Le film Les Filles Désir de Prïncia Car, en salles le 16 juillet 2025, dresse le portrait poignant et solaire d’une jeunesse marseillaise prise entre injonctions genrées, amitiés puissantes et désirs d’émancipation. Une fiction vibrante née d’un travail collectif au cœur des quartiers nord.
Les Filles Désir : Peut-on s’émanciper quand les rôles sont déjà écrits ?
Marseille, jeunesse et réinvention des récits

Un été à Marseille. Sous un aqueduc, Omar et sa bande, animateurs de centre de loisirs, vivent à la fois la légèreté des jours et le poids d’un héritage viriliste : « les filles qu’on épouse » et « celles qu’on baise ». Mais le retour de Carmen, une amie d’enfance revenue d’une trajectoire marginalisée, vient bousculer les rôles, les attentes et les désirs. C’est là que Les Filles Désir prend forme : dans l’intimité de ce groupe, et plus encore, dans le lien qui unit Carmen à Yasmine, deux jeunes filles en quête de liberté.
Ce premier long métrage de Prïncia Car, coécrit avec Léna Mardi et produit par Johanna Nahon, est bien plus qu’un film : c’est l’aboutissement d’un processus artistique, social et politique engagé depuis plusieurs années dans les quartiers nord de Marseille. Une démarche qui mêle théâtre, écriture collective, improvisation, et cinéma.

Un projet ancré dans la ville et la réalité
Née d’un atelier d’écriture mené par Prïncia Car en 2017 auprès de jeunes non-professionnels du 3e arrondissement de Marseille, la dynamique du film s’inscrit dans une pratique vivante, collective et inclusive. Le court métrage Barcelona, né de ce même groupe, avait déjà été sélectionné à Clermont-Ferrand. Depuis, une école alternative, des projets successifs et des années de fidélité artistique ont forgé un collectif. Les Filles Désir est leur aboutissement.
Le film est tourné entièrement en décors naturels, avec des acteurs et actrices non professionnels qui livrent une interprétation brute, libre, ancrée dans leurs réalités. Loin des clichés misérabilistes, Marseille est filmée ici avec chaleur, dans une lumière d’été éclatante, presque solaire. L’image, captée en caméra portée par Raphaël Vandenbussche, épouse le vivant, le mouvement, les visages et la parole.

Corps, parole et émancipation : les filles au centre
Au cœur du récit, deux figures émergent : Carmen (Lou Anna Hamon) et Yasmine (Leïa Haïchour). Leur trajectoire commune, qui traverse l’amitié, le soutien, l’éveil au désir et la résistance aux normes, est la vraie colonne vertébrale du film. Elles se découvrent, s’aident, s’émancipent. À travers elles, Les Filles Désir interroge l’héritage patriarcal, les injonctions contradictoires faites aux femmes — être sexy mais respectée, vierge mais expérimentée.
Comme le souligne la réalisatrice : « Les filles, elles se plient aux règles en apparence, mais entre elles, elles parlent, elles avancent. La parole, ça les sauve. »
Cette libération est contrastée par le mutisme affectif et émotionnel des garçons, eux aussi enfermés dans un modèle de virilité étouffant. Omar (Housam Mohamed), chef du groupe, se trouve déstabilisé par ses propres sentiments, incapable d’exprimer ses désirs autrement que par les codes appris.
Une aventure humaine et politique
Les Filles Désir est aussi un film sur l’éducation informelle, sur ce que permet l’art quand il devient accessible. Prïncia Car, tout en guidant ses comédiens vers une performance pleine d’émotion et d’humour, laisse à chacun la possibilité de se réinventer.
L’écriture du film est profondément féministe, mais jamais démonstrative. Elle tisse une critique sociale à travers les trajectoires individuelles. Elle parle d’amitié féminine comme socle de résistance, de désir comme moteur de transformation, de jeunes garçons prisonniers d’une masculinité héritée, et surtout de l’espace que peut offrir le cinéma à ceux et celles qui n’y ont, souvent, pas accès.
À la croisée du cinéma naturaliste et du récit de formation, Les Filles Désir séduit aussi par sa mise en scène organique, proche de l’énergie des films de Jacques Demy ou d’Emir Kusturica. Le cadre s’ouvre, respire, bouge. Les dialogues sont vivants, souvent improvisés, et portés par la tchatche inépuisable des jeunes acteurs.
La musique originale, signée Damien Bonnel et Kahina Ouali, accompagne les émotions sans jamais les surligner. Le montage de Flora Volpelière, ample et précis, permet au film de garder son rythme propre, proche du quotidien mais toujours tendu vers l’émancipation.
Sélectionné à la Quinzaine des Cinéastes à Cannes, Les Filles Désir est un premier long métrage d’une puissance rare. Il capte, sans fard, la complexité d’une jeunesse urbaine en quête de sens et d’amour, coincée entre modèles sociaux rigides et pulsions de liberté. Un film sur la parole, les corps, les contradictions, et surtout : le désir d’exister autrement.
À retenir :
- Titre : Les Filles Désir
- Réalisatrice : Prïncia Car
- Scénaristes : Prïncia Car & Léna Mardi
- Productrice : Johanna Nahon
- Sortie : 16 juillet 2025
- Durée : 1h33
- Distribution : Zinc – Ventes internationales : SND International