Musique

Caroline-Christa BERNARD, invitée de Souffle inédit

Entretien avec Caroline-Christa BERNARD

Manureva : un contact interculturel et un échange interlingual

Dans cet entretien, Caroline-Christa BERNARD revient sur la relecture de la chanson de Serge GAINSBOURG jugée comme ode à la concorde, sonorité de sérénité et inquiétude de quiétude. Elle souligne aussi la force évocatrice de la chanson permettant de s’évader dans les recoins du monde. Ce voyage est traduit à travers des rencontres interculturelles et des échanges inter linguistiques.

 Entretien conduit par Youcef Bacha

Caroline-Christa BERNARD, invitée de Souffle inédit

Dans la chanson reprise par vos soins, « Manureva » est un mot tahitien qui signifie « oiseau du voyage ». Tahitien est l’une des cinq langues reconnues de la Polynésie française. Pourquoi l’introduction de ce mot qui provient d’une langue accentuelle minorée parlée dans l’archipel de la Société ? Qu’ajoute-t-il à la rythmicité de la chanson ?

Caroline-Christa BERNARD. « Manureva » est le nom donné au bateau trimaran du navigateur Alain COLAS disparu en mer en 1978 lors de la première « Route du Rhum ». Cette disparition est entourée de mystère, aucun élément d’une épave de ce bateau n’ayant été retrouvée à ce jour.

C’est ce mystère que j’ai voulu souligner dans ma reprise de la célèbre chanson d’Alain CHAMFORT dont les magnifiques paroles en hommage à ce « bateau fantôme » sont de Serge GAINSBOURG.

Avant de disparaître des radars, le dernier message radio d’Alain COLAS fut le suivant : « Je suis dans l’œil du cyclone, il n’y a plus de ciel, tout est amalgame, il n’y a que des montagnes d’eau autour de moi.»

Avec ce morceau, j’ai voulu jouer avec la rythmicité en alternant des plages de chant et des plages de silence pour m’associer à cet hommage en souvenir d’Alain COLAS mais également pour toutes les personnes disparues de notre entourage, plus particulièrement en mémoire à deux personnes décédées récemment au sein de ma famille et à qui je dédie cette chanson rebaptisée « Nos Adieux ».

J’ai voulu également faire passer un sentiment de solitude, lorsque les êtres chers nous quittent, en parallèle avec la course en solitaire menée par ce bateau d’Alain COLAS.

« Manureva » est un mot tahitien signifiant « oiseau du voyage » ou « oiseau des îles », la compagne d’Alain COLAS étant elle-même tahitienne. Ensemble, ils ont eu trois enfants. Après la mort d’Alain COLAS, sa famille est retournée vivre à Tahiti.

Caroline-Christa BERNARD, invitée de Souffle inédit

Manureva est migrateur dans la chanson : de Jamaïca à l’Alaska en passant par Bora Bora et Cuba. Cette migration intercontinentale de Manureva se veut un contact interculturel. Quelle lecture donnez-vous à ce voyage intercommunautaire ?

Caroline-Christa BERNARD. Cette chanson « Manureva » est une invitation au voyage pour tous ceux qui n’auront jamais la chance de découvrir ces contrées magnifiques que sont la Jamaïque, l’Alaska, Bora Bora ou encore Cuba. La force évocatrice d’une chanson est justement de permettre la rêverie pour s’évader loin du quotidien, de voyager intérieurement vers ces destinations qui résonnent comme des coins de paradis.

« Manureva » est une traversée pacifique, splendide et harmonieuse, sans frontière et sans heurt, comme un long fleuve qui se jette dans la mer et dans tous les océans dans une sorte de fraternité entre le Pôle Nord et le Pôle Sud. Ce bateau est un symbole de liberté et de paix à travers un voyage planétaire tout autour de la terre.

La chanson est poétiquement marquée par une rime plate qui affiche une tonalité joyeuse à l’oreille et une image frappante à l’œil.  Pourquoi une telle poéticité à l’intérieur de la chanson ?

Caroline-Christa BERNARD. Une chanson repose sur l’alliance indivisible entre la musique et les mots. Il n’y a pas de chanson sans mélodie et il n’y a pas de chanson sans poésie. Chaque chanson véhicule un message d’où l’importance du choix des sonorités et des paroles.

Serge GAINSBOURG, auteur du texte de cette chanson « Manureva », est connu pour son génie musical mais également pour son talent poétique. Il faut rappeler également que Jane BIRKIN, compagne de Serge GAINSBOURG, était la marraine du bateau d’Alain COLAS. Ce qui explique l’implication de Serge GAINSBOURG dans cette ultime dédicace à Alain COLAS sublimant la dérive du bateau de ce navigateur.

La beauté réunie de la musique et des paroles fera de cette chanson un immense succès en France et à l’international, permettant ainsi de prolonger l’aventure du trimaran « Manureva » à travers le monde. Un million d’exemplaires de cette chanson a été vendu en France et dans tous les pays réunis.

La chanson décrit des espaces toponymiques : les côtes de Jamaïca, les glaces de l’Alaska et les lumières de Nouméa. Pourquoi cette variation toponymique à l’intérieur de la chanson ? Quelles valeurs musicales ajoutent-elles à la chanson ?

Caroline-Christa BERNARD. Dans une humanité traversée par les guerres et les conflits depuis la nuit des temps, l’histoire de ce bateau « Manureva » est une ode à la concorde et à la sérénité, ce trimaran visitant tous les rivages de la terre dans une sorte de fluidité, de tranquillité et de quiétude sans aucun trouble. Cette chanson nous emmène loin de nos paysages urbains vers des contrées où la nature est omniprésente dans toutes ses composantes et diversités, qu’il s’agisse de paysages polaires ou de climats tropicaux.

« Manureva » nous rappelle combien notre planète est à la fois belle et fragile dans une démarche qui pourrait avoir aujourd’hui un écho écologique dans une optique de préservation de la nature et de l’environnement, ces zones glaciaires et ces régions tropicales étant de nos jours gravement menacées.

MANUREVA – NOS ADIEUXSerge GAINSBOURG

Manu Manureva
Où es-tu Manureva ?
Bateau fantôme, toi qui rêvas,
Des îles et qui jamais n’arriva,

Des jours et des jours tu dérivas,

Mais jamais, jamais tu n’arrivas,
Là-bas.

Où es-tu Manureva ?

Porté disparu,

Manureva, pourquoi ?

As-tu abordé les côtes de Jamaïca ?

Bateau fantôme, toi qui rêvât.

As-tu aperçu les lumières de Nouméa ?

Oh, héroïque Manureva,

Dans les glaces de l’Alaska,

Là-bas,

Des îles et qui jamais n’arriva.

Aurais-tu sombré au large de Bora Bora ?

Oh, héroïque Manureva,
Es-tu sur les récifs de Santiago de Cuba ?

Mais où es-tu Manureva ?

Dans les glaces de l’Alaska.

Où es-tu Manureva ?

Là-bas,

A la dérive Manureva

Tu es parti, pourquoi ?

Porté disparu Manureva

Mais jamais, jamais, tu n’arrivas
Là-bas.

Youcef BACHA, jeune chercheur et maître de conférences en Sociolinguistique et en didactique des langues.

La chanteuse 

Musique

Lire aussi 

Souffle inédit

Magazine d'art et de culture. Une invitation à vivre l'art. Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *