« Fragments d’un parcours amoureux » de Chloé Barreau est un documentaire intime et universel sur la mémoire amoureuse, à travers les témoignages de douze ex-partenaire·s. Un autoportrait sensible et audacieux, en salle le 4 juin 2025.
Fragments d’un parcours amoureux : Quand l’amour devient mémoire

« À qui appartiennent nos souvenirs ? » La question, posée par la cinéaste Rebecca Zlotowski, traverse en filigrane le documentaire Fragments d’un parcours amoureux de Chloé Barreau, véritable exploration sentimentale et mémorielle qui interroge avec une rare délicatesse ce qu’il reste de nos amours passées.
Depuis l’adolescence, entre Paris et Rome, Chloé Barreau a filmé ses relations amoureuses. De ses archives intimes — vidéos, lettres, fragments d’images — émerge une cartographie sentimentale qu’elle décide de revisiter avec un geste audacieux : donner la parole à douze de ses ex-partenaires, en confiant leur entretien à une tierce personne, la journaliste Astrid Desmousseaux. Ce dispositif à la troisième personne permet à la réalisatrice de se mettre en retrait et d’observer son propre passé à travers les mots des autres.

Un documentaire de l’absence
Ce qui frappe d’abord, c’est le choix de l’absence comme présence : Barreau n’apparaît presque pas à l’écran, préférant laisser à ses anciens partenaires la liberté de raconter leur version de l’histoire. En filigrane se dessine un autoportrait inversé, parfois tendre, parfois cru, toujours sincère. Le film devient alors un exercice de mémoire partagé, où les souvenirs ne coïncident pas toujours, mais se superposent pour créer une vérité composite, forcément subjective.
La démarche, intime et courageuse, implique un risque évident : celui du retour de flamme. « Je m’expose à un retour de flamme, c’est la règle du jeu », admet la réalisatrice, consciente que revisiter ses ruptures, c’est aussi raviver ce qu’on croyait éteint. Les témoignages dressent un portrait nuancé, parfois critique, d’une femme multiple, passionnée, insatiable amoureuse.

Une œuvre romanesque et universelle
Ce qui aurait pu rester un journal intime devient une œuvre universelle, tant les expériences évoquées résonnent avec celles du spectateur. D’un exil sentimental (selon les mots de Zlotowski) à une quête d’amour effrénée, Chloé Barreau livre un film profondément humain, où la générosité l’emporte sur le narcissisme. Elle prouve avec justesse que raconter l’intime peut aussi toucher au collectif, dès lors que le récit est partagé avec humilité.
À travers ces confessions croisées, Fragments d’un parcours amoureux interroge la mémoire : qu’est-ce qui subsiste lorsque l’amour s’efface ? Des images ? Des silences ? Des regrets ? Pour reprendre Charles Trenet, « que reste-t-il de nos amours ? » — une question dont le film cherche des réponses sans jamais les imposer.
Une esthétique de la douceur
Tourné entre la France et l’Italie, le film bénéficie d’une photographie soignée et d’un montage sensible, qui laisse place à l’émotion sans excès. La musique originale de Rosemary Standley accompagne cette traversée sentimentale avec une mélancolie contenue. Récompensé dans de nombreux festivals — Grand Prix documentaire à San Francisco, Meilleur documentaire à Barcelone, Prix du Public à Toulouse et Venise — Fragments d’un parcours amoureux séduit par son audace formelle et sa sincérité. Ce n’est pas seulement un film sur Chloé Barreau : c’est un film sur chacun d’entre nous, sur nos failles, nos élans, nos oublis.
Plus on aime, plus on aime
En filigrane, une vérité simple mais bouleversante émerge : plus on aime, plus on aime, selon la formule lumineuse d’Anna Mouglalis. Ce documentaire est moins un testament amoureux qu’un chant d’amour aux histoires vécues, dans leur diversité, leur intensité, et parfois leur chaos.
Avec Fragments d’un parcours amoureux, Chloé Barreau signe un film pudique et impudique à la fois, à la frontière du journal intime et du récit universel. Un bijou de tendresse et de lucidité sur la plus vieille et la plus vitale des émotions humaines : l’amour.