À Paris, un après-midi d’automne a célébré la mémoire de Khurshidbanu Natavan (1832-1897), poétesse et princesse du Karabakh, lors d’un salon poétique et musical organisé par l’Ambassade d’Azerbaïdjan.
La poétesse Natavan, salon poétique et musical Paris, après-midi d’automne
Par Djalila Dechache
A la faveur du salon poétique et musical du service culturel de l’Ambassade d’Azerbaïdjan à Paris, dédié à la grande poétesse, la princesse Khurshidbanu dite Natavan (1832-1897) nous avons eu l’occasion d’assister à la mise en lumière des splendeurs de cette région du monde qui commence à se faire connaitre.

Des accords pluriels
C’est ainsi qu’après une exposition de peintures présentée en juin dernier, la littérature et la poésie et la musique prennent placent dans les salons de ce magnifique hôtel particulier situé en plein cœur de la capitale, au pied de la Tour Eiffel. En son jardin rafraichissant, se tient une magnifique sculpture de la poétesse.
Dès le seuil, un accueil agréable et chaleureux emmène le public vers ce qui sera une cette après-midi toute en douceur et élégance. Il y est question également de la cérémonie du thé, avec des douceurs, coutume ô combien millénaire de l’hospitalité et de l‘attention portée à ses hôtes de ce peuple d’Orient et d’Asie.
Khourchidbanou Natavan, poétesse moderne de l’Orient, princesse du Karabakh, Azerbaïdjan, mots gravés sur le piédestal de la statue.
La présentation et le déroulé sont prodigués chaleureusement par Alain Tremolières, habitué des lieux et l’accueil de bienvenue est effectuée par madame SEM Leyla Abdullayeva qui s’exprime, comble de la politesse et du raffinement, dans un français impeccable pour nous éclairer sur la vie et l’œuvre de cette grande dame de lettres, qui d’une certaine manière s’apparente à l‘autrice Louise Colette selon l’ambassadrice qui apprécie les arts et la culture.
Puis la poétesse Fatima Chbibane a lu quelques textes.
Deux remarquables musiciens, venus spécialement d’Azrbaïdjan ont enchanté l’auditoire. Il s’agit de Elsan Mansourov au « Kamancha » (violon) et Elchin Naghiyev au Tar. Ce dernier tenait son instrument très près de son visage, ne formant plus qu‘un avec lui.
A les écouter, on pouvait se représenter les chevauchées de cavaliers à travers les plaines du pays, ils nous emportaient dans leurs cordes pour sentir le vent s‘engouffrer au plus profond de notre être. Ce sont des musiciens qui suscitent la rêverie, le visuel, la méditation. Et l’on se laisse emporter par toutes les émotions issues des arabesques musicales venues des confins, déposées en Andalousie, elles ont voyagé jusqu’en Asie, revenant après ce périple magistral. Quel bonheur ! quel don généreux !
La brillante traductrice Guliyeva Sitara au prénom doux et musical, a fait part de son travail universitaire de recherche et de littérature comparée à l’université de Strasbourg. Elle nous a éclairé sur la structure modale de la poésie de Natavan dont les maqams (modes) régissent poésie et musique.
Une figure majeure de la poésie azerbaïdjanaise
Elle nous apprend qu’elle a aussi écrit des ghazals (en persan غزل). C’est un genre littéraire apprécié et prospère, tous les poètes s’y sont pliés. Ce genre avait cours en Perse lors des XIIIème et XIVème siècles que l’on retrouve jusqu‘en Inde et en Asie centrale.
Il se présente sous forme d’un poème d’amour (le terme ghazal se traduit d’une manière générale en poésie amoureuse).
D’autre part Natavan a écrit et édité un recueil « Le livre des fleurs » dont un exemplaire est conservé à l‘Institut littéraire de la ville de Bakou. Il témoigne de ses centres d’intérêt liés à la nature et développe un style qui lui est propre, « singulier » pour reprendre le terme de la traductrice Sitara qui ajoute qu‘elle fait preuve de romantisme et de lyrisme. Ce qui n‘empêche pas qu‘elle ait développé une dimension philosophique et métaphysique dans ses écrits. Elle écrit également des textes sur l‘amour, thème universel. De son vivant, elle a été reconnue par ses pairs.
Ecoutons-la :
« Puissé-je ne pas exister, Ô Créateur, non plus que cet univers
Ni son joyau, ce cœur affligé par la douleur
Si n’existait pas la rose, ni la roseraie,
ni leur contemplation
Ni l’épine qui blesse le rossignol, mais seule
La force de mon amour ».
Autre rareté, Natavan a rencontré Alexandre Dumas père (1802-1870), lorsqu’il s’est rendu dans le Caucase en 1858-1859, il a écrit un livre sur son voyage intitulé « Le voyage au Caucase ».
Elle a fait une partie d’échecs avec l’auteur français et elle a gagné, elle le fit échec et mat, elle n’avait que vingt six ans.
Natavan, malgré son statut aristocratique a connu des moments difficiles avec des moments de gloire.
Elle n’aura cessé de s’impliquer que ce soit dans sa vie de poète, de mélomane et de dessinatrice, en politique, vis-à-vis de sa familiale, par son rôle de mécène, en assurant une correspondance avec d’autres poètes de son époque et en apportant une aide aux nouveaux venus.
Elle crée un cercle littéraire, le plus important est celui qu’elle anime Meclis-l-üns ( Majliss al ouns) que l’on peut traduire par Assemblée, pour réunir les artistes du Karabakh.
A cet égard, il est bon de souligner que de nombreux poètes se sont inspirés de son style littéraire et lui dédient des poèmes.
Lorsqu’elle perd l’un de ses enfants, Abbas en 1885, elle change de nom, en signe de deuil, elle prend le pseudonyme de « l’affligée ».
Elle écrit un texte en sa mémoire, un thrène à la manière de cette poétesse des temps de l’époque avant l’islam, Al Khansa qui a écrit des thrènes pour ses frères morts au combat.
Comme on peut le constater, Natavan aura été de tous les combats pour que la poésie gagne son rang de noblesse. On peut dire qu’elle y a réussi. Natavan est une grande figure de la poésie et des arts.
C’est dans une atmosphère d’admiration, de beauté, de finesse que nous quittons ce lieu et cette équipe merveilleuse avec une photo de groupe dans le jardin autour de la sculpture de la princesse et poète Natavan.
C’est le lieu où l’hospitalité, la fraternité et la beauté prennent tout leur sens et leur meilleure représentation. Je ne peux terminer sans saluer la grande gentillesse d’Ayten, âme attentive et discrète du service culturel, femme de grand talent humain.Nous avons pu goûter à la quintessence d’un pays, d’une culture, d’un peuple, d’une civilisation à découvrir davantage afin de renforcer l‘amitié entre les peuples.
« Les cultures sont le pont le plus fiable reliant les peuples et les pays ».