Abdallah El Hamel invité de Souffle inédit

Poésie
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 Né dans l’oasis isolée de Tabelbala au sud-ouest algérien, Abdallah El Hamel puise dans la rudesse de son désert natal et la richesse linguistique locale une source profonde d’inspiration pour sa poésie.

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Abdallah El Hamel : « L’écriture poétique est avant tout une tentative de reconquérir le paradis perdu de l’enfance. »

POÈTES SUR TOUS LES FRONTS

Par Lazhari Labter

« La poésie doit avoir pour but la vérité pratique », autrement dit servir à transformer la réalité, à provoquer une prise de conscience et pousser à l’action. Prenant à contre-pied cette affirmation du grand poète surréaliste français Paul Eluard, Abdallah El Hamel dit que la poésie ne sert à rien sinon à batifoler avec les nuages, chanter avec le vent et murmurer avec les feuilles des arbres. La poésie ne sert à rien et les poètes non plus qui ne demandent que de les laisser en paix.

Le poète n’est pas fait pour le pacte social
Ni pour les relations heureuses
Y compris ce qu’on appelle la famille, et tout ce qu’elle entraîne de tendresse et d’éducation des enfants et de paternité
Le poète ne sert à rien
Laissez-lui le vent
Et les nuages
Et le bruit des souvenirs

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Mais ne nous y trompons pas ! Abdallah El Hamel, le bohémien revenu des lendemains qui chantent, ne vit pas dans une tour d’ivoire. S’il a la tête dans les nuages, les merveilleux nuages, il a les pieds bien plantés sur une terre vaste comme le Sahara où il est né et qu’il arpente inlassablement depuis de longues années avec dans sa besace des mots d’argile et de cendre mêlés.

Laissez-lui la cendre du feu des bergers
Et le tintement léger dans le cri des paysannes lors des semailles
Laissez-lui ce qu’il veut
Et fermez sur lui la porte de sa chambre
Et partez.

Né au tout début des années soixante-dix dans l’oasis berbère de Tabelbala, dans le sud-ouest algérien, dans un village perdu au milieu du désert, dont les habitants parlent, en plus de l’arabe, le Korandjé, un dialecte belbali dérivé du Songhai, qui plonge ses racines dans le continuum de la culture nilosaharienne, Abdallah El Hamel sera marqué à jamais par ce milieu aride et inhospitalier qui se retrouve dans sa poésie qu’il irrigue de bout en bout.

Dans l’ADN
D’un poète bohémien
Très ancien
Il est inscrit de porter une pierre et la rouler
En riant.

Son enfance à Belbela, bercée par les contes du désert de sa grand-mère, la nuit sous les étoiles à portée de main, et le jour par la lecture de versets du Coran, penché sur la planchette, en se balançant d’avant en arrière, sous la férule du taleb, égayée par les jeux faits de bric et de broc et le chant des femmes roulant le couscous, est un « vert paradis » en dépit de la dureté de la vie. Cette vie de privations et de frustrations est rendue quelque peu douce par l’amour des siens et l’insouciance propre au premier âge de la vie.

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Au lycée, le jeune Abdallah lit tout ce qui lui tombe sous la main. À l’époque, le circuit de distribution étatique fonctionnait et les journaux parvenaient dans toutes les villes et tous les villages d’Algérie, du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, y compris dans les contrées éloignées comme Tindouf, Béchar et Béni Abbès. Journaux algériens et arabes faisaient le bonheur d’Abdallah qui rêvait de devenir journaliste.

À seize ans, il publie son premier article dans le célèbre quotidien de l’Ouest El-Djoumhouria dont il animera plus tard la page culturelle une fois à Oran où il poursuit des études de littérature arabe, après un passage par le département de français de l’Institut de langues étrangères de Tlemcen.

La poésie l’obsède. Le théâtre aussi. Encouragé par l’un de ses professeurs, il se lance dans la traduction d’une nouvelle de Guy de Maupassant et s’attaque après à une pièce de théâtre de Becket qui sera suivie de beaucoup d’autres traductions réussies.

En 1999, il publie son premier recueil de poèmes qui sera suivie de trois autres.

Il considère « la poésie comme une parole que l’on dit et on s’en va, ou que l’on abandonne au vent et que l’on accroche aux arbres. »

Poète errant, poète « négligeant », il écrit et oublie ou efface. Dans son exergue au recueil Réclusions sans mémoire (traduit de l’arabe vers le français par mes soins et en attente d’édition), il écrit :
Ô lecteur
Prends mes poèmes et fais-en un feu pour te réchauffer
Et donne-moi une braise pour brûler une poignée de déceptions découvertes dans une vieille archives dans ma tête.

Tout le poète Abdallah est contenu dans ces quelques mots. Le poète, mais pas seulement. Le philosophe et le « derwiche » aussi. La poésie d’Abdallah ne se lit pas. Elle se médite et se mérite.

Lazhari Labter : J’aime bien commencer mes entretiens pour cette rubrique de « Souffle Inédit » avec la convocation d’un souvenir. Qu’évoque pour toi cette photo ?

Abdallah El Hamel invité de Souffle inédit

Abdallah El Hamel : J’appelle cette image la danse du Messie. J’aime toujours le faire sur les photos avec des amis, comme une sorte de moquerie amère de l’image, car je considère les images comme un souvenir douloureux, selon le mot de Roland Barthes.

Se tenir devant l’objectif pour prendre une photo, c’est documenter et archiver ce moment qui deviendra un passé douloureux. Une photo qui reste dans l’album photo de la famille et des amis. Je n’aime pas les images statiques et stéréotypées. Le monde a changé et c’est la photo qui fait l’histoire, bien sûr la photo et la vidéo. Nous sommes désormais prisonniers des réseaux sociaux. Le mur Facebook est devenu le mur de pierre sur lequel les Sumériens, les Pharaons et les Touaregs ont gravé leurs rêves et leurs idées dans l’archéologie qui demeurera. Nous créons également une nouvelle archéologie qui restera pour les générations futures.

L.L. : Après le baccalauréat obtenu en 1989 et une licence en Littérature arabe de l’université d’Oran en 1993, tu optes pour le journalisme et tu fais tes débuts dans le célèbre quotidien arabophone oranais El Djouhouria dans lequel tu animes la page culturelle où tu écris. Pourquoi le choix du journalisme culturel et de ce quotidien en particulier ?

Abdallah El Hamel : J’ai obtenu mon baccalauréat en 1989, une année charnière dans l’histoire de l’Algérie – j’ai peut-être eu de la chance. Je suis arrivé de Beni- Abbès à Tlemcen, d’abord comme étudiant à l’Institut de Littérature arabe, et avant cela, je m’étais inscrit en licence française, mais la situation ne me convenait pas, alors je me suis orienté vers la littérature arabe. J’étais obsédé par la poésie préislamique et par Gibran Khalil Gibran, Al-Manfaluti, Taha Hussein, Al-Aqqad et d’autres. Ce qui s’est passé, comme cela arrive à beaucoup, c’est le choc de la ville, mais j’ai noué de merveilleuses amitiés avec Miloud Hakim, Lakhdar Choudar, Mohamed Khattab et d’autres. J’ai étudié deux ans à Tlemcen, mais le climat y était froid, surtout en hiver. J’ai donc fui à Oran pour terminer mes études. J’y ai trouvé un environnement plus accueillant.

Le journalisme est mon rêve depuis l’enfance, et plus particulièrement le quotidien régional de l’ouest El-Djoumhouria, où j’ai d’ailleurs publié mes premiers textes littéraires en septembre 1987, à l’âge de seize ans. Au lycée, je lisais tous les journaux qui parvenaient régulièrement dans mon village : El Djoumhouria, Ech-Chaâb, El Massa, Al-Qabas, Asharq al-Awsat, ainsi que les magazines Kul al-Arab, Al-Mustaqbal et Al-Youm Al-Sabee.

À Oran, j’ai fait la connaissance de Bakhti Benaouda, Ayach Yahiaoui, Abdelkader Alloula, Lahcen Bourabia et de toute l’élite oranaise de l’époque. J’ai été proche, dès ma prime jeunesse, du rayonnement culturel et artistique de cette ville à cette époque – chanceux encore une fois – notamment avec le début de l’ouverture démocratique, qui a été soudainement brisée comme un beau rêve par l’offensive obscurantiste contre tout ce qui est beau dans ce pays. Cette situation a eu sur nous un impact psychologique et existentiel difficile. Tout ce qui était beau était menacé de mort par les balles ou les couteaux. J’ai survécu au milieu de ce tourbillon, mais le prix à payer était élevé. Dans la fleur de l’âge, j’ai perdu des amis merveilleux. L’écriture était le seul moyen de résister à la destruction qui dévorait tout.

L.L. : Né dans une région de l’extrême sud algérien qui a donné des personnalités littéraires de premier plan comme le grand romancier Yasmina Khadra et la grande romancière Malika Mokeddem sans oublier la grande figure de Pierre Rabhi, l’essayiste, romancier, conférencier et agroécologiste fondateur du mouvement Colibri, tu es connu toi aussi comme poète et traducteur. Est-ce une chance ou une malchance d’être né à l’ombre de ces géants dont les noms et les œuvres sont connus dans le monde entier ?

Abdallah El Hamel : Je suis né à l’automne de l’année 1971 – l’année de la nationalisation des hydrocarbures – dans un village isolé du désert appelé Tabelbala, que nous appelons Belbala. Il est situé entre Tindouf et Béchar, à 90 kilomètres de la route nationale n° 50. C’est un village isolé qui a ses spécificités en toutes choses. Son histoire est liée à la dimension culturelle africaine. La langue de ses habitants est le Korandjé dérivé du Songhai. C’est une région immense, mais elle possède une unité culturelle et historique unique. Peut-être ai-je eu la chance d’être de cette région, ou est-ce une coïncidence si Pierre Rabhi, Malika Mokadem et Mohamed Mouleshoul (Yasmina Khadra) sont issus d’elle. Mais le plus important, comme le dit le poète russe Rasul Gamzatov, c’est que la mondialisation commence au seuil de votre maison. J’ai vécu deux enfances entre Belbala et Béni Abbès, mais l’enfance belbalienne est la plus profonde, l’enfance de l’argile et des palmiers, celle du lien ombilical avec la terre, l’enfance du quinquet, la planche coranique, les histoires d’Aicha Kandicha, d’Azza et Ma’izziza, la tête sur les genoux de la grand-mère, sous le ciel nocturne éclairé par des milliers d’étoiles, celle du four en argile et des poules de campagne errant dans la cour de la maison, des cérémonies de préparation du couscous pour les festivités où les femmes se réunissent dans la grande cour,  travaillant dur pour transformer la semoule et la farine en couscous, l’aliment de base des villageois. Plus on s’éloigne de cette enfance, plus la perte est grande. Plus on vieillit, plus profond est notre exil de cette existence. L’écriture poétique est avant tout une tentative de reconquérir le paradis perdu de l’enfance.

L.L. : En plus de tes écrits dans différents journaux et de tes fonctions de directeur de la Bibliothèque principale de lecture publique de Tindouf durant vingt-cinq ans, directeur du théâtre régional de Mascara et ensuite de Béchar, ta passion pour le théâtre t’a poussé à traduire du français vers l’arabe des pièces de Becket, Marivaux et Ray Bradbury. Que représente la traduction pour toi ?

Abdallah El Hamel : Mon rapport à la traduction remonte à loin, il date de ma première année d’université à Tlemcen, lorsque je quittais l’Institut de Langue française pour l’Institut de Littérature arabe. C’est alors que mon professeur, le Dr Rachid Benmalek, m’a suggéré de traduire une nouvelle de l’écrivain français Guy de Maupassant intitulée La légende de l’homme à la cervelle d’or. L’expérience était stupéfiante, comme les jeux des enfants avec des bulles de savon, de voir comment les mots français figés en lettres latines strictes se transformaient en des mots arabes longs et souples qui flottent dans l’air comme des bulles de savon, s’élevant et dansant. Cette expérience de mes dix-huit ans fut à la fois extraordinaire et fascinante. Par la suite, j’ai traduit des textes de Safia Kettou, Laâdi Flici et Djamel Amrani. Le plaisir de la traduction m’a fait découvrir Prévert, Camus et Sartre.

La traduction théâtrale est intervenue après une période de passage à vide poétique à Tindouf.  Le déclenchement m’est venue de mon ami créateur, le metteur en scène Azzedine Abbar, qui m’a confié la pièce de Samuel Beckett Fin de partie à traduire. J’ai vécu avec elle pendant quatre mois, une expérience psychologique chaotique, si difficile qu’elle a creusé en moi des abîmes que je ne connaissais pas. Bien sûr, nous avons joué la pièce à Tindouf, à Bel Abbès et dans la capitale Alger. Réalisée par Azzedine Abbar et jouée par le regretté ami Abdelhalim Zribia et Bella Boumediene, elle a connu un grand succès à l’époque, en 2001. Elle a été présentée pour la première fois en arabe classique au théâtre de Bel Abbès, devant un public nombreux, bouleversé par cette pièce du répertoire international, écrite dans un arabe maitrisé, à la manière de Beckett, avec son contenu psychologique complexe et ses pauses de silence qui ont créé son propre rythme et fait son succès aussi. Le meilleur dans l’histoire, c’est que la langue arabe n’était pas courante au théâtre algérien à l’époque, et je peux dire que grâce à Fin de partie, le théâtre algérien s’est alors tourné vers la production d’œuvres en arabe classique.

J’ai ensuite traduit la pièce La Colonne de feu de Ray Bradbury, présentée par le Théâtre Akoun de Béchar, puis L’Île des esclaves, présentée par le Théâtre Al-Mawja de Mostaganem. Je tiens à préciser ici que ces traductions n’étaient pour moi que le repos du guerrier, ou des exercices d’écriture pour capter des souffles poétiques perdus dans l’immensité du désert.

L.L. :  Poète, tu as publié entre 1999 et 2023 quatre recueils de poèmes en arabe en 24 ans, Le Livre de l’intercession, Urgences matinales, J’ai laissé ma tête sur l’arbre et Réclusions sans mémoire et une traduction d’un recueil sous le titre Fin de partie. Certains diront que c’est peu de textes pour un poète. Quelle place la poésie occupe-t-elle dans ta vie ?

Abdallah El Hamel invité de Souffle inédit

Abdallah El Hamel : Mes amis m’appellent le poète négligeant. C’est peut-être dû à mon nom El Hamel qui signifie l’errant, le bohémien. J’ai toujours considéré la poésie comme une parole que l’on dit et on s’en va, ou que l’on abandonne au vent et que l’on accroche aux arbres.

Durant l’errance oranaise, j’écrivais et j’oubliais, j’écrivais et j’effaçais. Peut-être était-ce dû à l’influence d’Arthur Rimbaud, dont j’ai vécu certaines situations à cette époque et, aujourd’hui encore, malgré mon âge avancé, j’écris et j’oublie.

Peut-être que le mur de Facebook, le mur du premier homme qui y a gravé ses rêves et ses pensées, contribuera à sauver mes écrits de la perte – et ce n’est pas important non plus. Quant à l’édition, le marché de la poésie stagne, et en réalité, seuls les poètes lisent de la poésie. Publier sur Facebook permet d’être lu par le plus grand nombre d’amis du monde entier, sans barrières ni difficultés, et c’est une chose merveilleuse.

Même les livres que j’ai publiés l’ont été grâce aux encouragements des amis, et tu n’es pas sans savoir que les éditeurs ne sont que des marchands et des courtiers. Et permet-moi aussi de te rappeler que le livre version papier, avec toute son histoire et son symbolisme, est véritablement menacé de devenir un objet de musée face à l’effroyable invasion technologique. La poésie a toujours été liée à ma vie. J’ai toujours cru, et je crois toujours, que le véritable poète est un être différent et transcendant à tous égards, tout comme l’était Al-Mutanabbi et Rilke, la délicatesse que l’œil ne voit pas – car le poète voit ce que les autres ne voient pas. Le poète n’attend rien des autres, sauf qu’ils le laissent tranquille et qu’ils quittent la pièce sur la pointe des pieds, et que la fenêtre de la pièce reste entrouverte pour que les nuages, un oiseau perdu et un vent léger puissent entrer, et que la lune puisse entrer la nuit pour être sa compagne.

L.L. : Ta poésie est très particulière comparée à celle des poètes algériens de ta génération. C’est une poésie en prose ou une prose poétique ancrée dans le réel, le quotidien, mais irriguée de bout en bout  par une forme de spiritualité et de philosophie au point qu’on peut te qualifier de poète philosophe, de poète bohémien désabusé.  À quoi sert la poésie si « le poète ne sert à rien » comme tu le dis dans l’un de tes poèmes ?

Abdallah El Hamel : Le poète n’aime pas être sous les feux des projecteurs. Je pense du moins que c’est ça l’image du poète. J’écris en guise de protestation contre la laideur de ce monde, contre le mal répandu comme un cancer. Des guerres éclatent encore pour des raisons futiles et des gens meurent.

Je ne suis impliqué dans aucun mouvement poétique. J’écris simplement, en expérimentant et en prêtant attention aux détails, aux détails de la vie, qui sont la matière de la poésie. Et le matériau de la poésie est fils de la vie, et la vie est plus belle dans les détails, ces détails qui lui sont propres.

Au final, le poète ne sert à rien. C’est un animal doté de langage qui joue avec les mots et les métaphores pour changer le monde, mais en fin de compte, il ne change rien !

J’ai toujours cru que le poète est un soufi à part, différent des soufis que l’on désigne sous ce nom. La poésie est une œuvre intérieure et obscure, comme toute création musicale et picturale. Le processus poétique est extrêmement difficile à comprendre et à interpréter, tout comme l’état soufi est obscur, difficile et exige des efforts. Autrefois, le grand Al-Hutay’a disait : « La poésie est difficile et son échelle est longue. » Je n’aime pas les classifications, même si certains ont déjà commencé à me qualifier de poète chevronné. Le poète contemple le fleuve d’Héraclite et rit.  Le poète prépare son retrait de ce monde avec patience et calme.

L.L. : Ce qui ne devrait pas arriver t’est arrivé le vendredi 13 de la funeste année 2024, il y a neuf mois. Y a-t-il un avant et un après Alloula pour toi ?

Abdallah El Hamel invité de Souffle inédit

Abdallah El Hamel : Le vendredi 13 septembre 2024 est comme une histoire sans fin, tout comme l’est l’histoire de la vie, longue et continue et douloureuse aussi. Alloula est parti ce jour-là en riant. Son dernier rire est resté gravé dans ma mémoire comme une marque indélébile. Il s’est réveillé ce matin-là, heureux de se rendre à Tindouf pour rendre visite à sa mère et à ses frères, et puis de revenir trois jours plus tard vivre avec moi à Béchar et commencé ses études universitaires à l’Institut de Droit. J’avais aménagé sa chambre et organisé ses affaires. Il voulait être libre avec moi, car il était mon ami et mon compagnon. Ce qui est arrivé ressemble à ce qui se passe dans les mythes antiques.

Le destin l’avait choisi pour aller ailleurs, loin de cette farce humaine, pensais-je, peut-être pour apaiser ma douleur. Le flacon de parfum qui était tombé de ses mains, et le bruit de son impact sur le sol m’avait réveillé, car j’ai le sommeil léger. J’ai sursauté et j’ai protesté en lui rappelant que j’avais le sommeil léger. Il a ri et a dit : « Qu’est-ce que ça à voir avec moi, c’est la loi de la gravité ! »

C’est ainsi qu’il absorbait toujours ma colère avec son sarcasme, qui était peut-être un trait génétique hérité. Il se parfuma avec le flacon et hésita à le prendre, comme il le faisait à mon insu.

J’ai pleuré Aloula après l’avoir enterré de mes propres mains, au péril de ma santé mentale, mais j’ai réussi l’expérience. J’ai vaporisé sur lui le reste de parfum du flacon et j’ai triomphé de la peur et de la terreur. Peut-être l’ai-je fait pour vivre une autre perte similaire. Maintenant, je commence à accepter l’absence d’Alloula. Ses images, ses attitudes et son esprit continuent de voleter autour de nous comme un papillon paisible, réticent à s’approcher du feu de peur de se brûler.

Extrait du poème « Courrier de morts indifférents » du recueil à paraître Réclusions sans mémoire, traduit par mes soins.
L’éternité est bleue, ou blanche, ou aux couleurs de l’arc-en-ciel ?
–       Non
L’éternité est couleur de sable.
Tu n’as pas dit ça avant
Et n’a pas été évoqué dans le livre des morts
Ni dans les poèmes de la terre anciens
C’est moi qui te l’ai dit
Crois-moi
L’éternité est couleur de sable
Avec l’odeur du sable
Ajoute à cela que le vent qui souffle dans l’éternité est de couleur blanche, et joue sur une note de joie.

***

Nous avons beaucoup défendu cette idée
Nous l’avons crié dans les manifestations
Elle était notre croix
Elle était notre calvaire
Cette idée qui se disait avec des mots douloureux
Avec les poèmes qui ont brisé les cordes vocales du chanteur engagé
L’idée qui a transpercé le poète dans la cellule humide
L’idée même, et après de longues années
Que murmure maintenant l’académicien heureux dans l’amphithéâtre de l’université devant ses élèves,
Qu’il murmure avec des mots heureux.

***

Ce qu’on nomme papillon et qui tourne en dansant autour de la flamme
N’est pas un papillon
C’est toi quand la tristesse serre sa dernière corde avant la veillée des fantômes.
Mais ceci n’est pas important
Le papillon plonge dans la flamme comme une vieille danseuse dans la dernière scène
Quant à toi tu te contentes de finir ton poème en contemplant le mouvement du rideau tiré avec un rire noir.

***

 Un sang mauvais bat dans une veine
C’est notre lignée qui s’engagera dans des guerres
Et qui sera défaite.
Un sang mauvais dans le livre des poèmes
Dans la musique métissée
Dans les couleurs de Van Gogh
Dans une danse de flamenco affligée
Dans les pas de Rimbaud entre l’Ethiopie et Aden.

_________________________

  1. Béni-Abbès, Tlemcen, Mascara, Tindouf, Béchar : villes algériennes de l’ouest et du sud-ouest.
  2. El Djoumhouria, Ech-Chaâb, El Massa : Quotidiens algériens arabophones du secteur public.
  3. Al-Qabas, Asharq al-Awsat : quotidiens arabes.
  4. Kul al-Arab, Al-Mustaqbal et Al-Youm Al-Sabee : magazines arabes.
  5. Gibran Khalil Gibran ; Al-Manfaluti, Taha Hussein, Al-Aqqad, Al-Mutanabbi Al-Hutay’ah : écrivains et poètes arabes célèbres.
  6. Miloud Hakim, Lakhdar Choudar, Mohamed Khattab, Bakhti Benaouda, Ayach Yahiaoui, Abdelkader Alloula, Lahcen Bourabia, Yasmina Khadra, Malika Mokeddem, Pierre Rabhi, Rachid Benmalek, Safia Kettou, Laâdi Flissi, Djamel Amrani, Azzedine Abbar, Abdelhalim Zribia, Bella Boumediene : poètes, écrivains, universitaires, journalistes et comédiens algériens.
  7. Rasul Gamzatov : célèbre poète soviétique.
  8. Guy de Maupassant, Samuel Becket, Marivaux, Jacques Prévert, Albert Camus, Jean-Paul Sartre : écrivains et dramaturges français.
  9. Rainer Maria Rilke : célèbre écrivain austro-hongrois et autrichien.
  10. Aicha Kandicha : créature mythique du folklore maghrébin dont on dit qu’elle séduisant les hommes solitaires afin de coucher avec eux avant de les manger.
  11. Azza et Ma’iziza : conte populaire sur la chèvre qui a laissé ses chevreaux à la merci du loup qui utilise un subterfuge pour entrer dans la maison.
Facebook d’Abdallah El Hamel
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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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