Actrice discrète et inoubliable, Lea Massari s’est imposée comme une figure du cinéma européen, de Michelangelo Antonioni à Claude Sautet. Retour sur une carrière aussi élégante que profonde.
Lea Massari, le silence en héritage
Elle avait disparu des écrans depuis plus de trente ans, mais sa présence, elle, ne s’était jamais dissipée. Avec la disparition de Lea Massari le 23 juin dernier, à l’âge de 91 ans, c’est toute une certaine idée du cinéma européen qui s’efface doucement, à l’image de cette actrice discrète, aimant fuir les feux de la célébrité. Si elle s’était retirée des plateaux à la fin des années 1980, la trace qu’elle laisse dans l’histoire du cinéma reste indélébile : celle d’une actrice rare, magnétique, qui a traversé les plus grandes œuvres d’auteurs italiens et français avec une grâce inaltérable.
De Rome à la scène mondiale
Née Anna Maria Massetani à Rome en 1933, celle qui deviendra Lea Massari grandit entre l’Espagne, la Suisse et la France. D’abord destinée à l’architecture, elle bifurque vers le cinéma presque par hasard, remarquée pour sa beauté classique et sa présence troublante. Sa carrière débute avec Du sang dans le soleil de Mario Monicelli en 1954. Mais c’est L’avventura (1960) de Michelangelo Antonioni qui la fait entrer dans la légende. Elle y incarne Anna, personnage central mystérieusement disparu dès les premières scènes, et pourtant omniprésente dans tout le film. Son absence devient le cœur même du récit : une performance fondatrice pour le cinéma moderne.
Une actrice entre deux rives
Si son nom reste lié aux grands noms du cinéma italien — Sergio Leone (Le Colosse de Rhodes), Dino Risi (Une vie difficile), les frères Taviani (Allonsanfàn), Francesco Rosi (Le Christ s’est arrêté à Eboli) —, c’est aussi en France que Lea Massari s’impose avec une intensité rare. Elle trouve chez Claude Sautet, Louis Malle ou Henri Verneuil un espace d’expression plus intime, plus nuancé. Dans Les Choses de la vie (1970), elle incarne l’épouse effacée de Michel Piccoli, une femme en retrait mais essentielle. Louis Malle lui confie un rôle bouleversant dans Le Souffle au cœur (1971), tandis que Peur sur la ville (1975) lui offre un contrepoint plus tendu, face à Jean-Paul Belmondo.
Avec Jean-Louis Trintignant dans La Course du lièvre à travers les champs ou Alain Delon dans L’Insoumis, elle côtoie les grandes figures masculines du cinéma français, sans jamais s’effacer. Toujours présente, toujours juste, sans effet.
Un art de la discrétion
Lea Massari, c’était aussi une voix, une manière de parler à mi-voix, de marcher lentement dans l’image, de ne jamais forcer le regard. Récompensée en 1979 du Ruban d’argent au Festival de Venise pour son rôle dans Le Christ s’est arrêté à Eboli, elle n’a jamais cherché les honneurs. À 57 ans, elle choisit de quitter le cinéma, sans bruit. Ni adieux, ni retours : seulement le silence.
En se retirant très tôt, elle a peut-être échappé à la mélancolie d’un monde du cinéma qui changeait trop vite. Elle laisse une filmographie dense et précieuse, faite de rôles en demi-teinte, d’ombres et de lumières, de femmes fortes, absentes ou blessées. Un art du retrait, en somme.
Que garde-t-on de Lea Massari ?
On garde d’elle un mystère. Une élégance sans ostentation, un regard qui parlait souvent plus que les mots. Une femme de cinéma qui a su fuir la caricature, refuser le jeu des apparences, pour mieux se concentrer sur l’essentiel : incarner, tout simplement. Lea Massari appartient à cette génération d’actrices qui ont donné au cinéma européen sa profondeur, sa pudeur, son âme.