Beauté du chaos : Même sur le Soleil, la pluie ruisselle…

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Hajar Ouhsine

Hajar Ouhsine explore la beauté du chaos à travers une méditation poétique sur l’ordre, le hasard et les dualités de la vie. Dans cette prose subtile, chaque imperfection devient source de lumière et de sens.

Beauté du chaos et éclats de vie : méditation poétique de Hajar Ouhsine

Depuis l’aube brumeuse de l’histoire humaine, nous avons érigé l’Ordre en divinité absolue, le posant en adversaire farouche et implacable du Chaos. Dans notre imaginaire collectif, l’Ordre est la vertu, la structure, la sécurité ; il dicte que chaque chose doit être enfermée dans une géométrie rigide, que chaque existence doit se couler dans des moules préétablis, obéissant à des règles d’une symétrie glaciale. Nous avons fini par croire que cette rectitude était une loi naturelle, une imposition cosmique, alors qu’elle n’est, en réalité, qu’une construction théorique, un château de cartes politique et social, fragile et artificiel.

Il est une illusion douce et perfide : celle des jours où la vie se pare de rose, où le destin semble tracer une ligne droite et lumineuse, sans aspérités. Dans ces instants de perfection apparente, nous nous berçons de la certitude que nous avons dompté le hasard. Mais c’est précisément là, au cœur de cette quiétude vernie, que la Fosse, sans crier gare, fait irruption. Le chaos ne s’annonce jamais. Il surgit sous des masques changeants .. la maladie qui ronge, la catastrophe qui emporte, le fléau qui isole. Avec une violence inouïe, il vient maculer la toile de notre existence que nous avions peinte avec une minutie maniaque, brisant le cadre de nos certitudes.

Pourtant, dans notre effroi, nous oublions une vérité esthétique et spirituelle fondamentale : la beauté d’une œuvre ne réside pas dans la symétrie clinique de ses lignes, ni dans la pureté stérile de ses couleurs. La véritable grâce échappe à la logique froide. La beauté, c’est parfois cette touche tremblante de l’artiste, ce coup de pinceau erratique, cette « erreur » sublime qui confère à l’œuvre son caractère unique, son âme vibrante. La splendeur naît de la synthèse, de l’assemblage de fragments disparates qui, isolés, semblent n’avoir aucun sens, mais qui, ensemble, racontent une histoire totale. Chaque fragment, aussi sombre soit-il, offre sa part de vérité à l’autre.

C’est dans l’entrelacs des contraires que la vie tisse sa plus belle étoffe. C’est l’intégration des paradoxes qui engendre la plénitude. Une toile immaculée, d’un blanc absolu, ne serait qu’un vide éblouissant, un silence sans écho. Pour que la lumière chante, il lui faut l’ombre. Chaque parcelle de noirceur agit comme un écrin qui exalte la pureté du blanc … sans la nuit, aurions-nous seulement conscience de la gloire du jour ? Tout ce qui survient sans notre consentement, chaque accident, chaque blessure, est une pierre angulaire de l’édifice.

Ces dualités, le jour et la nuit, le don et la perte, l’éclat et l’obscurité… ne sont pas des ennemis qui s’affrontent, mais des amants qui dansent. Ils assurent la perpétuation du monde. C’est ici que résonne avec force la sagesse millénaire du Yin et du Yang : cet équilibre dynamique où les opposés ne sont jamais séparés, mais s’engendrent mutuellement. L’un porte le germe de l’autre.

Si nous refusons d’embrasser ces contradictions, si nous rejetons ce qui nous déplaît pour ne vouloir que le nectar, nous nous condamnons à vivre dans la cage dorée de la peur. La peur de souffrir nous paralyse, nous empêchant de faire le moindre pas vers la véritable joie. Car on ne peut goûter à l’ivresse des sommets sans accepter le vertige des abîmes.

Il faut donc lever les yeux et contempler le ciel pour comprendre. Il arrive, par un étrange caprice atmosphérique, que des trombes d’eau s’abattent sur la terre alors même que l’astre roi règne au zénith. C’est une vision de noces impossibles : l’eau et le feu cohabitant dans l’éther. Et si l’on pousse le regard de l’âme plus loin encore, on peut imaginer que là-haut, dans l’incandescence suprême, il pleut aussi. Oui, même sur le Soleil, malgré sa fournaise éternelle, des larmes de pluie peuvent tomber. Car rien n’est absolu, et c’est dans cette imperfection magnifique que réside le miracle d’exister.

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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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