La Vie des formes (La Vita delle forme) Philosophie du réenchantement, par Emanuele Coccia et Alessandro Michele – Traduction (Italien) : Renaud Temperini – paru aux Editions Flammarion.
La Vie des formes Philosophie du réenchantement d’Emanuele Coccia et d’Alessandro Michele : Quand la mode devient philosophie du réenchantement
La Vie des formes : Penser le vêtement comme art total du contemporain
La Vie des formes, paru aux éditions Flammarion, est un ouvrage à deux voix où s’embrassent la pensée d’Emanuele Coccia, philosophe des métamorphoses, et l’imaginaire foisonnant d’Alessandro Michele, créateur emblématique de la mode contemporaine. Ce livre n’est pas un manifeste au sens classique, mais une méditation à la fois intime et théorique sur ce que la mode permet : réenchanter le monde.
Alessandro Michele y livre sa première œuvre écrite, et celle-ci prolonge sa vision singulière de la mode — celle qu’il a incarnée chez Gucci — au-delà des podiums. Pour lui, le vêtement n’est jamais une simple enveloppe. Il est lieu de passage, peau seconde, amulette. Il est porteur d’âme. Chaque habit devient alors un moyen d’habiter d’autres vies, de réactiver des possibles, de convoquer des figures passées, antiques ou imaginées, dans le flux du présent.
Dans un échange nourri avec Coccia, l’ancien directeur artistique décrit la mode comme un chamanisme nouveau. Là où l’art traditionnel est contemplatif, la mode est une œuvre vécue. Nous l’endossons, et à travers elle, ce sont nos identités — mouvantes, ambiguës, post-genrées — qui s’expriment. Les auteurs rappellent que la mode ne reflète pas seulement l’époque ; elle la sculpte.
L’ambition de ce livre est aussi de réhabiliter la mode dans le champ philosophique. Longtemps perçue comme frivole, éphémère, elle est ici considérée comme une praxis sérieuse, dotée de la capacité d’éclairer notre condition d’humains contemporains. Car s’habiller, affirment Coccia et Michele, c’est bien plus que se couvrir : c’est décider, chaque matin, de la forme que prendra notre rapport au monde.
Dans un chapitre particulièrement éclairant, les auteurs convoquent Walter Benjamin et Giorgio Agamben. Le vêtement devient alors un objet de réflexion sur le temps. Il tisse le présent à l’antique, croise le mythe et le numérique, le passé et le possible. À Rome, ville d’enchevêtrements, Alessandro Michele voit la coexistence de la colonne Trajane avec l’Apple Store comme un écho à son geste créatif : superposer, métisser, détourner.
La “philosophie du réenchantement” que propose cet essai invite à penser l’habit comme un lieu de transformation, de circulation de l’âme et des récits. Chaque forme est porteuse de vie. Chaque détail – une lavallière, une broderie, une coupe – peut ouvrir sur une lecture du monde, sur une fiction incarnée. La mode devient ainsi un langage spirituel, un art appliqué à l’être.
Avec La Vie des formes, Emanuele Coccia et Alessandro Michele livrent un ouvrage dense et nécessaire. À l’heure où la mode se voit contrainte par les logiques de marché, par l’instantanéité des réseaux sociaux et le diktat du renouveau constant, cet essai redonne au vêtement sa puissance symbolique. Il lui restitue sa capacité à faire monde. À réenchanter notre rapport au corps, au temps et à l’autre.
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