Soprano de renom, interprète d’opéra, de musique contemporaine et arabe, Yosra Zekri se distingue par sa capacité à réinventer le chant lyrique et à donner une voix à l’histoire et aux émotions de la Tunisie.
Entretien avec Yosra Zekri, chanteuse lyrique et artiste plurielle
Entretien conduit par Monia Boulila
Formée à l’Institut Supérieur de Musique de Tunis et titulaire d’un master en musicologie, Yosra Zekri a remporté des prix prestigieux en Tunisie et en France. Elle s’est illustrée dans des rôles emblématiques comme Violetta, Gilda ou Musetta, tout en explorant la musique contemporaine et arabe.
Polyglotte et engagée, elle est aussi coach vocale, mannequin et comédienne, offrant à chaque performance un pont entre cultures, styles et époques, tout en restant profondément ancrée dans son identité tunisienne.
À travers cet entretien, Yosra Zekri nous ouvre les portes de son univers, nous raconte ses choix artistiques, ses engagements et ses rêves pour l’avenir.
M.B : Pouvez-vous nous parler de vos débuts dans la musique ? Qui vous a encouragée dans cette voie dès le début ?
Yosra Zekri : Depuis toute petite, la musique occupait une place essentielle dans ma vie. J’ai grandi dans une famille où l’art était présent, et mes parents ont rapidement remarqué ma sensibilité musicale. Ils m’ont encouragée à suivre cette voie, mais c’est surtout ma propre fascination pour la voix humaine qui m’a poussée à aller plus loin. Dès l’enfance, je ressentais un besoin instinctif de chanter, comme si c’était ma façon naturelle d’exister.
M.B : Qu’est-ce qui vous a poussée vers le chant lyrique, un domaine exigeant et parfois difficile d’accès pour une jeune artiste tunisienne ?
Yosra Zekri : Le chant lyrique m’a séduite par son exigence, sa profondeur émotionnelle et sa capacité à raconter des histoires universelles. Pour une jeune Tunisienne, ce chemin n’était pas le plus évident, mais j’ai toujours été attirée par ce défi. L’opéra demande discipline, patience et courage — et j’avais envie de me prouver que je pouvais trouver ma place dans cet art.
M.B : Vous avez remporté plusieurs prix importants dès le début de votre carrière. Comment ces distinctions ont-elles influencé votre parcours et votre confiance en vous ?
Yosra Zekri : Ces distinctions m’ont donné confiance et m’ont rappelé que ma voix pouvait toucher au-delà des frontières. Elles ont ouvert des portes, certes, mais surtout, elles m’ont donné la responsabilité de continuer à évoluer, à travailler et à honorer ceux qui croyaient en moi.
M.B : Vous avez incarné des rôles emblématiques comme Violetta, Gilda ou Musetta. Quel rôle vous a le plus marqué et pourquoi ?
Yosra Zekri : Chaque rôle m’a construite, mais Violetta a eu un impact particulier. C’est un personnage complexe, fragile et puissant à la fois. L’incarner a été une véritable transformation — un voyage émotionnel qui m’a permis de grandir en tant qu’artiste et en tant que femme.
M.B : Comment construisez-vous un équilibre entre opéra, musique contemporaine et musique arabe?
Yosra Zekri : Je me sens profondément libre dans ma voix. J’aime explorer différents univers, et je considère que chaque style nourrit l’autre. L’opéra m’apporte technique et rigueur, la musique arabe me reconnecte à mes racines, tandis que la musique contemporaine me permet d’expérimenter. Cet équilibre est devenu ma signature artistique.
M.B : Comment votre expérience à Majorque et votre collaboration avec Toni Cuenca vous ont-elles enrichie ?
Yosra Zekri : Majorque a été une étape profondément transformatrice dans mon parcours artistique. Ce séjour m’a permis de m’ouvrir à d’autres esthétiques, d’autres manières de créer, et surtout de rencontrer le compositeur Toni Cuenca, avec qui une véritable alchimie artistique s’est installée.
Notre collaboration ne s’est pas limitée à I Am a Woman, devenue ensuite Set Me Free (lyrics by Mr. Jaloul Ayad). Nous avons exploré plusieurs univers très différents, toujours avec l’envie de fusionner les styles et les cultures. Ensemble, nous avons créé une version unique de Lascia ch’io pianga de Haendel, mêlant opéra, arabe et jazz — une expérience artistique puissante qui a montré à quel point les frontières musicales peuvent disparaître lorsque l’émotion est au centre.
Nous avons également travaillé sur Hato es-salam (lyrics by Dr. Emna Rmili), un titre dédié aux enfants victimes des guerres, un projet très chargé d’humanité. Et puis il y a eu Ayyam wara Ayyam (lyrics by Dr. Emna Rmili), enregistré en Espagne mais tourné au Qatar, qui reflète parfaitement ce pont permanent que je cherche à bâtir entre mes racines et mes voyages.
Ces années à Majorque et cette collaboration avec Toni Cuenca m’ont appris une chose essentielle : la voix peut voyager, se transformer, embrasser toutes les couleurs. Elles m’ont donné la liberté d’assumer pleinement ma polyvalence et de revendiquer une identité musicale plurielle.
M.B : Pouvez-vous nous parler de votre premier CD enregistré à Copenhague avec l’Orchestre symphonique danois ? Comment ce projet est-il né et que représente-t-il pour vous ?
Yosra Zekri : L’enregistrement de mon premier CD à Copenhague a été l’une des expériences les plus marquantes de ma carrière. Ce projet est né d’une collaboration artistique exceptionnelle avec l’Orchestre symphonique danois et des compositeurs que j’admire profondément.
J’ai eu l’honneur d’interpréter des œuvres écrites par Son Altesse le Prince Henrik de Danemark, un poète à la sensibilité rare, mises en musique par Frederick Magle et Eric Sprogis. Chanter des textes princiers, porteurs d’une profondeur humaine et spirituelle, et les faire vivre à travers des compositions aussi riches, a été un moment d’une intensité indescriptible.
Ce CD représente pour moi un tournant : la rencontre entre ma voix, un orchestre prestigieux et des compositeurs qui ont su entendre quelque chose d’unique dans ma couleur vocale. Enregistrer au Danemark m’a donné une grande liberté artistique, mais aussi un immense sentiment de responsabilité. J’avais le désir d’honorer la culture que je découvrais tout en restant fidèle à mon identité.
C’est un projet qui m’a rappelé pourquoi je chante : pour relier les mondes, les langues, les émotions — et offrir, à travers la musique, un espace de vérité et de beauté.
M.B : Vous êtes aussi coach vocale. Qu’est-ce que vous aimez transmettre à vos élèves ? Quelle est la dimension la plus importante du chant : technique, émotion, interprétation ?
Yosra Zekri : J’aime transmettre la liberté. La technique est indispensable, mais elle n’a de sens que si elle mène à l’émotion et à l’authenticité. À mes élèves, j’enseigne avant tout à écouter leur corps, à comprendre leur voix et à chanter avec vérité.
M.B : Vous menez également une activité de mannequin. Comment percevez-vous ce domaine et qu’est-ce qui vous attire dans le travail de l’image et de la mode ?
Yosra Zekri : Pour moi, le mannequinat n’est pas une activité superficielle. C’est une autre forme d’expression artistique, un travail sur l’image, le mouvement, l’attitude. J’aime la créativité que cela exige et la possibilité d’incarner des univers visuels différents, tout en restant moi-même.
M.B : Vous êtes issue d’une formation musicale. Comment est née en vous l’envie d’explorer le théâtre ?
Yosra Zekri : Le théâtre est venu naturellement. En tant que chanteuse lyrique, l’interprétation fait partie intégrante de mon métier. J’ai donc ressenti le besoin d’aller plus loin dans la construction du personnage, dans la présence scénique, dans la parole. Le théâtre m’a permis de mieux comprendre mes émotions et d’élargir ma palette artistique.
M.B : Quels sont vos prochains projets en préparation ?
Yosra Zekri : Je travaille actuellement sur de nouveaux projets musicaux qui mêlent plusieurs styles, ainsi que sur des collaborations régionales et internationales. J’ai également envie de développer davantage la création pour les jeunes publics, car transmettre la musique aux nouvelles générations est essentiel pour moi.
M.B : Quel est votre rêve le plus cher en tant qu’artiste ?
Yosra Zekri : Mon rêve est de continuer à évoluer, à apprendre, à me surprendre. Je souhaite créer des projets qui traversent les cultures et qui touchent le cœur des gens. Et surtout, je veux rester fidèle à l’essence de mon art : chanter avec sincérité et ouvrir des portes pour les artistes qui viendront après moi.
M.B : Merci Yosra d’avoir partagé avec nous ce souffle de vérité et de lumière, une lueur fine qui continue de flotter, longtemps après la dernière note.





