Présenté à Cannes 2025, The President’s Cake (Mamlaket al-qasab, Le gâteau du président) marque les débuts saisissants du cinéaste irakien Hasan Hadi. À travers le regard d’une fillette et de sa grand-mère, le film dépeint un pays meurtri par la guerre et la misère, où la survie se conjugue avec dignité et poésie.
The President’s Cake (Le gâteau du président), Film de Hasan Hadi – 2025, Irak, États-Unis, Qatar
Par Djalila Dechache
S’il y a un film qui a suscité surprise et intérêt lors du festival de Cannes 2025, c’est bien celui du réalisateur et scénariste irakien Hasan Hadi, qui signe son premier long métrage.
L’action se passe dans les années 1990 en Irak, lors de la guerre avec l’Iran, au moment où les Nations Unies ont voté des sanctions économiques et après l’invasion du Koweït par les troupes de Saddam Hussein. Le pays est exsangue et il faut bien vivre.

Apparaît à l’écran une vieille dame toute de noir vêtue, à la peau très foncée, au visage tatoué, appelée « Bibi » par sa petite-fille Lami’a, âgée de neuf ans. Ses premiers mots sont de citer Gilgamesh, héros du récit épique de Mésopotamie.
Cette femme est peut-être une des descendantes de la révolte des Zenj, ces esclaves noirs qui se sont révoltés au Xe siècle dans cette région de marais et de roseaux, non loin de la ville de Bassorah, au sud du pays.
Lami’a et sa grand-mère vivotent dans une petite maison de paille ; pour se déplacer, elles utilisent une barque longue et fine, terminée par des bouts relevés en pointe.
La République des roseaux
Elles sont très pauvres. « Bibi » se rend au marché, marchande tout, y compris les tomates, vend ses effets personnels pour subsister. « C’était une période très dure et très noire pour les Irakiens qui se sont mis à vendre, à même les trottoirs des rues, tout et n’importe quoi, y compris les encadrements de portes pour certains », précise le réalisateur au journal La Croix du 18 mai 2025.
Scolarisée, Lami’a arrive en retard un matin à l’école. Le maître l’arrête et lui confisque son cartable. Elle avait une pomme, il l’a prise. En classe, deux jours avant l’anniversaire du président Saddam Hussein, tout le pays est au cent coups pour assurer l’événement, y compris dans les écoles. Le maître a mis en place un système de tirage au sort pour savoir qui fera quoi pour assurer la fête.
La petite fille tombe sur le petit papier qui lui confère la fabrication d’un gâteau, « bien moelleux comme je les aime », précise le maître. C’est à elle de s’approvisionner en ingrédients : œufs, farine, sucre notamment. Sauf que dans toute la ville, il n’y a plus de sucre… et comment faire sans argent et en période de disette ?
Un jour, « Bibi » décide de se séparer de sa petite-fille : elle n’arrive plus à suivre le rythme de la vie. C’est alors que Lami’a s’enfuit avec son coq Hindi.
Tours et détours de deux enfants en Irak
Va s’engager alors une course-poursuite à travers ruelles, cours et maisons pour éviter de se faire remarquer sans adulte. Heureusement, elle a un petit copain d’infortune ; tous deux vont faire équipe.
Ce qui saute aux yeux dans ce film est l’absence totale d’intérêt des adultes pour les enfants. En d’autres termes, la ville n’est vraiment pas faite pour eux. Personne ne les aide, ils sont chassés comme on chasserait un essaim de mouches dès qu’ils approchent d’un étal. Ils errent sans argent, sans but, sans connaissances, dans un monde d’adultes, d’hommes affairés à quelques business à la petite semaine. Il y a bien cet adulte libidineux qui veut piéger Lami’a en lui tenant la main : volailler de son état, il fait le gentil, espère l’emmener au cinéma. Mais comme elle est rapide et futée, elle le plaque et se sauve en courant.

Entre-temps, « Bibi » se met à la recherche de sa petite-fille en se rendant au commissariat. Les hommes présents lui disent de rentrer chez elle, qu’ils vont faire des recherches. Elle s’obstine et dit : « Je ne partirai pas d’ici tant que je ne verrai pas ma petite-fille. » Elle a un coup de sang, fait un malaise, et elle est conduite à l’hôpital.
La cour des miracles de Notre-Dame de Paris à côté de l’hôpital irakien, c’est une promenade. Personne ne veut faire entrer ni s’occuper de la vieille dame à l’hôpital : il y a trop de malheurs, de blessés, de morts ; les bombardements sévissent encore et font beaucoup de dégâts humains et matériels. Le comble de cette situation : il n’y a plus de médicaments pour la soigner, et elle est diabétique.
Toutes les instances publiques et administratives du pays — école, hôpital, police — ne fonctionnent plus vraiment. Tout le monde est débordé et marche au bakchich pour la moindre chose. Les gens sont tristes, ils obéissent, sont dans la débrouille, le système D tout le temps. Un seul personnage, le chauffeur de taxi, se distingue par sa gentillesse et son opiniâtreté à régler le problème de la vieille dame et de sa petite-fille, mais il sera trop tard.
C’est dans ce sens que ce film remplit toutes les cases : c’est un drame, une comédie dramatique, un périple poétique et difficile, un road movie de deux enfants dans la ville et une critique politique.
Ce film est d’une vérité criante, tout est réel, y compris la poussière qui s’immisce partout. Le thème est en lien avec le vécu du réalisateur : enfant, il a connu cet épisode. Tourné en Irak, il a choisi des acteurs amateurs ; le film repose sur les épaules de la vaillante Lami’a, dont le prénom signifie « lumineuse ».
Et elle l’est totalement, jusqu’à cette scène fixe à la fin du film qui dure longtemps, la caméra braquée sur son visage et sur celui de Saeed. Au bord des larmes tous les deux, ils se regardent : l’instant est très beau, il dit beaucoup sans paroles.
Naissance d’un grand cinéaste
Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, « l’espace privilégié de découverte de nouveaux talents », Hasan Hadi est lauréat du Prix du Public et de la Caméra d’Or lors du festival de Cannes 2025 — une consécration et une reconnaissance par ses pairs. Hasan Hadi peut préparer son prochain long métrage, déjà attendu. The President’s Cake est également le film étranger sélectionné pour l’Oscar 2026.
Le public sort de cette projection avec un moral laminé. Comment se peut-il qu’un pays comme l’Irak soit devenu aussi bas, aussi ruiné, aussi pauvre ? C’est que ce pays a connu ses heures de gloire, son avancée humaine, intellectuelle, savante et même technologique. Il y avait cet adage qui a marqué les esprits : « L’Égypte écrit, le Liban imprime et l’Irak lit », qui dit mieux que de longs discours.
Hasan Hadi a été comparé, à juste titre, au cinéma du regretté cinéaste iranien Abbas Kiarostami, à la filmographie remarquable.
Le cinéaste irakien vit aux États-Unis. Il est professeur associé de cinéma à l’université de New York. Il a reçu la bourse Gotham-Marcie Bloom, le Black Family Production Prize et le prix de production de la fondation Sloan. Boursier du Sundance Lab en 2022, il a reçu le prix Sundance/NHK 2022, la bourse SFFILM Rainin et la bourse du Doha Film Institute pour son premier film.
- Réalisateur : Hasan Hadi
• Acteurs : Baneen Ahmad Nayyef, Sajad Mohamad Qasem, Waheed Thabet Khreibat
• Genre : Drame
• Nationalité : Irakien
• Distributeur : Tandem
• Durée : 1h45mn
• Titre original : The President’s Cake
• Date de sortie nationale en France : 4 février 2026
La projection du film The President’s Cake est précédée d’un court métrage, A Lullaby Unlike Any Other d’Amani Zaafer (Tunisie, Suède, 2024, 9 minutes, fiction), avec Leen Hashisho et Fatma Jouda.



