Le grand écrivain albanais Ismaïl Kadaré est mort à l’âge de 88 ans
Auteur d’une œuvre monumentale, l’écrivain albanais Ismail Kadaré, âgé de 88 ans, est décédé lundi matin – 1er juillet 2024, à Tirana -, ont annoncé son éditeur et l’hôpital à l’AFP. Figure emblématique de la littérature mondiale, Kadaré avait utilisé son talent littéraire comme un puissant instrument de résistance face à la tyrannie d’Enver Hoxha, l’un des régimes les plus oppressifs du XXe siècle.
Ismail Kadaré est décédé d’une crise cardiaque, selon les précisions de l’hôpital de Tirana. Arrivés « sans signe de vie », les médecins ont tenté de le ranimer par un massage cardiaque, mais il est finalement « décédé vers 8h40 (heure locale) », a indiqué l’établissement.
En hommage à la mémoire de feu Ismail Kadaré, le gouvernement albanais a proclamé deux jours de deuil national, les 2 et 3 juillet. Lors d’une séance tenue lundi soir, le cabinet du Premier ministre Edi Rama a décidé que le drapeau national serait mis en berne dans toutes les institutions étatiques et publiques en signe de respect pour Kadaré. De plus, des cérémonies publiques sont prévues, avec une commémoration officielle qui se déroulera mercredi matin au Théâtre national d’opéra, de ballet et d’ensemble populaire de Tirana.
L’œuvre de Kadaré, imprégnée de l’histoire complexe de l’Albanie et de la richesse de la culture européenne, l’a établi comme l’un des auteurs les plus influents de son temps.
Né le 28 janvier 1936 à Gjirokastër, une ville historique d’Albanie, Kadaré a montré très tôt un talent pour la littérature. Il a étudié les lettres à l’Université de Tirana puis à l’Institut Gorki à Moscou, une formation qui a forgé son regard critique sur les régimes totalitaires et enrichi sa plume d’une perspective cosmopolite.
Kadaré a débuté sa carrière littéraire en tant que poète avant de se tourner vers le roman, où il a trouvé sa véritable voix. Son œuvre est marquée par une exploration profonde des thèmes de l’histoire, de la dictature et des mythes, souvent à travers une approche allégorique et métaphorique.
Œuvres Majeures
Parmi ses nombreux romans, plusieurs se distinguent comme des chefs-d’œuvre incontournables de la littérature mondiale :
- « Le Général de l’armée morte » (1963) : Ce premier roman, qui l’a révélé au grand public, raconte l’histoire d’un général italien revenant en Albanie des années après la Seconde Guerre mondiale pour récupérer le corps des soldats italiens tombés au combat. Ce livre explore le poids de l’histoire et l’utilité de la guerre.
- « Chronique de la ville de pierre » (1971) : Inspiré par sa ville natale de Gjirokastër, ce roman offre une plongée dans l’histoire turbulente de l’Albanie à travers le regard d’un enfant. C’est une fresque poétique et mélancolique qui dépeint les épreuves et la résilience des habitants.
- « Le Palais des rêves » (1981) : Dans cet ouvrage dystopique, Kadaré imagine un empire totalitaire où les rêves des citoyens sont collectés et interprétés par une bureaucratie oppressive. Le roman est une critique voilée du régime communiste d’Enver Hoxha, qui a dominé l’Albanie pendant des décennies.
- « Avril brisé » (1980) : Ce roman explore les traditions séculaires des vendettas dans les montagnes albanaises, mettant en lumière le conflit entre l’ancien et le moderne. L’œuvre a été adaptée au cinéma par Walter Salles sous le titre « Abril Despedaçado ».
- « Le Concert » (1988) : Une exploration des relations sino-albanaises pendant la rupture sino-soviétique, ce roman critique la rigidité idéologique et les conséquences humaines des alliances politiques.
Patrimoine
Kadaré a reçu de nombreuses distinctions tout au long de sa carrière, y compris le Prix Booker International en 2005, qui récompense l’ensemble de son œuvre. Ses écrits, traduits dans plus de 40 langues, ont non seulement éclairé l’histoire et la culture albanaise, mais aussi offert des réflexions universelles sur le pouvoir, la liberté et l’identité.
En 1990, alors que l’Albanie était encore sous le joug de la dictature, Kadaré a choisi l’exil en France, où il a continué à écrire et à publier. Son choix de vivre en France, et d’écrire aussi bien en albanais qu’en français, enrichit son travail d’une perspective multiculturelle unique.
Ismail Kadaré laisse derrière lui une œuvre riche et variée, qui continue de captiver les lecteurs du monde entier. Ses histoires, mêlant l’intime et le collectif, le passé et le présent, restent une source inépuisable de réflexion et d’inspiration.
Ismail Kadaré a laissé derrière lui un riche recueil de citations qui contiennent ses profondes réflexions sur l’histoire, la politique, la condition humaine et la littérature. Voici quelques-unes de ses citations les plus mémorables :
Sur l’Histoire et la Société
- « L’histoire est un labyrinthe obscur. Elle est pleine de pièges et de chausse-trappes. »
- Cette citation illustre la vision complexe et parfois sombre que Kadaré avait de l’histoire, un thème central dans son œuvre.
- « Le pouvoir absolu, quel qu’il soit, a besoin d’être travesti en pouvoir légitime. C’est pourquoi il a toujours cherché à revêtir les vêtements d’appareil de l’Histoire. »
- Dans « Le Palais des rêves », Kadaré explore comment les régimes totalitaires manipulent l’histoire pour justifier leur domination.
- « L’Albanie est le pays des rêves et des cauchemars, des légendes et des mythes. »
- Kadaré exprime ici la dualité de son pays natal, un lieu où les récits fantastiques se mêlent aux dures réalités.
Sur la Littérature et l’Écriture
- « La littérature est la meilleure arme contre les dictatures. Elle préserve la mémoire, et sans mémoire, il n’y a pas de liberté. »
- Une réflexion sur le rôle crucial de la littérature dans la résistance contre l’oppression.
- « Chaque roman est une lettre adressée à l’avenir. »
- Kadaré voyait ses œuvres comme des messages intemporels, porteurs de significations pour les générations futures.
- « Écrire, c’est un acte de libération. C’est le seul moyen de se sauver soi-même et de sauver les autres de l’oubli. »
- Une puissante déclaration sur l’acte d’écrire et son pouvoir de rédemption et de préservation de la mémoire collective.
Sur la nature humaine
- « L’âme humaine est un champ de bataille où luttent en permanence la lumière et l’obscurité. »
- Kadaré explore ici la dualité inhérente à l’expérience humaine, un thème récurrent dans ses romans.
- « Les grandes douleurs sont muettes, ce sont les petites qui crient. »
- Cette citation met en lumière comment les souffrances les plus profondes sont souvent celles qui se manifestent le moins à l’extérieur.
Sur la politique et le pouvoir
- « Le totalitarisme n’est pas seulement une question de régime, c’est une maladie de l’esprit. »
- Kadaré critique ici les régimes autoritaires, les voyant comme des manifestations de maux plus profonds dans la société.
- « Les dictatures sont comme des monstres mythologiques : elles naissent, grandissent, et finissent par dévorer leurs propres créateurs. »
- Une observation sur la nature autodestructrice des régimes dictatoriaux.
Ces citations révèlent la profondeur de la pensée de Kadaré et la façon dont il a utilisé la littérature pour explorer et critiquer les aspects fondamentaux de la société et de l’existence humaine.
Photo de couverture @ WIKIPEDIA
Souffle inédit
Magazine d’art et de culture
Une invitation à vivre l’art