François Cheng et la nuit cosmique du Cap de la Chèvre

Poésie
Lecture de 6 min

François Cheng et la quête de l’essentiel

Une nuit avec l’infini 

Par Djalila Dechache

« Une nuit au cap de la chèvre » de François Cheng : signe Editions, Albin Michel 2025.

« Une nuit au cap de la chèvre » François Cheng
Il n’est pas nécessaire d’écrire un livre épais pour nous convaincre du cheminement personnel que chacun se doit d’effectuer pour se connaitre et connaitre les autres.
La preuve en est avec ce nouvel opus que signe François Cheng, d’une densité et d’une simplicité incroyables, c’est cela le génie. Cette simplicité apparente est une grâce qu‘il nous offre au gré des pages, on l‘entendrait marcher et dire à voix haute avec son léger accent si doux. Sa méditation sur la vie et sur la mort est toujours présente avec la question qui obsède : que sommes-nous venus faire sur terre ?

« Je prends soudain conscience que nous sommes l’œil ouvert et le cœur battant de cet univers ».

Comme d’habitude François Cheng maîtrise l’art de la concision, il va à l‘essentiel, ne se laisse pas déborder par un paysage ou une pensée furtive, non, tout est pesé, ressenti, écrit, donné à la page.
A la faveur d’une lectrice assidue de son œuvre qui lui offre la possibilité de faire une sorte de retraite, seul, sans personne alentour, le voilà au cap de la Chèvre, au bout d’une Bretagne sauvage livrée aux éléments, au bout de l‘île de Crozon, dans une des rares maisons existantes, seul voisin, l’océan atlantique lui fait face.
Minuit venu, il est réveillé par les violentes vagues qui décident de cogner de toutes leurs forces, il ouvre le volet, remarque la pleine lune, magistrale.
Il prend peur parce qu‘il est seul et se demande si quelqu‘un pourra lui venir en aide si cela va plus loin, si le danger l’envahit.

Peu à peu, son intellect prend le dessus, la frayeur change de visage, devient bercement. Le mouvement des marées c’est quelque chose de cosmique en lien avec la lune se dit-il, il remarque qu’il y a un mouvement de flux et de reflux. C’est la loi de l‘attraction universelle de l‘Univers dont on fait partie et qui nous régit.

Il pense à la lune avec gratitude ! c’est tout François Cheng d’honorer les éléments vitaux qui nous gouvernent, de penser que ce qui se passe tient du miracle.

Qu’il s‘agisse du ciel ou de la terre c’est la même Vie qui s’exprime, qui a engendré les humains c’est -à-dire nous-mêmes.
Devant de tels propos, de telles pensées on s’incline et on suit cet auteur merveilleux dans ses pérégrinations mentales quasiment à haute voix.

Il s’adresse au Cosmos, à la Vie, à lui, et à nous-mêmes, tout ceci formant une ronde céleste. Et il en est encore étonné, encore charmé.
« En cette nuit inattendue, je suis pris par l’urgence de dire ce qu’il y a de spécifique dans le fait d’être un humain. Je suis pris par cette urgence avant qu’il ne soit trop tard... »
Ces propos sont d’une force et d’une vérité impérieuses, nous le savons sauf que nous l’oublions trop facilement.

Poète, philosophe, mystique, calligraphe

François Cheng sait tout faire, sait tout dire, maniant la plume ou le pinceau, le verbe ou l’encre si noire de la page blanche, il nous offre un ballet de volutes verbales et de digressions sur l’infini et la finitude. Nous sommes si peu et nous sommes le tout.Il nous faut vivre en harmonie avec cela, ces deux extrêmes, ces deux pôles.
Il se tient devant cette immensité et la force du Vivant, évoque sa vie, d’où il vient et ce voyage à travers le temps et l’espace, où il a traversé tant de choses.
Un livre difficile à lâcher, parce qu’il se confond avec son auteur, terriblement attachant qui a vaincu tant de choses difficiles.
« Quand la nuit, comme ce soir, est trop épaisse et oppressante, mon corps aux entrailles brisées se fait appareil organique de la transmutation. Il s’empare de l’arc des octaves tendu par l’Être, capte la grande rythmique de fond, saisit la flèche des mots hérités des ancêtres, lâche une incantation où tant de non-dits se révèlent soudain porteurs de sens ».(…). Nos morts nous ont précédés dans le double royaume dont a parlé R.M.Rilke. Si nous savons les accompagner, nombre d’entre eux deviendront nos guides. Là réside la « communion des saints » au sens large.»

Il y a de la mystique chinoise dans cet ouvrage, dans l’être de François Cheng imprimé à jamais, qui rejoint l’Universel.
Du grand art, un grand homme.

« Une nuit au cap de la chèvre » de François Cheng signe Editions, Albin Michel, 80 p, 2025.

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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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