Sghaier Ouled Ahmed honoré à titre posthume par le Prix Mahmoud Darouiche

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Un poète tunisien pour l’éternité : hommage croisé entre Sghaier Ouled Ahmed et Mahmoud Darouiche

Sghaier Ouled Ahmed, récompensé à titre posthume du premier « Prix Mahmoud Darouiche pour la poésie, les lettres et les arts »

Le 13 juin 2025, une cérémonie sobre et symbolique aura lieu à la librairie Al-Kitab de Tunis pour attribuer à titre posthume le tout premier Prix Mahmoud Darouiche au poète tunisien Sghaier Ouled Ahmed. Ce prix, décerné par la Chaire ICESCO « Ibn Khaldoun pour la Culture et le Patrimoine », honore une œuvre profondément tournée vers l’humanisme, la liberté et la modernité.

Un prix prestigieux en l’honneur de deux figures importantes

Lancé par le Centre des Arts, de la Culture et des Lettres de Ksar Saïd en collaboration avec la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de La Manouba, le Prix Mahmoud Darouiche fait partie d’un réseau international de chaires universitaires liées à l’ICESCO. Pour cette première édition, le jury, composé de trois historiens tunisiens célèbres, Abdelhamid Larguèche, Latifa Lakhdar et Faouzi Mahfoudh, a unanimement salué l’œuvre d’Ouled Ahmed, décrite comme « patriotique et riche en valeurs humanistes ».

La cérémonie, ouverte au public, rassemblera la famille du poète, en particulier sa femme Zouhour et leur fille Kalimet, ainsi que de nombreuses personnalités du monde littéraire. Des lectures croisées des textes de Sghaier Ouled Ahmed et de Mahmoud Darouiche seront présentées, avec la voix et la musique de Aïda Niati, soulignant la connexion poétique entre les deux auteurs.

Un héritage littéraire et politique

Né en 1955 à Sidi Bouzid en Tunisie, et mort en 2016, Sghaier Ouled Ahmed a laissé une empreinte sur la poésie arabe contemporaine avec une langue à la fois précise, libre et engagée. Poète des petites gens, des oubliés et de la révolte, il s’éleva contre la dictature et l’extrémisme idéologique, défendant sans relâche les libertés individuelles et les droits des femmes. Il a montré un engagement poétique très politique, tout en évitant une approche partisane.

Qualifié par Abdelhamid Larguèche de « bohémien poétique » et « le plus apprécié des poètes tunisiens dans le monde arabe », Ouled Ahmed a côtoyé les plus grands. Son amitié avec Mahmoud Darouiche était autant littéraire que spirituelle. En 1995, alors qu’il dirigeait la Maison de la Poésie à Tunis, il rendit un hommage chaleureux au poète palestinien, qu’il considérait comme son mentor.

SGHAIER OULED AHMED
@ Tarek Souissi

Une œuvre traduite, chantée et revendiquée

Son œuvre, riche et diverse, s’est développée en dehors des circuits éditoriaux officiels. Nombre de ses recueils — Cantiques des six jours (1988), Le Sud de l’eau (1991), Testament (2002) ou Conduite poétique de la révolution tunisienne (2013) — furent publiés à ses frais. Ce n’est qu’après la révolution de 2011 qu’il reçut une reconnaissance officielle, notamment avec une distinction de l’ordre national du mérite sous la présidence de Mohamed Ennaceur.

Ses poèmes, caractérisés par une musicalité singulière, sont devenus des hymnes populaires, tels que Femmes de mon pays ou Le poème du dimanche. Traduit en français, il fut honoré en 2021 par la publication de l’anthologie Brouillon de patrie, traduite par Aymen Hacen et préfacée par Moncef Mezghanni, avec une introduction d’Adonis. Le livre souligne qu’« à la différence de la plupart des poètes arabes de sa génération, Ouled Ahmed ne s’est pas engagé poétiquement en politique, mais il s’est engagé en poésie de manière politique ».

Un lien poétique avec Darouiche

En décernant ce prix inaugural à Sghaier Ouled Ahmed, le jury a voulu saluer l’écho de sa voix dans celle de Mahmoud Darouiche (1941-2008), poète de l’exil palestinien, dont l’œuvre majeure (Mural, Une mémoire pour l’oubli, Pourquoi as-tu laissé le cheval seul ?) a nourri toute la poésie arabe moderne. Dans son poème célèbre Sur cette terre, Darouiche écrivait : « Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : l’hésitation d’avril, l’odeur du pain à l’aube, […] et la peur qu’inspire le souvenir aux conquérants. » Ces mots résonnent aujourd’hui dans l’héritage de Ouled Ahmed, pour qui la poésie était aussi un moyen de vivre librement, debout, et dans la solidarité.

Voici un poème de Ouled Ahmed publié dans « Brouillon de patrie, anthologie établie » traduit  par Aymen Hacen

Bonnes feuilles

Nous aimons le pays

Nous aimons le pays…
Comme personne n’aime le pays
Matin
Soir
Et avant le matin
Et après le soir
Et le dimanche aussi

Et s’ils nous massacrent
Comme ils nous ont massacrés
Et s’ils nous exilent
Comme il nous ont exilés
Nous reviendrons conquérants de ce pays
À notre terre reviendront les arbres
À notre ciel reviendra la lune
Le martyr criera :
Paix
Paix
Sur ceux qui ont résisté

Nous aimons le pays
Pour que personne n’aime le pays
Et s’ils nous massacrent
Et s’ils nous exilent
Nous reviendrons conquérants… du même pays
(Tunis, 4 avril 1988.)

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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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