Sarah Lipska, l’art dans tous ses éclats à Poitiers

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Portrait de femme, 1932, huile sur toile, © Musées de Poitiers, Ch. Vignaud

Du 3 avril au 27 septembre 2026, le musée Sainte-Croix de Poitiers consacre à Sarah Lipska la plus vaste rétrospective jamais organisée en France. À travers plus de deux cents œuvres, l’exposition restitue la trajectoire d’une artiste inclassable, longtemps marginalisée par l’histoire de l’art, et pourtant pleinement inscrite dans les modernités de l’entre-deux-guerres.

Sarah Lipska, l’art dans tous ses éclats – Musée Sainte-Croix de Poitiers : une grande rétrospective (2026)

Par la rédaction

Figure discrète mais essentielle de la scène artistique parisienne du XXᵉ siècle, Sarah Lipska (1882-1973) n’avait jusqu’ici jamais bénéficié d’une relecture d’ensemble à la mesure de la diversité de son œuvre. L’exposition Sarah Lipska. L’art dans tous ses éclats, présentée au musée Sainte-Croix, opère cette réparation historiographique. Elle rassemble peintures, sculptures, dessins, créations textiles, projets de décors et archives, révélant une pratique protéiforme qui brouille les frontières entre beaux-arts, arts décoratifs et arts de la scène.

Née en 1882 à Mława, en Pologne, au sein d’une famille juive hassidique, Sarah Lipska se forme à l’École des beaux-arts de Varsovie, institution alors récemment ouverte aux femmes. Elle y acquiert une formation pluridisciplinaire qui marquera durablement son approche artistique. En 1912, elle s’installe à Paris, où elle vivra jusqu’à sa mort en 1973, intégrant les réseaux artistiques et culturels les plus dynamiques de la capitale.

Le parcours de l’exposition s’organise de manière thématique, soulignant la circulation constante des formes, des motifs et des techniques dans l’œuvre de Lipska. Cette approche met en évidence une artiste qui refuse toute hiérarchisation entre les disciplines. Peinture, sculpture, textile, décoration intérieure ou scénographie relèvent chez elle d’un même geste créateur, nourri par l’expérimentation et le dialogue entre les arts.

Sarah Lipska, l’art dans tous ses éclats - Musée Sainte-Croix de Poitiers
Antoine et ses rêves, 1934, huile sur toile, © Musées de Poitiers, Ch. Vignaud

La scène occupe une place centrale dans cette trajectoire. Dès les années 1920, Sarah Lipska s’inscrit dans le sillage des Ballets russes et collabore avec Léon Bakst. En 1922, elle conçoit décors et costumes pour l’opérette Annabella, dont les créations, réalisées par la maison de couture Myrbor, sont saluées par la critique. Plus tard, ses projets de ballets — notamment autour de figures animales et hybrides — témoignent d’un imaginaire chorégraphique où le mouvement irrigue le dessin et la couleur.

L’exposition accorde une attention particulière aux créations textiles, domaine dans lequel Lipska acquiert une reconnaissance notable dès les années 1920. Collaborant avec Paul Poiret puis durablement avec la maison Myrbor, elle développe une œuvre vestimentaire d’une grande audace formelle. Broderies, jeux de matières métalliques, recherches chromatiques : ses vêtements, qualifiés à l’époque de « somptueux comme des cathédrales », sont diffusés dans des revues telles que Vogue ou Ève. En 1927, elle ouvre sa propre boutique sur les Champs-Élysées, affirmant une conception de la mode comme espace d’expérimentation artistique.

Sarah Lipska, l’art dans tous ses éclats au musée Sainte-Croix de Poitiers
Buste de la marquise Casati, avant 1930, bois, © Musées de Poitiers, Ch. Vignaud

Portraitiste attentive à son cercle, Sarah Lipska représente les figures qui composent son réseau parisien — Antoine de Paris, Helena Rubinstein, Natalie Paley ou encore Colette. Ces visages, peints ou sculptés, traduisent une approche décorative assumée, où la stylisation n’exclut jamais la singularité psychologique. En sculpture, son goût pour les matériaux non conventionnels — ciment, pâte de verre, métal — inscrit son travail dans une modernité technique encore peu explorée par les artistes femmes de son temps.

Décoratrice d’intérieur, Lipska participe également aux transformations de l’habitat moderne. Elle conçoit notamment l’appartement d’Antoine de Paris, rue Saint-Didier, où l’usage des briques de verre place la lumière au cœur de l’espace domestique. La photographe Thérèse Bonney la désigne alors comme la « principale femme artiste décoratrice de Paris », reconnaissance aujourd’hui largement effacée des récits dominants.

Le musée Sainte-Croix joue un rôle déterminant dans cette redécouverte. Il conserve la plus importante collection publique de Sarah Lipska, constituée dès les années 1980 grâce à une politique volontaire de valorisation des artistes femmes. Ce fonds, enrichi au fil des décennies, forme le socle de l’exposition, complété par des prêts d’institutions françaises et étrangères.

Placée sous le commissariat de Camille Belvèze et Manon Lecaplain, avec l’accompagnement scientifique de Lilien Lisbeth Feledy et Ewa Ziembińska, l’exposition bénéficie du label « Exposition d’intérêt national ». Elle s’inscrit dans un mouvement plus large de réévaluation des contributions féminines aux avant-gardes artistiques du XXᵉ siècle, sans chercher à assigner Lipska à une catégorie ou à une école.

Danseurs oiseaux, v. 1950, gouache, encre sur papier, ©Musées de Poitiers, Ch. Vignaud

En redonnant à voir une œuvre multiple, expérimentale et profondément moderne, Sarah Lipska. L’art dans tous ses éclats invite à repenser les lignes de partage de l’histoire de l’art. Elle révèle une artiste pour qui créer signifiait circuler librement entre les formes, les usages et les espaces, et dont la reconnaissance tardive interroge encore nos manières de regarder le passé.

Sarah Lipska, l’art dans tous ses éclats au musée Sainte-Croix de Poitiers
Prototype de robe brodée, s.d., soie, métal et matière synthétique, ©Musées de Poitiers, Ch. Vignaud

Agenda

Musée Sainte-Croix, Poitiers
Du 3 avril au 27 septembre 2026

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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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