Avec Un simple accident, Jafar Panahi transforme un fait anodin en parabole sur la justice, la mémoire et la rédemption. Un film puissant, traversé par la lumière du désert et la complexité de l’âme humaine.
« Un simple accident », drame, film de Jafar Panahi, palme d’or festival de Cannes 2025.
Par Djalila Dechache
Un nouveau film iranien est souvent très attendu, a fortiori lorsqu’il est du réalisateur Jafar Panahi.
Avec un titre qui masque ce qu’il va advenir, on se laisse prendre dans une intrigue aux allures de suspense entre la vie, la mort et de multiples rebondissements.
Un homme rentre chez lui en voiture, traversant des routes non éclairées, avec femme et enfant, jusqu‘au moment où il écrase, sans le vouloir, un chien.
Puis, sa voiture présente des signes de faiblesse, elle tombe en panne, il faut trouver un mécanicien. Il trouve un petit garage ouvert, un homme se propose de l‘aider en bricolant une solution provisoire, même si la panne est beaucoup plus grave. Un autre homme est là, Vahid, conversant avec sa mère au téléphone de son mariage à venir, il entend le conducteur aller et venir avec, en marchant, un son de claudication.
A partir de cet instant, les vie des principaux personnages va être bouleversée.
On ne comprend pas vraiment ce qui se passe, pourquoi Vahid se cache, change sa voix et fait vrombir une moto pour suivre le conducteur à peine parti.
Vahid a une idée voire plusieurs idées derrière la tête. Il va rattraper cet homme et le séquestrer pour le tuer.
En effet, Vahid reconnait l’un de ses tortionnaires qui boitait lorsqu’il était emprisonné avec un bandeau sur les yeux et avec d’autres camardes d’infortune.
Un périple pour trouver la vérité
Vahid fait des kilomètres pour se rendre dans une région montagneuse et désertique où rien ne subsiste sous un soleil de plomb, à part un arbre maléfique.
On est dans un décor lunaire, de tragédie grecque de l‘homme avec sa conscience, endroit où ont eu lieu les grands débats de l‘homme.
Le butin est dans le coffre, Vahid transporte son tortionnaire, il a creusé un large trou pour enterrer vivant l’homme pieds et poings liés.
Mais l’homme se rebiffe, il jure que ce n‘est pas lui, qu‘il n‘y est pour rien, qu‘il y a erreur sur la personne, que sa prothèse de jambe est ancienne, il a perdu sa jambe en Syrie ….à chaque pelletée de terre jetée sur lui, le prisonnier redouble d’arguments.
Cette scène résonne avec le merveilleux film de Kiarostami Le goût de la cerise, où un homme veut mourrir et s’adresse à plusieurs personnes pour l‘aider dans cette entreprise.
Jusqu’à ce que le doute s’installe dans la tête de Vahid qui va chercher un autre avis qui confirmera si le tortionnaire se trouvant dans le coffre, est bien celui qui a fait beaucoup de mal en prison. Ainsi de suite, le cercle s’agrandit de personnes emprisonnées qui sauraient reconnaitre le tortionnaire. En fait, personne ne le reconnait mais tous revivent leurs souffrances. Tout ce monde se retrouve dans le van, le tortionnaire dans une caisse afin de trouver la meilleure solution qui résoudrait leur dilemme.
A partir de ce moment, le film devient célébration, force de la nature, solidarité, divergences de points de vue, périple de la conscience des uns et des autres. Il y a aussi la fraternité de la société iranienne aujourd’hui.
Une distribution remarquable
On remarquera que le personnage principal Vahid passe d‘un homme borné, aveuglé de vengeance à un homme modéré, plein d‘humanité et de tendresse. A entendre plusieurs avis sur la question faut-il tuer ou pas le tortionnaire, une transformation s’est effectuée en lui. La femme du tortionnaire était en phase d’accouchement, c’est lui qui l’accompagne à l’hôpital, facilite son admission à l’accueil avec leur première petite fille qui a été convaincante auprès de Vahid.
Il va jusqu’à offrir des gâteaux à tout le monde en signe de bienvenue au nouveau-né. Vahid ne veut plus se venger. Il a changé, il est dans une autre phase de sa vie. La photographe d’un mariage fait partie du périple et elle a été emprisonnée elle aussi, les yeux bandés. La comédienne est merveilleuse, après avoir refusé de le suivre, elle s’implique beaucoup pour aider Vahid, le sauve, et compatit. Elle avance l’idée qu’il faut être sûr de la personne et de ne pas tuer un innocent.
C’est une belle démonstration de l’esprit humain de sagesse face à une situation intenable.
Quand elle va chercher un autre témoin, on la voit parler à un petit groupe d’hommes dont l’un la bouscule et la fait tomber à terre de tout son long.
Cette scène est terrifiante, la photographe ne porte pas de foulard à ce moment-là. On n’imagine pas un instant une telle scène.
D’ailleurs, la scène du désert revient, avec l‘arbre rabougri, les deux protagonistes se remémorent une scène de la pièce vue au théâtre à Téhéran En attendant Godot, de Beckett, une attente aussi existentielle qu’absurde. Comme un lien évident avec le théâtre de la vie.
Tout ce petit monde y va de sa façon de gérer le dilemme, en proposant qui de tuer le prisonnier, qui de faire attention à ne pas faire de mal à un innocent, cela pourrait s’apparenter à un début de démocratie.
La scène finale est remarquable, Vahid et la photographe vocifèrent leur rage à l‘oreille du tortionnaire. Comme lui leur susurrait à l‘oreille des atrocités pendant leur emprisonnement. Ils se délestent de ces oripeaux de vécu pour continuer leur chemin, parce qu’ils savent ce que cette méthode peut faire à leur mental des années après. Tous deux ont décidé qu’ils ne le tueraient pas.
Il ne faut pas passer outre le fait que ce film recèle une bonne dose d’humour, de situations drôles et cocasses, qui forment un contre-pied à l’ensemble au demeurant dramatique.
« Un simple accident » est film fort, attachant, drôle, intelligent, plein d’humanité comme on les aime.
De plus, on entre dans la vie quotidienne des Iraniens, on saisit ce qui les lie : le rapport à la famille, aux enfants, la droiture, la conscience de chacun, la spiritualité, la solidarité et tant de petites choses qui font de grandes personnes. Vahid craque complément dès qu‘il arrive à l’hôpital, devant la petite fille, devant la femme qui va accoucher et le docteur qui prend la responsabilité de l’accouchement en l’absence du mari de la femme, et pour cause, pour présenter ses papiers d’identité.
Jafar Panahi est interdit de tournage dans son pays, plus encore il a été plusieurs fois incarcéré. Il s’est inspiré de son expérience et de ses compagnons de cellule pour faire son onzième film à sa sortie de prison.