« Nancy-Kabylie » de Dorothée Myriam Kellou
Dorothée Myriam Kellou – Nancy-Kabylie
Par Djalila Dechache
Avec un titre à l’itinéraire improbable au premier abord, Dorothée Myriam Kellou nous emmène dans les méandres de sa naissance et de sa vie. Un exemple qui pourrait bien aider un bon nombre d’entre nous, du plus jeune au plus âgé.
Née de père algérien et de mère française, elle navigue sur de nombreux territoires pour comprendre d’où elle vient, de quoi elle est faite.
Elle a 7 ans en 1991 au début du récit, l’âge de raison dit-on, elle évoque dans un premier temps la vie de son père, né en 1945, à Mansousah en Kabylie non loin de Bordj Bou Arreridg. Elle se lance alors dans une quête, sa quête à elle et creuse un sillon qui la conduira sur les pas de son père et les traces de l’Algérie. Le père comme un bon nombre de pères ne veut pas évoquer cette partie sombre de l’histoire de l’Algérie, il répond de manière elliptique ou ne répond pas. C’est que l‘exil n‘est pas vécu semblablement d’une personne à l’autre, d’un kabyle à un arabe. Il s’agit ici de l‘exil économique le vrai exil celui qui déracine, celui qui fait boire le Léthé, le fleuve de l’oubli, tant derrière que devant soi.
Bien sûr il y a la langue, le kabyle, elle est gardée pour soi, et à soi seul dans la famille, les enfants ne la connaissent pas, pas plus que la langue arabe.
Alors, comment savoir que l’on est arabe ? Sans la terre et sans la langue ? « Faut-il avoir une tête d ‘arabe pour parler arabe » se demande-t-elle ?
C’est ce que va décider la narratrice de partir chercher ce qu’elle n’a pas avec une foi inébranlable, elle a 17 ans, elle commence par des cours du soir à Nancy. Plus tard à l‘Institut d‘études Politiques de Lyon, elle découvre la poésie arabe, la plus belle porte d‘entrée qui soit, elle suit un enseignement diplômant sur le monde arabe contemporain, elle découvre Khalil Gibran avec « Donne -moi la flûte et chante » immortalisée par la grande libanaise Fairouz à la voix enchanteresse. Puis, c’est le départ pour l’Egypte où elle va passer 3 ans au Caire, terre propice au bain linguistique total. Elle y revit l‘histoire de l‘Algérie et les guerres coloniales dans le monde. Son itinéraire se poursuit jusqu‘en Palestine pour 2 ans, puis les Etats-Unis à l’Université de Georgetown, où un professeur libano – américain la pousse à étudier la mémoire de l‘oubli colonial ou en d’autres termes, chercher les traces de la colonisation ? C’est un gros dossier pourrait-on dire !
Nul n’échappe à son destin, en allant bien loin de sa question première et de l‘origine de son père, elle se retrouve face à face avec sa destinée !
Elle doit se coltiner cette question pour avancer et s‘en libérer.
La narratrice évoque l’usage du trait-d ’union du melting pot de la culture commune des américains. Plus qu’un simple signe de ponctuation, il est érigé en concept qui traduit les appartenances multiples, que nous avons tous mais qu’au contraire, nous sommes enjoints d’effacer en France notamment. French-Algérian signifie que nous sommes dépositaires de plusieurs cultures, histoires, sensibilités, langues, soit « (…) une espèce de pécule intellectuel : est-ce qu‘il ne lui appartient pas comme si c’était une maison ou de l‘argent ? » (cité par Pierre Bourdieu introduction de son livre La distinction, critique du jugement social éditions de Minuit 1979).
Ensuite Dorothée Myriam Kellou s’attaque à la conquête de l‘histoire de l‘Algérie, dans les grandes lignes et dans le détail de la région de son père, les tristement célèbres regroupements de villages, certains d‘entre eux acculaient les de faim et de soif les habitants pour qu’ils s’engagent aux côtés de la France en devenant des Harkis soit des bannis des deux côtés.
Arrive le moment du grand Voyage celui qui la conduira en Kabylie à Mansourah avec son père qui avait quitté son pays 50 dans auparavant! Retour de l‘enfant prodige, retour aux sources, retour sur les pas des ancêtres, tout cela à la fois pour le père et à la fille unis dans un même combat dans une même quête.
Cela prend un sens initiatique, un sens libérateur, rien de tel que la terre pour s’immerger, renaître enfin à soi !
Dorothée Myriam Kellou développe ici son capital culturel impressionnant de références dans sa démarche, par une très belle écriture imagée, poétique à la fois pudique et bienveillante, à la fois juste et lucide, elle narre la traversée de son histoire, une autre Méditerranée, une mer de tous les passages, de toutes les identités.
En point d’orgue la narratrice a réalisé un film documentaire qui lui a demandé 8 ans de travail de recherches et de coproductions « A Mansourah tu nous a séparés » titre magnifique qui pourrait se confondre avec celui d’une femme, d’une légende contemporaine. Plus encore, en plein Hirak l’autrice a tenté de vivre en Algérie à une époque où c’était très compliqué pour tout le monde.
Il faut du souffle pour écrire un tel livre et de la détermination, il en faut également, toutes proportions gardées, pour le lire, Dorothée Myriam Kellou une exploratrice comme le fut Isabelle Eberhardt en son temps, une « compreneuse » terme de Julia Kristeva pour qualifier Hanna Arendt.
En écrivant son récit familial Dorothée Myriam Kellou écrit celui de l‘Algérie avec ses composantes méconnues, parce que tout à été fait pour diviser les Algériens et casser les structures élémentaires de la parenté.
En rentrant d’Algérie, elle a gardé dans sa poche une petite poignée de cailloux qu‘elle avait ramassé là-bas, comme une boussole pour ne plus jamais perdre le chemin, son chemin et le nôtre avec elle.
Nancy-Kabylie Dorothée Myriam Kellou, Editions Grasset 216 p, 2023.