« Perfect Days » film de Wim Wenders
« Perfect Days » film de Wim Wenders Avec Kōji Yakusho, prix d’interprétation Festival de Cannes 2023.
Par Djalila Dechache
Le public européen avait déjà eu l’occasion de voir un film somptueux qui se déroule au Japon actuel « Family Romance LLC » par le réalisateur allemand Werner Herzog en 2020, qui faisait venir des larmes d’impuissance du public face au monde de la vitesse et de la perte des relations familiales et sociales. Un film poignant signant la perte de toute espérance.
Perfect days
« Perfect days » au titre tout aussi ironique, c’est autre chose même si le film n’en est pas moins d’apparence triste. Un homme, la soixantaine, vit seul dans un petit appartement avec l’essentiel : des livres, de la musique et des plantes vertes. Il fait sa toilette chaque matin, bel homme coquet, il se taille la moustache de quelques millimètres chaque matin, prend un café en cannette dans son distributeur personnel situé dans la cour, se rend au travail dans sa camionnette en écoutant des cassettes audio « vintage » dont « The house of the rising sun » ou « Les portes du pénitencier ». Il est employé au sein d’une entreprise de toilettes publiques disséminées dans la ville de Tokyo.
Il a un collègue, jeune et geignard, toujours à se plaindre, souvent en retard et part plus tôt, désabusé, désargenté mais amoureux d’une jeune fille aux cheveux teints en blond, ce qui nécessite d’avoir un budget en conséquence ! Le contraste est saisissant, ce jeune est bavard autant que Hirayama est silencieux. Sa vie s’écoule entre son travail qu’il fait de manière méticuleuse, il observe les petits riens de la vie qui le font doucement sourire. C’est un solitaire qui est toujours prêt à rendre service, comme avec ce petit garçon, le seul dans le film, qui s’est enfermé dans des toilettes et qui appelle sa maman. Seul l’enfant lui fera un petit signe de remerciement lorsque sa mère, très en colère le récupèrera.
L’homme observe les arbres lors de sa pause déjeuner qu’il fait dans un parc qu’il salue avant d’en franchir le seuil. On dirait que, depuis la cime, les arbres respirent, dansent et chantent, qu’il est le seul à en comprendre le langage.
Des jours et des nuits
Avant de s’endormir, il lit quelques pages et ses nuits sont intenses, il fait des songes avec des ombres, des visages furtifs, roue de vélo, des sons d’oiseaux, des lignes qui se croisent ou pas… était-ce sa vie d’avant qui revient en songes ? D’avant quoi ? Lorsqu’il était marié avec femme, enfants et une activité professionnelle plus valorisante ? Qui sait ? Ou peut-être toutes les photos qu’il fait d’arbres avec son petit Olympus qu’il dégaine assez souvent, preuve en est, sa quantité de boites impressionnante où sont rangées méthodiquement les photos par année et par mois.
Il est immanquablement réveillé par le voisin qui balaie au matin les feuilles mortes tombées par le vent, le chuintement du balai lui chatouille l‘esprit et d’un bond il se lève, range son futon et se prépare.
En dehors de cela, il semble n’avoir aucun lien, aucune relation, aucune contingence matérielle, son téléphone portable n’a sonné qu’une seule fois de la part de son patron pour remplacer le jeune collègue flottant démissionnaire.
Au bout d’une heure de projection de ce film, on se dit, il y a quelque chose qui cloche ! Il manque quelque chose, on ne peut se contenter du vide, du rien ou du pas grand-chose chez cet homme seul et silencieux, on aimerait le voir avec des gens, avoir des interactions sociales comme on dit.
Cela ne tarde pas à arriver avec sa nièce, adolescente charmante qui déboule dans sa vie pour sa fugue, il lui dit « Le monde est fait de nombreux mondes » ! Sur leur vélo, ils répètent chacun leur tour comme des enfants : « maintenant c’est maintenant, la prochaine fois c’est la prochaine fois ».
Elle ne s’entend plus beaucoup avec sa mère. Ils vont passer quelques jours sympathiques à se découvrir, à faire du vélo, jusqu’au moment où la mère arrive dans une voiture prétentieuse avec chauffeur afin de récupérer sa fille. Elle lui offre les chocolats qu’il préfère et elle jette à la figure comme une claque : « alors, c’est vrai, tu nettoies les toilettes ? ».
Silence, tête baissée, épaules voutées, il étreint sa sœur, se quittent, il se met à pleurer de tout ce qui il a retenu depuis si longtemps. C’est poignant !
Le regard et les réflexions en provenance de la famille tuent.
Un film sur les petits riens qui apportent de grandes émotions…
C’est un film sur les petits instants comme les grands, sur l’observation, sur les regards , sur la ville tentaculaire aux échangeurs routiers dans la ville pleine d’immeubles alignés, sur les émotions contenues comme avec «Mama San» la propriétaire d’un petit restaurant où notre héros se rend le soir pour dîner, elle chante pour les habitués, on sent qu’il y a quelque chose qui circule entre les deux , c’est diffus, fin, délicat, le voisin de bar remarque que sa dose de saké ne’st pas aussi généreuse, il faut être japonais pour comprendre, ressentir et décrypter ce genre de choses. Et puis c’est un film ponctué de musiques aux airs connus ou moins connus, d’ailleurs il se termine par le beau sourire du personnage, sur un magistral …And i feel good de l’authentique et superbe Nina Simone qui enveloppe la salle de cinéma ainsi que nos cœurs.