Khemaïs Tarnane (1894-1964), maître du malouf et figure incontournable de la musique tunisienne, a marqué son époque par ses compositions, son rôle fondateur à la Rachidia et son héritage artistique durable.
Comment Khemaïs Tarnane a-t-il façonné la renaissance musicale tunisienne ?
Khemaïs Tarnane : L’influence andalouse au cœur de la musique tunisienne
Cheikh Khemaïs Tarnane, demeure l’une des figures majeures de la musique tunisienne moderne. Né à Bizerte le 1er janvier 1894 et s’est éteint à Tunis le 31 octobre 1964. issu d’une famille andalouse installée à Bizerte, il a grandi bercé par le chant et les traditions musicales, son père et son oncle étant eux-mêmes des chanteurs accomplis. Très jeune, il s’est fait remarquer par sa voix exceptionnelle, qu’il a mise en valeur dans les écoles coraniques (kuttabs) en interprétant des poèmes religieux tels que la Hamziya ou la Bourda du cheikh Al-Bousiri.
Très tôt, il a participé aux cérémonies soufies de Bizerte, notamment celles organisées au mausolée de Sidi Mestiri. Ses qualités ont attiré l’attention des confréries musicales, comme les Salamiyya ou les Qadriyya, qui l’ont invité à animer leurs soirées. Cette immersion dans les traditions spirituelles et populaires a façonné son univers artistique.
En 1917, Khemaïs Tarnane s’est installé à Tunis, initialement pour accomplir son service militaire pendant la Première Guerre mondiale. Cependant, la musique a rapidement pris le dessus. Sa première apparition publique a eu lieu dans un café de Bab Jazira, et le succès a été immédiat, attirant même l’attention du palais beylical. Naceur Bey est intervenu personnellement pour le dispenser de ses obligations militaires afin qu’il puisse se consacrer pleinement à son art.
À Tunis, il a approfondi sa connaissance du malouf auprès du cheikh Ahmed Touili et s’est initié au luth arabe, un instrument dans lequel il a excellé au point de rivaliser avec les plus grands virtuoses de son époque. Très vite, il a formé son propre orchestre, a collaboré avec la célèbre Habiba Msika et s’est produit régulièrement au Café El Morabet, un lieu incontournable de la musique dans la médina.
La carrière de Khemaïs Tarnane a pris une ampleur nationale et internationale. En 1932, il a fait partie de la délégation tunisienne au Congrès de musique arabe du Caire, un événement important qui a réuni les plus grands musiciens du monde arabe. Deux ans plus tard, en 1934, il est devenu l’un des membres fondateurs de la Rachidia, une institution créée pour préserver et développer le patrimoine musical tunisien. En tant que professeur et compositeur, il y a formé toute une génération de musiciens et a contribué à la codification et à la diffusion du malouf.

Mohamed El Allagui assis au milieu et portant des lunettes / Hamadi Laghbabi en haut à droite et jouant du violon.
Il a laissé derrière lui une œuvre considérable, mêlant muwashshahât, qasâ’id et chansons modernes. Parmi ses créations notables, on retrouve « Ya Laimi Yazini » sur un texte d’Ali Douagi, interprété par Chafia Rochdi, la première voix féminine de la Rachidia. On lui doit également le muwashshah « Min Rannat al-‘Idan », la qasida « Ya Zahra Gaddat wa Da‘a Arijuha » ainsi que des morceaux devenus emblématiques comme « Ya Elli Ba‘dak Daya‘ Fikri », « Ma Ahlaha Kalima fi Fami » ou encore la Nûba al-Khadra.
Ses enregistrements pour la maison de disques égyptienne Baïdaphone témoignent de son ouverture d’esprit : il y a gravé non seulement du répertoire tunisien, mais aussi algérien et libyen, contribuant ainsi à diffuser cette musique au-delà des frontières du pays.
Khemaïs Tarnane s’est éteint à Tunis le 31 octobre 1964, à l’âge de 70 ans. Son héritage musical est immense : il a non seulement préservé et enrichi le répertoire traditionnel tunisien, mais il a aussi ouvert la voie à une modernisation respectueuse de l’authenticité. Maître incontesté du malouf, il a inspiré plusieurs générations d’artistes qui ont poursuivi son travail de collecte, de transmission et de valorisation du patrimoine.
Pour marquer le 60e anniversaire de sa disparition, le Palais Ennejma Ezzahra a organisé, en octobre 2024, une journée d’études consacrée à son œuvre et à son influence. Chercheurs et musiciens y ont souligné la richesse de son parcours et l’importance de son rôle dans la sauvegarde du patrimoine musical tunisien, confirmant ainsi la place centrale de Tarnane dans l’histoire culturelle du pays.