Victor Hugo et Léopoldine

Poésie
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Peinture d’Auguste de Chatillon 1881

L’Art pour mémoire, Victor Hugo et Léopoldine

Par Michel Bénard

Cueillir la lumière de la destinée à l’éclat de la chute d’une étoile… Pour Victor Hugo la chute de cette étoile se profila avant qu’elle ne s’éteignit un quatre septembre, en mille huit cent quarante-trois, lorsque sa fille adorée, Léopoldine, disparut à l’âge de dix-neuf ans avec son mari, Charles Vacquerie, le couple s’étant noyé dans la Seine, à Villequier, lieu de résidence de la famille Vacquerie et du jeune couple, où les Hugo étaient accueillis depuis des années, en totale amitié. Les jours de bonheur y furent, à partir de cette date fatidique, effacés à jamais.

L’Art pour mémoire, Victor Hugo et Léopoldine

Pour Victor Hugo et Adèle Foucher, sa femme, ce fût indéniablement la plus terrible épreuve de leur vie.

Victor Hugo qui était à cette date en voyage en Espagne avec Juliette Drouet, n’apprit le drame que quatre jours plus tard, en lisant par hasard la presse, dans un café de Rochefort sur Mer lors de leur voyage de retour.

Ce fût pour Victor Hugo une douleur lancinante, un coup du sort des plus destructeurs, dont d’ailleurs il ne se remettra jamais. Léopoldine était tout dans la vie de ce père aimant ; leur lien était fusionnel, complice.  Sa mort le frappa comme une déflagration et fut donc un effondrement absolu.

Cette tragédie modifia entièrement le fil de la vie de Victor Hugo dont l’œuvre, à dater de ce jour, prendra une orientation différente et subira une métamorphose profonde. Affligé, médusé, il demeurera un laps de temps assez long sans vraiment travailler à son œuvre : il avait perdu sa raison d’être, l’existence n’avait plus, à ses yeux, de sens, ni de raison.

D’un naturel particulièrement sceptique au regard de l’ésotérisme, mais écoutant son désir d’établir un contact avec Léopoldine, il se laissa convaincre d’interroger les tables par Madame Delphine de Girardin, poétesse et femme de lettres renommée, elle-même adepte des tables tournantes ou parlantes, phénomène de société très en vogue à cette époque, chez les intellectuels et la bourgeoisie.

Il était prêt à toutes formes d’expériences pour, peut-être, recevoir un signe, établir un contact avec sa fille tant aimée. À tout prix la retrouver, même dans l’incertitude et le doute d’un univers informel.

« Oh ! Que de fois j’ai dit : Silence ! Elle a parlé !
Tenez ! Voici le bruit de sa main sur la clé !
Attendez ! Elle vient ! Laissez-moi que j’écoute !
Car elle est quelque part dans la maison sans doute ! »

Il faut oser dire que certaines expériences furent plus ou moins concluantes, voire parfois surprenantes, troublantes même, mais je n’y reviendrai pas, puisque ce sujet fut celui que nous avons abordé l’an passé, ici même.

Ainsi, peu à peu, la force et le mystère de l’écriture reprirent leurs droits, ce qui donna naissance à un ouvrage majeur dans l’œuvre de Victor Hugo – Les contemplations – avec un chapitre plus particulièrement consacré à « l’esprit » de Léopoldine – Pauca Meae – que nous pourrions traduire par – Quelques vers pour ma fille – ou encore – Le peu qui reste de ma fille
« Elle était pâle, et pourtant rose, Petite avec de grands cheveux.
Elle disait souvent : Je n’ose,
Et ne disait jamais : Je veux. »

Comme nous le savons Victor Hugo a toujours côtoyé les artistes peintres, sculpteurs, sorte de cercle privé où il comptait des amis précieux. Rappelons, si besoin en était, que ce dernier avait pris des cours de dessin aux cotés de Louis Boulanger, Paul Huet, Célestin Nanteuil et même Eugène Delacroix. Mais, étant particulièrement bon élève et conscient de son talent très personnel, il trouva sa propre écriture et son style pictural. Toutefois, à ma connaissance, il n’a jamais pris le risque de peindre Léopoldine. Il demeura très discret sur ce point pour ne surtout pas se mettre en avant et passer pour un prétentieux parmi ces grands peintres, ni froisser aucune sensibilité.

Ce seront ses amis peintres qui le feront pour lui ! À bien y réfléchir, c’est une chance, car face à la terrifiante vacuité à laquelle il doit faire face, il lui restera de belles œuvres sacralisant l’image de Léopoldine, véritables icônes face auxquelles il a pu se recueillir.

Une des premières œuvres composées fût – La petite Léopoldine à quatre ans – par Louis Boulanger, en position assise dans un paysage romantique, vêtue d’une robe satinée blanche et mauve, avec un petit ruban rosé sur la robe et un ruban blanc au mollet, porteuse d’un collier simple. Cette œuvre chargée de tendresse, révèle une petite fille vive, éveillée, malicieuse au regard noir et pétillant, souligné de lèvres roses. Œuvre bien touchante qui, sans doute, fit fondre, le papa de cette adorable enfant.

Leopoldine a quatre ans Leopoldine a quatre ans
Léopoldine à quatre ans par Louis Boulanger (1806-1867)

Autre ami de Victor Hugo : l’excellent peintre Auguste de Chatillon qui lui aussi réalisa une œuvre remarquable, sublimant cette fois Léopoldine, déjà jeune fille de pure beauté, porteuse d’une robe rouge à motifs géométriques noirs, fleur rouge au-dessus de l’oreille, regard sombre et profond, caressée par une belle lumière enveloppant son visage, le jour de sa première communion, en 1836, posant face aux enluminures d’un Livre d’Heures. Cette jeune Léopoldine symbolisait le prélude d’une femme qui sera de grande beauté. Ce tableau touche au Nombre d’Or, tant son harmonieux équilibre est remarquable. Victor Hugo était comme subjugué par cette œuvre reflétant le centre de son univers ; il y voyait sa princesse ; mieux même : un miroir dans lequel les anges se miraient. Pour lui, cette œuvre est centrale, en prenant sens d’icône.

À moindre échelle, nous trouvons également quelques photos, dessins et gravures d’Édouard Louis Dubufe, ainsi que quelques portraits de Victor Mottez.

Nous retrouvons également une sculpture allégorique représentant très symboliquement une sphinge, ayant le visage de Léopoldine.

L’Art pour mémoire, Victor Hugo et Léopoldine
Peinture d’Auguste de Chatillon 1881

 

LEOPOLDINE PAR Victor Mottez LEOPOLDINE PAR Victor Mottez
LEOPOLDINE PAR Victor Mottez

Bien évidemment, jamais rien ne pourra compenser le vide abyssal que laissa la disparition de Léopoldine dans le cœur de son père et de toute la famille. Mais ces œuvres permirent à Victor Hugo de retrouver, toutes proportions gardées, un peu de sérénité.

Chez Victor Hugo, la création ne pouvait exister que par le verbe et l’image, inséparables et complémentaires. Toute sa vie, même dans les épreuves les plus dramatiques – hélas, elles ne manqueront pas ! – il en donnera la preuve.

« Le drame tient de la tragédie par la peinture des passions et de la comédie, par la peinture des caractères. Le drame est la troisième grande forme de l’art. » (Victor Hugo)

Michel Bénard
Vice-Président de la Société des Poètes français.
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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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