Adèle Haenel, actrice française et militante, embarque sur la flottille humanitaire pour Gaza. Retour sur une carrière cinématographique majeure et un engagement féministe, antiraciste et politique sans concessions.
Adèle Haenel embarque pour Gaza : l’actrice au cœur de l’engagement
Le 5 septembre 2025, Adèle Haenel a annoncé qu’elle embarquerait sur la flottille humanitaire « Soumoud », partie de Tunisie pour rejoindre la bande de Gaza. « En ce moment historique crucial, j’ai décidé de monter à bord d’un des navires de la mission humanitaire de la flottille de la Résistance mondiale », a-t-elle déclaré. Aux côtés de militants internationaux et de figures comme Greta Thunberg, l’actrice française veut faire parvenir nourriture et médicaments à une population frappée par un blocus meurtrier. Son geste s’inscrit dans une continuité : celle d’une vie où l’art, la parole et l’action se confondent dans une quête de justice.
Une carrière façonnée par le cinéma d’auteur
Adèle Haenel, née à Paris en 1989, a très tôt été attirée par le théâtre, avant de s’épanouir devant la caméra. Elle a été remarquée dès l’âge de onze ans dans *Les Diables* (2002) de Christophe Ruggia, mais a préféré s’éloigner des plateaux pendant un temps avant de revenir, cinq ans plus tard, dans *Naissance des pieuvres* (2007) de Céline Sciamma. Ce rôle important, celui d’une adolescente qui découvre ses désirs, lui a valu sa première nomination aux César. Une véritable connexion artistique et personnelle s’est alors créée avec la réalisatrice, qui allait marquer son parcours de manière significative.
Progressivement, Haenel s’est imposée comme une figure essentielle du cinéma d’auteur français. Dans *L’Apollonide : souvenirs de la maison close* (2011) de Bertrand Bonello, elle a exploré le monde des courtisanes du XIXe siècle et a fait preuve d’une maturité de jeu surprenante. En 2012, elle a été récompensée par le prix Lumière de la Révélation féminine de l’année. Deux ans plus tard, son interprétation dans *Suzanne* (2013) de Katell Quillévéré lui a valu le César du meilleur second rôle féminin, tandis que *Les Combattants* (2014) de Thomas Cailley l’a consacrée meilleure actrice. Dans ce film, elle incarnait une jeune femme indépendante et rebelle, un type de personnage qui est devenu une de ses marques de fabrique à l’écran.

Ses choix de films témoignent d’une certaine logique : privilégier les personnages complexes et intenses, plutôt que les effets spectaculaires. Elle a joué dans *La Fille inconnue* (2016) des frères Dardenne, confirmant ainsi son intérêt pour les réalisateurs engagés et exigeants. En 2017, elle est apparue dans *120 battements par minute* de Robin Campillo, un film important qui relate les luttes d’Act-Up contre l’épidémie de sida et qui a remporté le Grand Prix du Festival de Cannes.
En 2018, elle a rejoint *Un peuple et son roi* de Pierre Schoeller, une fresque sur la Révolution française, où elle a incarné une figure populaire au cœur de l’histoire collective. Mais c’est en 2019, avec *Portrait de la jeune fille en feu* de Céline Sciamma, qu’elle a connu une reconnaissance internationale. Son rôle de Marianne, une jeune aristocrate promise à un mariage arrangé, a bousculé les codes du cinéma en mettant en lumière une histoire d’amour lesbienne racontée d’un point de vue féminin. Acclamé dans le monde entier, le film a reçu le prix du scénario à Cannes et est devenu un symbole du *female gaze*.
Une actrice au-delà du star-system
Au-delà de la reconnaissance et des prix, Adèle Haenel marque les esprits par sa façon particulière de voir son travail. Elle n’accepte pas n’importe quel rôle, sélectionne avec soin les personnes avec qui elle travaille, et préfère les films qui posent des questions sur le monde qui nous entoure, en plus de raconter une bonne histoire. En 2020, son adhésion à l’Académie des Oscars montre qu’elle est reconnue partout dans le monde. Pourtant, après sa réaction de protestation aux César, elle s’éloigne du cinéma français traditionnel.
Son talent est toujours lié à ce en quoi elle croit. Que ce soit sur les tournages ou dans ses prises de parole, elle montre une force artistique et morale peu commune, ce qui la rend unique dans le monde de la culture. Sa carrière, remplie de projets avec les plus grands réalisateurs européens, est un reflet de son engagement : elle veut que le cinéma soit à la fois politique et personnel, où chaque rôle est une façon de continuer ses combats.

Une voix qui dérange et qui libère
Si Adèle Haenel a séduit autant les spectateurs que les professionnels du cinéma par son talent, c’est avant tout son audace à exprimer ses opinions qui la distingue. En 2019, elle a osé parler des agressions sexuelles qu’elle dit avoir subies pendant son adolescence, mettant en cause Christophe Ruggia. Son témoignage a marqué un tournant important dans le mouvement #MeToo en France. Puis, en février 2020, lors de la cérémonie des César, elle a quitté la salle en criant « La honte ! » lorsque Roman Polanski a été primé. Ce geste fort restera dans les mémoires comme un moment clé de l’histoire culturelle française.
Mais ses engagements ne se limitent pas à la cause des femmes. Elle s’investit également dans la lutte contre le racisme, soutient les mouvements dénonçant les violences policières, et prête sa voix au collectif Vérité pour Adama. Elle a aussi participé à la création du collectif 50/50, qui œuvre pour l’égalité des genres dans le cinéma. Son engagement dépasse largement le simple rôle d’actrice, la transformant en une personnalité politique et morale reconnue.
Vie privée et liberté affirmée
Adèle Haenel assume également une vie privée à contre-courant des conventions. Son coming out lors des César 2014, en remerciant sa compagne Céline Sciamma, fut un moment simple mais marquant. Même séparées, les deux femmes continuent de collaborer artistiquement, dans une complicité qui a marqué le cinéma contemporain.
L’art comme prolongement du combat
En participant à la flottille pour Gaza, Adèle Haenel reste fidèle à elle-même : elle met ses actes en accord avec ses idées, quitte à prendre ses distances avec le monde du spectacle. Ses décisions – de carrière, personnelles, et militantes – témoignent d’une volonté peu commune d’envisager la notoriété différemment, sans se renier.
Que ce soit au théâtre, au cinéma ou sur un navire en mer Méditerranée, Haenel nous rappelle qu’exister pleinement peut être une forme d’opposition.
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