Avec The Father, Florian Zeller signe une œuvre d’une justesse rare sur la fragilité humaine et la perte de repères. Adapté de sa propre pièce, le film nous plonge dans la conscience vacillante d’un homme atteint de démence, incarné par un Anthony Hopkins bouleversant de vérité. Entre confusion, tendresse et douleur, Zeller explore la désintégration de la mémoire comme un drame universel, celui de nos liens les plus intimes.
The Father : quand la mémoire s’efface, l’amour vacille
Par Majida Boulila
Quand on aime la vie on va au cinéma
Jean de la Fontaine l’a dit « La vieillesse est impitoyable » et le premier film de Florian Zeller nous le fait bien comprendre.
Florian Zeller
Venant du théâtre et considéré comme l’un des plus remarquables auteurs de sa génération, Zeller a été récompensé par plusieurs molières pour ses pièces qui sont adaptées dans différents pays. The father est un scénario brillamment adapté de sa pièce originale à succès qui porte le même titre en français Le père et qui fait partie de la trilogie familiale (la mère, le père et le fils, également adapté au cinéma et qui sortira sur les écrans au courant de cette année.)
Ce film est un voyage au cœur de la perdition. D’un côté, il y a Anthony qui se démunit petit à petit de son autorité, de sa liberté et son charisme. Il ne tient plus les rênes de sa vie, il ne peut plus rester seul chez lui, confus dans les jours et les dates, le jour et la nuit comme dans les visages familiers et étrangers. De l’autre, il y a Anna, sa fille aînée, qui s’occupe de son père presque en le maternisant. Elle vit ce dilemme entre rattraper le train de sa vie et saisir sa dernière chance ou rester avec son père, qui perd ses propres repères, sa mémoire et ne la reconnait même plus à certains moments.
Anthony Hopkins
Un film poignant et bouleversant par la fragilité du père Anthony, qui a valu à Anthony Hopkins son deuxième oscar. Jamais auparavant nous n’avons vu l’acteur légende dans un rôle aussi intimiste, vulnérable et ce n’est certainement pas un hasard que l’acteur ait gardé le même prénom dans le film. Le cinéaste a écrit ce rôle de cinéma pour lui, et à 83 ans, Hopkins continue à prouver qu’il est un acteur hors normes qui se met encore en danger en acceptant de jouer ce qui n’est finalement autre que son propre rôle. Le défi accepté était de ne pas jouer un rôle de fiction mais d’Etre devant la caméra, « être puissamment lui même avec sa vitalité, sa singularité, sa force, sa puissance… » dit Florian Zeller. Perdu dans un labyrinthe d’incertitudes, nous assistons petit à petit à la vague d’émotions qui va le traverser le vacillant entre la peur, la cruauté, la violence et l’extrême fragilité.
Troublant ce traitement parce qu’il interroge ce moment complexe dans la vie où on devient parents de nos parents, une inversion des rôles qui bouleverse totalement ce que c’est un père.
Le point de vue choisi
Ce qui fait l’originalité et surtout l’importance de ce film est le point de vue choisi par le cinéaste, celui de nous placer, nous spectateurs, à la place d’Anthony. Nous vivons l’expérience de la perdition aussi bien des espaces, que du temps, des personnages et de l’intrigue. N’ayant de repères que la couleur des chemises d’Anna qui nous indique l’arrivée d’un jour nouveau. Cette confusion d’espaces nous dérange et nous bouleverse à des moments comme le serait toute personne souffrante de démence. “En général, le décor c’est une façon de fournir un arrière plan à une histoire. Mais je voulais que cet arrière-plan soit une des lignes principales de la narration”, explique Florian Zeller. Petit à petit, les meubles changent, les couleurs des murs et les époques et nous nous trouvons piégés dans le cerveau d’Anthony. Nous plongeons dans ses yeux bleus profonds et nous partageons son désarroi.
Le dilemme
Anna souffre, et sa peine est profonde. La scène où sa tasse se fracasse en mille morceaux est le point culminant du non retour. Rien ne pourrait redevenir comme avant, et l’image qu’elle a de son père n’est désormais qu’un souvenir qu’elle garde au fond d’elle mais qu’elle ne retrouvera jamais dans l’homme à côté d’elle.
Avec subtilité, le film aborde la délicate relation de couple en présence d’un parent malade à charge, Anna se sacrifie pour son père qui ne semble jamais satisfait. Elle subit les comparaisons blessantes avec la petite sœur absente, le mauvais caractère de son père par moment et sa violence. Olivia Colman est si parfaite dans ce rôle, grande actrice, elle incarne dans un même visage, l’amour, l’épuisement, la tristesse, la force et la culpabilité, « il y a une telle profondeur de champ dans son visage que tous ces émotions cohabitent » dit- le cinéaste
L’évolution du film suit l’évolution de la maladie d’Anthony qui pense garder au début du film toute son autorité et qui sombre petit à petit dans la dépendance jusqu’à redevenir un bébé vulnérable mais sans mère, sans affection et sans racines, « Une feuille perdue » dit-il.
Ce film nous touche parce qu’il interroge l’humain en nous, nous effraye et nous réveille sur le sens du temps, le temps d’une vie, nos relations avec nos parents, nos enfants et le sort de la fin d’une vie.
« L’oubli! L’oubli! C’est l’onde où tout se noie.
C’est la mer sombre où l’on jette sa joie. »
Victor Hugo
Les Contemplations (1856), II, L’âme en fleur, 28




