« Amal un esprit libre », film de Jawad Rhalib
Amal un esprit libre, film de Jawad Rhalib, avec Lubna Azabal, Catherine Salée et Fabrizio Rongione, drame, Belgique, 2024
Par Djalila Dechache
Avant première
Dans le cadre des rendez-vous des cinéastes, le centre Wallonie Bruxelles à Paris diffuse des films avant leur sortie en salles. C’est une manière de les soutenir hors de leur pays. Le Directeur du lieu vient nous informer du caractère particulier des collèges et lycées en Belgique. En effet, il y est donné des cours de morale et de religion, deux heurs par semaine, pour lesquelles les élèves s’inscrivent selon leur obédience familiale.
En réponse à la montée du parti politique de l‘extrême droite qui y voit un point d’attaque des étrangers, le cinéaste Jawad Rhalib a construit cette fiction de style documentaire, née dans son esprit il y a 5-6 ans.
Un film courageux
Amal (signifie espoir), jeune professeure de Lettres, dynamique, enseigne dans une classe bigarrée, pose le thème de la peine de mort en s’adossant au texte de Victor Hugo Le dernier jour d’un condamné. S’y côtoient des élèves maghrébins, africains ainsi que des élèves lambda. Elle est impliquée, sérieuse veut donner à la jeunesse un esprit critique et raisonné.
Dans cette classe une jeune fille, Monia est ostracisée, elle est harcelée sur le Web, reçoit des menaces de morts par pendaison, a été frappée par des élèves se réclamant d’un islam pur et dur.
Elle est traitée de lesbienne. Chez elle, son père épicier tranquille ne sait rien de ce qu’elle vit.
Un des collègues d’Amal (magnifique Luna Azabal comme d’habitude, convaincante, elle vit ce rôle comme une seconde nature, elle est fébrile, nerveuse, veut que les mentalités changent) est Nabil, à la fois imam et enseignant chargé des cours de religion. Il assure son enseignement en classe armé du seul Coran en improvisant sur ce qui se passe autour de lui.
Trois élèves vont jouer un rôle décisif : Jalila, forte tête, voilée à l‘extérieur de l‘enceinte scolaire, Monia et Rachid qui a été exclu du lycée une semaine suite à l‘accusation de violence faite sur Monia.
Petit à petit, on découvre leur quotidien qui tourne autour des lois de l’islam. Le père de Rachid est boulanger, usé par un travail difficile, le père de Monia, épicier de quartier ne voit rien venir non plus, et les parents de Jalila sont les grands absents.
Ce qui pousse à comprendre qu’adultes et jeunes sont livrés à eux-mêmes et ne communiquent pas forcément sauf pour ce qui touche à la religion. L’absence criante des mères est palpable, elles sont nécessaires à l‘équilibre d’un foyer si elles restent « tranquilles ». L’une d’entre elles, la mère de Rachid s’est sauvée craignant le pire pour sa vie, elle communique par mail avec ses enfants Rachid et son petit frère.
Au lycée, l‘équipe pédagogique se réunit et tente de statuer sur le cas de Monia :
Faut-il l‘éloigner du lycée ou la laisser venir normalement dans une situation anormale et violente ? Une altercation a lieu entre Nabil et Amal, tous deux qui se situent aux antipodes de leur enseignement respectif et de leur vision du monde. La directrice tente de minimiser la situation.
Amal décide d’étudier un poème du poète satirique arabe Abu Nawwas du VIII ème siècle tiré de ses Poèmes libertins, où il évoque l‘amour qu‘il porte à un homme.
La situation devient critique, plusieurs élèves quittent la classe, trop choqués par ce choix de texte. Les parents d’élèves avertis, l‘un d‘entre eux est Président de l’association de leur association, demandent audience à la Directrice du lycée pour exprimer son mécontentement et donne une liste d’auteurs à proscrire pendant les cours. La mère de Jalila, en voile intégral ne veut pas que sa fille, lise les poèmes d‘Abu Nawwas. Ces parents parlent arabe entre eux dans ce conseil de classe.
Amal quant à elle précise qu‘elle a la liberté de choisir les textes à étudier et que cela est conforme à ses prérogatives.
Ce qu‘il faut ajouter est que les parents, du moins, les pères ne s’adaptent au contexte géographique dans lequel ils se trouvent, bien au contraire ils sont cantonnés à leurs habituent et leur religion, posent des affichettes dans leur boutique de collecte de construction d’une école coranique, restent entre eux, ne parlent qu’en arabe, vivent comme s’ils étaient toujours au pays. Quand Monia ne vient plus au cours de religion, toute une chaine se met en place pour qu‘elle revienne et pour « faire taire le qu’en dira-t-on, les ragots et le mauvais œil », plus encore il est prévu d’exorciser cette adolescente par une Roqia. (qualifiée de « médecine du prophète » consiste à guérir les maladies occultes par la récitation des versets coraniques et des invocations, etc… ).
Sauf que Monia, diminuée de toutes parts, perd pied et fait une tentative de suicide, elle en échappe in extremis suite à un appel téléphonique elliptique donné à Amal qui réagit très vite et sauve Monia. A son tour Amal est sérieusement menacée, son appartement saccagé et plus encore…
Dès lors, il y a un déclic de la part de Rachid qui dans un geste de rébellion, comprend pourquoi sa mère s’est sauvée, décide de réagir contre Nabil et prend le parti de Monia. Il refuse de cautionner une histoire qui se répète.
Il décide de rejoindre sa mère avec son petit frère.
Amal, un esprit libre est un film coup de poing, très courageux qui entre dans le vif du sujet des communautarismes religieux poussés à l’extrême.
Bande annonce du film Amal un esprit libre
Ce film a obtenu le prix de la meilleure actrice pour Loubna Azabal au Festival Blacks Lights 2023, Festival du Film francophone d’Albi – Prix du Public, CitéCiné, le Festival International du Film Politique de Carcassonne – Prix du Public, Festival Palm Springs – Best of Fest 2024 Belgique.
Amal un esprit libre, film de Jawad Rhalib, avec Lubna Azabal et Catherine Salée, Fabrizio Rongione, drame, Belgique, 2024, 1h51 mn.
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