Benedict Cumberbatch confirme son intention de porter à l’écran Rogue Male, le roman de Geoffrey Household publié en 1939. Un récit de traque qui a influencé Ian Fleming et les codes du thriller moderne.
Adapter Rogue Male : Benedict Cumberbatch face à un roman qui interroge le pouvoir
Benedict Cumberbatch ravive un projet qu’il porte depuis près d’une décennie : adapter au cinéma Rogue Male, le roman de Geoffrey Household qui a façonné une part essentielle de la littérature d’espionnage britannique. Invité du podcast SmartLess, l’acteur a expliqué viser un tournage en 2026, évoquant néanmoins un agenda chargé, marqué notamment par son retour pressenti dans le rôle de Doctor Strange. Malgré ces contraintes, il se veut catégorique : « Nous le ferons, définitivement. »
Annoncé en 2016 via sa société SunnyMarch, le film restait jusqu’ici en suspens. Il retrouve aujourd’hui une trajectoire plus précise, alors même que le roman gagne un regain d’intérêt dans un climat politique mondial traversé par la défiance, les nationalismes et la question de la surveillance.
Un roman fondateur du thriller britannique
Publié en 1939, Rogue Male s’impose rapidement comme un jalon du roman de fugitif. Geoffrey Household y raconte l’histoire d’un homme – jamais nommé – qui tente d’assassiner un dictateur européen explicitement inspiré d’Adolf Hitler. Capturé, torturé puis abandonné pour mort, il parvient à s’échapper et regagne l’Angleterre, où il se cache dans la campagne, traqué à la fois par les services du régime et par ses propres autorités.
Le texte frappe dès sa sortie par sa précision géographique, sa structure en spirale et son écriture presque clinique. Household, ancien employé de la banque d’Angleterre puis rédacteur dans plusieurs pays européens, met au service du roman une expérience directe de l’avant-guerre et de ses tensions diplomatiques.
Le livre influence durablement le genre : Ian Fleming reconnaîtra plus tard sa dette envers Household, notamment dans la construction psychologique de James Bond et dans l’idée d’un héros solitaire mû par une loyauté instable.
Benedict Cumberbatch et la relecture contemporaine de Rogue Male
Le choix de Benedict Cumberbatch n’est pas uniquement celui d’un acteur à la renommée internationale. Son intérêt pour le matériau original s’inscrit dans une volonté d’explorer un récit où la politique s’exprime en creux, dans la clandestinité, l’isolement et la peur. Sur SmartLess, il rappelle que l’histoire dépasse le simple cadre du thriller : « Plus nous avancions dans le travail, plus il apparaissait que le roman résonne avec l’époque actuelle. »
Cette lecture contemporaine s’appuie sur des enjeux précis :
— des États qui se défient les uns des autres,
— une surveillance renforcée,
— la question du citoyen face aux institutions,
— la possibilité d’une dérive autoritaire.
Rogue Male n’est pas un récit spectaculaire. C’est un roman de tension lente, de dissimulation, d’introspection. Household y décrit des refuges improvisés, des itinéraires invisibles, une géographie de la fuite qui reflète les incertitudes politiques de son temps. Cette dimension intéresse particulièrement Cumberbatch, qui y voit un miroir de la fragmentation actuelle.
Un projet d’adaptation ancré dans l’histoire du cinéma
La volonté d’adapter Rogue Male n’est pas nouvelle. Le cinéaste Fritz Lang en propose une version en 1941 intitulée Man Hunt, réalisée à Hollywood après sa fuite de l’Allemagne nazie. Le film transpose le roman tout en accentuant ses enjeux propagandistes, dans une période où Hollywood se rapproche progressivement de l’effort anti-fasciste.
En 1977, la BBC confie à Peter O’Toole une adaptation télévisée fidèle à l’esprit du roman : un récit dépouillé, presque ascétique, centré sur la psychologie du personnage. Cette version demeure pour beaucoup la plus proche de l’œuvre originale.
Le projet porté par Benedict Cumberbatch s’inscrit dans cette lignée tout en souhaitant s’en démarquer. Le scénario a été confié dès 2016 à Michael Lesslie, auteur des scripts de Macbeth (Justin Kurzel) et Assassin’s Creed. Aucune information récente n’a été publiée sur l’état de la réécriture, mais la structure narrative – alternant fuite, introspection et confrontation – offre un matériau propice à une adaptation à la fois fidèle et contemporaine.
La question de la mise en scène, encore tenue secrète, devrait orienter la lecture du roman : film de survie, drame politique, thriller d’espionnage minimaliste ou récit d’homme traqué ? Household laisse toutes ces pistes ouvertes.
Pourquoi Rogue Male fascine encore
Si Rogue Male conserve sa force, c’est qu’il interroge un motif permanent : l’individu face au pouvoir. Household joue sur la tension entre la liberté de l’homme traqué et la violence discrète des appareils d’État. Le roman décrit une Europe où les frontières politiques bougent plus vite que les certitudes morales, et où l’ennemi n’est pas toujours celui que l’on croit.
Cette ambivalence explique peut-être l’intérêt durable des artistes. Sous son apparente simplicité – un homme qui se cache –, le livre explore une zone plus complexe : celle où la survie rejoint la désobéissance, où la clandestinité devient un espace de lucidité.
Cumberbatch, qui a souvent choisi des rôles situés dans cette tension (Alan Turing, Sherlock Holmes, Patrick Melrose), semble décidé à en faire une œuvre à la fois fidèle et interprétée, attentive au sous-texte politique sans l’écraser.
Avec ce projet, Cumberbatch ne cherche pas à revisiter un mythe : il retourne à une source. Une façon d’interroger le présent à travers un roman qui n’a jamais cessé de rappeler que la menace la plus proche n’est pas toujours visible.
Photo de couverture @ Wikimédia



