Essai

Yannis Ezziadi – Minotaures. Voyage au cœur de la corrida

Yannis Ezziadi – Minotaures. Voyage au cœur de la corrida 

L’être humain a encore besoin de cela

Les mensuels de Hyacinthe

Yannis Ezziadi - Minotaures. Voyage au cœur de la corrida 

L’homme et le taureau

Minotaures. Voyage au cœur de la corrida est le titre aussi beau que significatif du premier ouvrage de Yannis Ezziadi qui se présente sobrement comme « comédien » et « également auteur régulier pour le magazine Causeur ».

Voilà de quoi provoquer d’emblée des regards torves et des réactions injustes, voire malsaines. C’est d’autant plus le cas que le cinquième texte, intitulé « Alain Finkielkraut à son corps défendant », fait appel à l’Immortel en ces termes : Directement, [il] m’avoue qu’avant d’avoir vu sa première corrida, il y a onze ans, il n’avait jamais vraiment réfléchi au sujet. Il savait que ce spectacle avait fasciné peintres et poètes. Il avait vu les toiles de Picasso, de Goya. Il avait lu García Lorca et Michel Leiris. Il avait vu perçu dans tout cela une certaine noblesse mais n’avait pas été attiré par ce spectacle, redoutant la mise à mort de l’animal. “Je me sens spontanément à la place de la bête, me dit-il. Quand bien même j’ai peur pour le matador, je souffre avec le taureau. Je ne voulais donc pas m’infliger la vision de sa mise à mort. Ce qui continue de me gêner dans la corrida, c’est qu’il ne s’agit pas seulement d’un face-à-face entre l’homme et le taureau… car il y a le public ! Et le public, si j’ose dire, c’est un peu comme une meute. Donc l’animal est seul. Voilà la raison pour laquelle je n’avais jamais eu le désir d’aller voir une corrida.” » (p. 58)

Le propos d’Alain Finkielkraut est intéressant à bien des égards, néanmoins il attribue au taureau des qualités humaines qu’il n’a pas : la sensibilité et la conscience de se sentir seul face à la « meute » qui est plutôt l’apanage des animaux. Et c’est là que le texte de Yannis Ezziadi s’avère plus pertinent que jamais, car quand bien même il serait attentif, voire admiratif à l’égard de son aîné, il n’en demeure pas moins critique, en voulant proposer sa propre esthétique de la corrida, de la tauromachie et de cette passion légitime pour les matadors, leur courage et surtout l’afición.

À ce titre, si certains de ces mots peuvent sembler encore flous à d’aucuns, l’auteur a jugé bon de clore son très bel ouvrage par un glossaire, en guise de vingt-deuxième et dernier chapitre. De même, qu’elles soient en noir et blanc ou en couleur, les vingt-neuf photographies du cahier central, réalisées par William Lentz, donnent du relief et une vraie présence au monde aux mots passionnés de Yannis Ezziadi. Il faut admettre qu’on ne s’en lasse pas ― ni des mots ni des photos.

De l’être humain à l’homme tout entier

Nous sommes certes étonnés que Minotaures. Voyage au cœur de la corrida ne compte pas de sommaire final ou inaugural par lequel le lecteur assidu aurait pu mieux dans l’ouvrage. Mais, si le livre appartient au genre de l’essai, il n’en demeure pas moins romanesque, voire romancé, avec ce style propre à Yannis Ezziadi alternant réflexion, récit, descriptions, multiplication et confrontation des points de vue. Sans oublier les témoignages des toréros et autres figures appartenant au monde de la tauromachie, à commencer par Simon Casas, auquel est consacré le troisième chapitre : « Ce Nîmois flamboyant et ténébreux a réussi à s’imposer à l’Espagne mère. Il est aujourd’hui le directeur des arènes les plus prestigieuses du monde : celles de Madrid. Il dirige également les arènes de Valencia, d’Alicante, de Béziers et de Nîmes parallèlement à sa fonction d’apoderado, d’agent de torero. Simon est un homme craint, admiré et jalousé. »

Ainsi, les pages que Yannis Ezziadi consacre à Simon Casas sont-elles à la fois d’une grande beauté et d’une extrême lucidité avec notamment la restitution d’un dialogue des plus passionnés à travers lequel nous retrouvons l’auteur chevronné de Tous toréros (Denoël, 1995), de L’Envers de la cape (Fayard, 2007) et bien sûr de La Corrida parfaite qui porte sur la prestation de José Tomás dans les arènes de Nîmes le 16 septembre 2012 (Éditions Au Diable Vauvert, 2013).

À propos de José Tomás, l’auteur de Minotaures. Voyage au cœur de la corrida écrit : « Il est assez rare qu’un torero meure dans l’arène, mais fréquent qu’il se fasse attraper par le taureau, parfois très gravement. Cependant, une longue liste de matadors ayant péri par les cornes est connue de tous les aficionados. José Tomás, légende vivante de la tauromachie, exige dans son contrat une “équipe médicale obligatoire en sus de celle habituelle des arènes : un chirurgien thoracique, un chirurgien vasculaire et quatre poches de sang A négatif.” Dans la carrière d’un torero, on attend d’ailleurs le moment où il se fera encorner pour savoir si, passé cette épreuve, il retournera dans les arènes, au mépris de la peur et de la souffrance physique, et s’il mérite donc d’être appelé torero. Dès le plus jeune âge, celui qui veut devenir torero sait tout cela. » (p. 14)

Les lignes qui suivent ― comme les chapitres qui se succèdent comme des hymnes à la vie, en dépit de la présence de « La mort », de « La peur », de « La mort du torero » ou encore de « Souffle de la peur » ―, sont l’autre nom de la « Résistance » qui, elle, prend le dessus parce que « la tragédie s’est abattue, et la joie éclate. » (p. 109)

Aussi un permanent va-et-vient s’instaure-t-il entre ce que nous confient les voix recueilles généreusement par Yannis Ezziadi et ses propres mots, à l’instar de ce que lui dit Simon Casas : « la tauromachie nous parle de la violence qu’on fait, de la violence que l’on se fait, de la mort, de l’amour, de la vie. La tauromachie nous parle de nous-mêmes à travers ce rituel magique traversé par la grâce. Si un jour la tauromachie n’avait plus sa place dans la société, cela vaudrait dire que la société n’a plus besoin de cette magie, et ce serait inquiétant. Pour le moment, l’être humain a encore besoin de cela » (p. 46), et ce qu’il écrit lui-même magistralement : « Bien que combattant, Pinar a ce jour-là le sens du beau, de la grâce et du spectacle. Il capte la fureur de l’animal, la dirige, la travaille, la sculpte. La rage destructrice de la bête se fond dans les passes profondes et gracieuses que Pinar lui offre, et à travers elles dans l’homme tout entier, dans les creux de son corps, dans son âme ouverte. » (p. 53)

Minotaures. Voyage au cœur de la corrida, de Yannis Ezziadi, avec des photographies de William Lentz, paru en mars 2024 aux Éditions Fayard, est à lire et à faire lire, non pour la controverse liée à la tauromachie, mais surtout pour la maestria de cette écriture qui n’a d’égale que la beauté esthétique et tragique de la corrida elle-même. À lire, donc, pour vivre et aimer aussi éperdument que dangereusement.

Photo de couverture envoyé par l’auteur : Crédit © William Lentz.

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