Avec The Phoenician Scheme, présenté en compétition officielle au Festival de Cannes, Wes Anderson propose une fresque baroque alliant politique, famille et métaphysique. Dans le rôle de Zsa-zsa Korda, un mystérieux magnat et survivant résolu de six accidents d’avion, Benicio del Toro joue un titan à la dérive, rappelant à la fois Charles Foster Kane et les barons de l’après-guerre.
The Phoenician Scheme : En compétition à Cannes, Wes Anderson orchestre la chute d’un géant
Le film, coécrit avec Roman Coppola, explore les tourments du pouvoir, les fêlures intimes, et la possibilité de la rédemption à travers une histoire riche qui emprunte aux codes de l’opéra, du conte moral et du roman d’aventure.
Derrière les apparences d’un film d’espionnage stylisé, The Phoenician Scheme est avant tout une réflexion sur l’héritage, tant matériel que spirituel. Quand Zsa-zsa convoque sa fille, Liesl – novice religieuse incarnée avec une sobriété éclatante par Mia Threapleton – c’est autant pour lui transmettre un empire que pour renouer des liens rompus. La dynamique du film repose sur cette tension : celle d’un homme habitué aux affaires et à la manipulation, soudain confronté à la foi, au pardon et à la perte.
Visuellement, Anderson retrouve la splendeur des grands studios à Babelsberg, où se déploie une esthétique somptueuse, saturée de détails, de références artistiques et d’objets réels issus de collections prestigieuses. Les costumes créés par Milena Canonero, la photographie de Bruno Delbonnel et la musique de Stravinsky (ou ses échos orchestraux) participent à un classicisme assumé, contrebalancé par l’ironie douce-amère du récit.
Le film se distingue également par sa série de personnages secondaires – allant de Michael Cera en entomologiste norvégien à Scarlett Johansson en cousine ambiguë – qui peuplent cette carte géopolitique fictive d’une « Grande Phénicie Indépendante » en pleine reconstruction. Les enjeux économiques, souvent réduits à des schémas dans d’autres films, prennent ici la forme de boîtes à chaussures, de rituels administratifs, de jeux de pinochle ou de ballets ferroviaires absurdes.
Mais ce qui captive, c’est l’étrange alchimie entre la grandeur du projet (un mégalomane cherchant à créer un nouveau monde) et la simplicité de la conclusion : un père et sa fille, réunis autour d’un plat de pigeon rôti dans une cantine populaire. Le film, tout en culminations burlesques et digressions théologiques, atteint dans sa dernière scène une vérité sobre : l’amour est une entreprise plus ardue que les empires.
The Phoenician Scheme est un film complet, à la fois baroque et maîtrisé, où le grotesque côtoie la grâce. Wes Anderson poursuit ici son exploration des formes narratives, tout en abordant une vérité intime : celle des héritages imparfaits et des métamorphoses tardives.