Fatima Ouassak : « Comme Ali », voix d’une mémoire blessée

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Photo : Les groupes de réflexion musulmans / Wikimédia

Dans Comme Ali, Fatima Ouassak livre à la Comédie des 3 Bornes un récit à la fois intime et politique, entre enfance brisée, quête spirituelle et mémoire des injustices sociales.

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Comme Ali, texte, conception et jeu Fatima Ouassak Comédie des 3 Bornes Paris.

Par Djalila Dechache

Je me suis rendue à ce théâtre sans savoir ce que j‘allais voir, je me suis fiée au titre de la représentation.

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Fatima Ouassak : « Comme Ali »

« Les Arabes ne sont jamais des enfants, ce sont des Arabes ».
Cette phrase est dite au cours du spectacle, elle interroge : Les Arabes passeraient-ils au stade adulte directement ? Ils grandissent trop vite, sans transition. La rue les transforme, les tue.

Dès le lever de rideau, Fatima Ouassak apparait en en pantalon et cravate noirs, chemise blanche, un joueur de Guemri assis à ses côtés.
Elle commence à s’exprimer de sa voix basse et douce, on ne sait pas si c’est elle qui parle de son vécu ou si elle raconte une histoire. Les deux champs se confondent, elle sourit beaucoup comme pour apporter un peu de douceur dans un monde de brutes. Elle remet souvent en place ses mèches de cheveux sorties du béret noir qui lui donne un air gavroche.
Puis on comprend qu’il s‘agit d’un garçon de dix ans.Dix ans ce n‘est pas vieux et pourtant il vit dans un contexte très difficile qu‘il ne comprend pas toujours. Il vit en cité, dans une famille lambda d’immigrés, non loin d’un commissariat, il est scolarisé, a des copains.

Ce que l’on sent est qu’il est happé par ce qui se passe à l’extérieur, par cette vie où la transgression fait loi. Chaque sonnerie de son réveil matinal, scande le narratif et son développement.

Histoire de Nahel, l‘enfant des cités, mort pour rien.

L’évocation se dirige vers Nahel, cet adolescent de 17 ans tué par des policiers, à cause d’une course-poursuite en voiture, à bord d’une Mercédès qui finira encastrée dans un bloc de béton. Sa joie aura été de courte durée, le temps d’épater les copains et d’attiser l‘ire des policiers.
Dans une des vidéo on entend l‘un des policier dire l‘autre «  Mets lui une balle dans la tête », puis un pompier pratiquant le massage cardiaque sans grande conviction…
« Son heure était venue », dit la comédienne comme un effet d’impuissance et d’acceptation du sort.
Nahel est enterré au carré musulman du cimetière de Nanterre.

Fatima Ouassak : « Comme Ali »

Fatima Ouassak se pose une question : Nahel aura-t-il eu le temps, avant de mourir, de réciter la Chahada, profession de foi, prière primordiale face à toute situation qui affirme l‘unicité de Dieu ? C’est une condition sine qua non pour faire partie de la « Umma » ( communauté) musulmane dans ici bas et dans l’au-delà. On entend alors cette prière par un imam, la comédienne tient ses paumes ouvertes vers le ciel et la récite aussi du bout des lettres, ce qui donne un
ton solennel à la pièce de théâtre, face à un public conquis pour moitié et surpris de l’autre.
C’est un acte de très forte portée : imposer la chahada au cours d’un spectacle qui s’apparente à une performance, dans un lieu laïque, à Paris, il y a de quoi s’étonner à tout le moins. C’est un risque et c’est une force.

Une deuxième profession de foi

On pourrait se dire : elle a osé ! Et d‘ajouter qu‘elle a raison d’imposer des éléments de culture et de religion en plein Paris, en pleine crise française sur le sujet des immigrés, crise attisée opportunément, de dire oui nous sommes musulmans, sans nécessairement porter un foulard, nous avons le verbe avec nous, et la force et le courage de dénoncer des violences et des crimes de jeunes ou plus âgées dans les villes françaises.
Il est temps de comprendre que nous faisons partie de la France, nos pères et grands-pères l’ont façonnée, érigée dans l’échiquier international pour que vous en soyez fiers aujourd’hui.

Le spectacle se poursuit avec d’autres références historiques : La mort d’Ali, gendre, cousin et qui aurait du être le quatrième calife à la mort du Prophète Muhammed.Ses enfants aussi, Husayn et Hossein, ont été massacrés.

Ensuite vient Youssef (Joseph) fils de Jacob, celui qui aurait du mourrir, jeté dans un puits et mangé par les loups, parce que ses frères étaient jaloux de lui. Il deviendra puissant et sera convoité par l’épouse du de son maitre. C’est l’une des histoires d‘amour les plus belles que compte le monde arabe.
Et Yunus (Jonas) dans le ventre de la baleine….

Fatima Ouassak égrène des figures tutélaires communes aux religions du Livre afin de démontrer que la haine a souvent été dans le coeur des hommes depuis l‘aube de l’humanité. Et les femmes ? Elles pansent, chuchotent, cajolent, portent les enfants, les élèvent, et les aiment.
Ensuite, ces enfants ne lui appartiennent plus, ils sont avalés dans une fosse de violence sans retour possible.

La mort au coin de rue des ghettos

Le spectacle prend une tournure imaginative, on est toujours dans la tête d’une enfant de dix ans, avec l’épée de Zulphikar, venue des djinns, qui vient en appui pour sauver le monde.
Une autre analogie importante, celle de la grotte de Hira près de la Mecque où le Prophète s’est retiré pour méditer et recevoir les premières révélations de l‘Ange Gabriel.
Une araignée bienveillante a tissé une toile à l’entrée de la grotte afin de faciliter la protection.
Des figurent exemplaires tirés du Coran qui structurent la vie de chaque musulman.

Un spectacle qui ne laisse personne indifférent, que l’on aime ou pas, la question n’est pas là. La thématique développée dérange, question, bouscule, chamboule, émeut, oblige à réfléchir pour sortir des sentiers battus et des lieux communs. Pourtant c’est le coeur de ce qui se passe en France, en Europe, dans le monde et ce caque jour.
On devrait pouvoir exprimer ses préférences religieuses ou culturelles sans risquer la mort au coin de la rue des ghettos installés à la périphérie des villes, a fortiori dans un pays de droit et de pacte républicain et qui plus est multiculturel.
Le musicien de Guemri Luciano Turella accompagne le spectacle de manière agréable et en suit les sinuosités sensibles.
Fatima Ouassak poursuit son parcours de militante éclairée dans des luttes plus larges comme l’écologie politique où elle apporte son analyse et ses idées.

Le livre « Comme Ali » est édité aux Editions Diable Vauvert, collection au nom bien nommé, Nouvelles Lunes.Il est plus long que la pièce de théâtre, il est à lire et à relire.

Photo de couverture @ Wikimédia

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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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