Le groupe Manifest, créé en Turquie début 2025, fait face à une enquête judiciaire après un concert à Istanbul jugé « immoral ». Retour sur leur ascension fulgurante, les raisons de la polémique, et les enjeux pour la liberté artistique.
Le groupe turc Manifest : la censure est-elle le prix de la visibilité ?
Le groupe Manifest, formé au début de l’année 2025 via le concours Big5 Türkiye, compte six membres : Esin Bahat, Hilal Yelekçi, Lidya Pınar, Mina Solak, Zeynep Sude Oktay et Sueda Uluca. Issu du label Hypers New Media, il s’est rapidement imposé dans la scène pop, dance et R&B turque grâce à une série de singles à succès — Zamansızdık, Arıyo, KTS (Kalbimin Tek Sahibi), Snap — suivis de l’album Manifestival, lancé le 13 juin 2025. Ces titres leur ont permis de conquérir un public jeune, attentif aux propositions visuelles fortes, aux performances chorégraphiées et à l’influence des codes internationaux dans la pop.
L’événement déclencheur
Le 6 septembre 2025, le groupe Manifest a donné un grand spectacle à KüçükÇiftlik Park, à Istanbul, attirant environ 12 000 spectateurs. Ce concert, jugé réservé aux adultes (+18) à cause de ses tenues et de certains mouvements de danse, a immédiatement provoqué de fortes réactions de la part de personnalités attachées aux traditions et de médias soutenant le gouvernement. Les critiques ont été virulentes : les membres du groupe ont été accusés de dépasser les limites de la décence et de manquer de moralité, avec des mots très durs.

Réactions de la justice
Suite à cette controverse, la justice à Istanbul a ouvert une enquête pour « exhibitionnisme » et « actes choquants ». Les jeunes membres du groupe ont été placés sous contrôle judiciaire, avec l’interdiction de quitter le pays et l’obligation de se présenter régulièrement aux autorités. De plus, la justice a bloqué la diffusion de certaines parties du concert sur les réseaux sociaux, arguant que cela troublait « l’ordre public » et menaçait la « sécurité nationale ».
Réactions du public et ce qui est en jeu
Manifest a déclaré assumer ses choix artistiques, sans vouloir heurter les sensibilités. Le débat qui a suivi ne portait pas seulement sur les vêtements ou la danse, mais touchait aussi à la liberté d’expression artistique, à la place des femmes dans la société, et aux tensions entre la jeunesse urbaine et les attentes traditionnelles dans la Turquie actuelle.
Certains médias d’opposition et commentateurs se sont inquiétés : peut-on désapprouver un style, mais est-il juste de le censurer ? D’autres ont souligné qu’il y avait deux poids, deux mesures, en citant des concerts étrangers à Istanbul ou des artistes critiqués par le passé mais qui n’avaient pas été poursuivis en justice.
L’impact sur le groupe
Cette censure ne semble pas nuire à la popularité du groupe. Malgré ces difficultés, Manifest conserve une base de fans solide, surtout chez les jeunes. Leurs concerts, leur présence dans les médias, leur image et leur musique leur donnent déjà une certaine influence dans le monde de la pop turque. Cependant, l’interdiction de voyager et la surveillance judiciaire pourraient limiter leurs possibilités, comme les tournées, les collaborations avec d’autres artistes, ou simplement leur liberté de mouvement.
Manifest incarne ce mélange de musique moderne, d’ambitions artistiques et de défis culturels. Ce groupe, né en Turquie à l’ère des réseaux sociaux, connaît une ascension rapide, mais leur succès coïncide avec une réaction des autorités conservatrices face à ce qu’elles considèrent comme des provocations. Cette affaire soulève des questions plus larges sur les limites imposées à la création artistique, à la liberté d’expression sur scène, et sur la façon dont la société turque considère les jeunes et les expressions jugées parfois « déviantes ». Le verdict, qui a une valeur symbolique autant que juridique, pourrait bien indiquer le niveau de tolérance future dans le paysage culturel turc.