Cinéma

Philippe Le Guay invité de Souffle inédit

Entretien avec Philippe Le Guay 

Par Aymen Hacen

Philippe Le Guay : « Je suis du côté de l’indulgence »

Né à Paris en 1956, Philippe Le Guay a fait des études de lettres et de cinéma.

Auteur remarqué de longs métrages tels que Les Deux Fragonard, en 1989, Le coût de la vie, en 2003, Du jour au lendemain, en 2006, Alceste à bicyclette, en 2013, et L’Homme de la cave, en 2021, il a dirigé de grands acteurs dont Jean Rochefort, Sami Frey, Fabrice Luchini, Lambert Wilson, François Cluzet, Bérénice Bejo ou encore Jonathan Zaccaï.

Téléfilm de Philippe Le Guay

 

Rencontre

Nous voudrions commencer par votre dernier travail, L’histoire d’Annette Zelman, diffusé mercredi 25 janvier 2023 sur France 2. Ce téléfilm est tiré d’un scénario d’Emmanuel Salinger, inspiré du livre de Laurent Joly, Dénoncer les juifs sous l’Occupation, paru en 2017 aux éditions du CNRS. Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce téléfilm qui nous a personnellement beaucoup émus ?

Philippe Le Guay. Tout est parti du livre de l’historien Laurent Joly, Dénoncer les juifs sous l’occupation. Comme son titre le suggère, le livre est une enquête historique approfondie sur les milliers de lettres de dénonciation qui ont circulé en France de 40 à 44. La plupart des cas, le mobile de la dénonciation était purement intéressé, des voisins cherchant à s’accaparer les biens des juifs en les dénonçant à l’occupant. Le cas d’Annette Zelman est très différent, ce sont les parents d’un jeune homme, Jean Jausion, qui ont dénoncé Annette pour empêcher son mariage avec leur jeune fils. Le pire est qu’Hubert Jausion le père de Jean n’avait pas l’intention de la condamner, il croyait naïvement qu’Annette serait refroidie dans ses ardeurs. Finalement, la jeune femme a été arrêtée et déportée à Auschwitz… C’est cet engrenage fatal contre un amour libre et innocent qui rend l’histoire particulièrement poignante…

Nous vous avons personnellement découvert grâce à Alceste à bicyclette, film que vous avez réalisé à partir d’un scénario que vous avez écrit en collaboration avec Fabrice Luchini. Comment avez-vous travaillé ensemble ?

Philippe Le Guay. Au départ d’Alceste à bicyclette, il y a une déambulation en vélo avec Fabrice dans les sentiers de l’île de Ré. Je venais lui apporter le scénario des Femmes du 6° étage, il était à ce moment en vacances sur l’île, je suis parti à sa rencontre sur les chemins dans les marais, Fabrice est venu à ma rencontre. Je lui ai dit : « Tu habites au bout de l’île comme un misanthrope », il n’en a pas fallu davantage pour qu’aussitôt il se mette à réciter la scène de l’Acte 1 du Misanthrope. Nous étions là en vélo, le soleil se couchait, il y avait des mouettes dans le ciel, la mer au loin qui scintillait, le monde entier éclairé par le génie de Molière. À un moment nous nous sommes arrêtés de pédaler, on s’est regardés et je lui ai dit : « On va faire un film ensemble, ça s’appellera Alceste à bicyclette. » Et trois ans plus tard, nous nous sommes retrouvés sur les mêmes chemins pour tourner le film !

Y-a-t-il une morale derrière cette mise en abyme rendant hommage à Molière, au théâtre et à l’importance du texte dans tout travail dramatique et artistique ?

Philippe Le Guay. Le film est avant tout un geste d’admiration envers le texte de Molière, et il en est aussi une adaptation décalée. Serge Tanneur joué par Luchini est un acteur amer, qui a décidé de quitter le métier pour se réfugier sur une île. Il en veut à la terre entière, il cultive son ressentiment, dans ce sens il est un misanthrope revenu de tout. Gauthier, joué par Lambert Wilson, est un acteur à succès, qui s’offre la possibilité de jouer Le misanthrope mais qui a n’a rien en lui des caractéristiques du personnage. Il est bien plus proche de Philinte, le prudent, le raisonnable, il n’hésite pas à tricher avec la sincérité, il ne veut pas faire de vagues…

Comment avez-vous réussi à diriger ensemble ces deux monstres sacrés du cinéma français que son Fabrice Luchini et Lambert Wilson ?

Philippe Le Guay. Le tournage a été très harmonieux, il y avait entre Fabrice et Lambert une connivence, une complicité. Lambert avait un peu peur au début de la lucidité effroyable de Fabrice, sa façon de scannériser les gens, de les mettre à nu. J’ai eu à cœur de l’accompagner, sans doute parce que des deux personnages, je m’identifie totalement à Philinte. Je suis du côté de l’indulgence, j’aime trouver les raisons aux personnages, les excuser. Ça me paraît du reste une condition essentielle de la mise en scène.

Dans quelle mouvance cinématographique vous situez-vous ? Vos études de lettres jouent-elles un rôle dans vos choix et travaux sur l’image ?

Philippe Le Guay. Mes parents s’inquiétaient de me voir tenter ma chance dans le milieu du cinéma où je ne connaissais personne, c’est l’une des raisons qui m’ont conduit à faire deux khâgnes au lycée Condorcet. Mais j’ai toujours aimé la littérature, de la même façon passionnelle que le cinéma. Je ne sépare pas les deux, et je ne crois pas pour autant faire un cinéma « littéraire ». Du reste j’écris toujours mes scénarios, souvent accompagné par un scénariste, comme c’est le cas avec Jérôme Tonnerre.

Quelle différence percevez-vous entre la télévision, média que vous fréquentez rarement, et le cinéma ?

Philippe Le Guay. Le cinéma reste avant tout un espace de liberté. Faire des films pour la télévision revient souvent à répondre à la commande des chaines, qui ont des idées très précises sur le type d’objet qu’ils doivent diffuser. Je dois cependant préciser qu’aussi bien sur Annette Zelman que sur V comme Vian, que j’ai tourné en 2010 (un biopic consacré à Boris Vian), j’ai bénéficié d’un vrai soutien et d’une grande compréhension de la part de France 2.

Vous êtes en couple depuis plus de vingt ans avec un grand écrivain et essayiste, Belinda Cannone, dont l’œuvre est aussi exigeante que courageuse. Joue-t-elle un rôle dans vos choix et divers travaux ? De votre côté, l’influencez-vous dans son écriture ?

Philippe Le Guay. Vous abordez un sujet intime et délicat ! Je n’aurais pas la présomption de dire que j’influence Belinda en quoi que ce soit, et surtout pas dans son écriture. En revanche, nous nous faisons lire nos travaux personnels, nous échangeons sur la pertinence de tel thème ou de tel développement. C’est un partage à égalité, où chacun dit ce qu’il pense en toute sincérité…

Si vous deviez tout recommencer, quels choix feriez-vous ? Si vous deviez incarner ou vous réincarner en un mot, en un arbre, en un animal, lequel seriez-vous à chaque fois ?

Philippe Le Guay. Si je devais tout recommencer ? Vous savez c’est étrange, quand je regarde les dix films que j’ai tournés, j’aurai été incapable de dire à l’avance, voilà mon programme, j’ai ces films en tête et je vais les faire. J’ai l’impression que les films m’ont choisi plus que je les ai choisis moi-même. Des hasards, des rencontres avec des acteurs comme celle déterminante avec Fabrice Luchini, ou plus tard avec Jean Rochefort ont décidé de certains projets. J’avais une idée de cinéma pur, sans dialogue ou presque, et je m’aperçois que j’ai tourné des films où la parole a une grande place…

Une question que nous posons pour la première fois : quel film voudriez-vous être ?

Vouloir « être un film » c’est une curieuse entreprise ! Peut-être je me reconnais tout entier dans La règle du jeu de Jean Renoir, film total, comédie et drame à la fois, ballet de personnages et de sentiments contradictoires…

Si un seul de vos textes ou travaux doit être traduit dans d’autres langues, en l’occurrence en arabe, lequel choisiriez-vous et pourquoi ?

Philippe Le Guay. Je serai fier qu’Alceste soit traduit en arabe, grâce aux acteurs et au texte de Molière dont je crois qu’ils sont universels. Et dans un tout autre registre, Trois Huit, qui raconte une histoire d’harcèlement moral dans une usine de fabrication de bouteilles. Je crois qu’il y a dans ce film une composante de violence et d’humiliation qu’on retrouve dans toutes les cultures…

Aymen Hacen

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Souffle inédit

Magazine d'art et de culture. Une invitation à vivre l'art. Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.

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