adolescentes. Ensemble, elles s’inscrivent dans une école de mannequinat, porte de sortie illusoire vers un avenir rêvé.

TOXIC
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Mais derrière les sourires figés et les promesses de glamour se cache une réalité brutale : celle des mensurations scrutées, des corps contraints, du jugement permanent. Le film s’attache aux gestes, aux routines de préparation, à la transformation des corps comme s’il s’agissait d’un rituel sacrificiel. À mesure qu’elles tentent de se conformer aux diktats esthétiques, les jeunes filles s’abîment, physiquement et moralement.

Une mise en scène sobre, des comédiennes lumineuses

Dès la séquence d’ouverture, filmée caméra à l’épaule, Toxic établit un ancrage naturaliste. Puis la mise en scène évolue vers une rigueur formelle marquée : des plans fixes, géométriquement composés, viennent souligner la solitude, l’aliénation et la tension intérieure des personnages. Dans cet écrin visuel épuré, Ieva Rupeikaite (Marija) et Vesta Matulyte (Kristina) brillent par une intensité rare. Leur jeu tout en retenue, presque organique, transcende les mots.

L’école de mannequinat est filmée comme un théâtre du corps : les exercices prennent une dimension chorégraphique, tandis que les visages, les silhouettes et les silences disent autant, sinon plus, que les dialogues. L’univers extérieur, fait de friches, de logements délabrés, de visages burinés par la lassitude, contraste puissamment avec les scènes presque irréelles de cet antre de la beauté standardisée.

Un regard acéré sur l’adolescence et ses injonctions

À travers ce double portrait d’adolescentes en quête d’échappatoire, Toxic interroge la manière dont nos sociétés conditionnent les corps féminins dès le plus jeune âge. Beauté, minceur, performance, regard des autres : l’école de mannequinat devient ici le miroir grossissant d’un monde régi par des normes implacables. Si les figures masculines – absentes, violentes ou maladroites – renforcent ce sentiment d’abandon, le film évite soigneusement le manichéisme.

Et pourtant, Toxic n’est jamais un film à charge. Dans cette noirceur, une lueur d’espoir subsiste : celle de l’amitié entre Marija et Kristina, fil ténu mais salvateur. Leur lien, d’abord conflictuel, évolue vers une alliance silencieuse, qui devient peu à peu une forme de résistance à l’absurdité du monde des adultes.

Un premier film marquant, entre justesse et gravité

Avec Toxic, Saule Bliuvaite signe une œuvre forte et maîtrisée, à la fois portrait social, drame adolescent et réflexion sur le corps comme terrain de lutte. La réalisatrice lituanienne impose d’emblée un regard affûté, sensible, sans concession, et trouve en ses deux interprètes des alliées de poids pour dire la fragilité de l’adolescence face aux normes.

Un premier long-métrage d’une maturité impressionnante, qui s’inscrit dans la lignée des grands récits d’émancipation féminine, tout en inscrivant son propos dans une esthétique sobre, élégante et profondément humaine.

Fiche technique

  • Titre : Toxic
  • Réalisatrice : Saule Bliuvaite
  • Avec : Ieva Rupeikaite, Vesta Matulyte, Giedrius Savickas
  • Pays : Lituanie
  • Genre : Drame
  • Durée : 1h39
  • Distributeur : Les Alchimistes
  • Sortie France : 16 avril 2025
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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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