Instrumentiste virtuose, compositrice et docteure en musicologie, Hend Zouari trace un parcours unique où le qanoun devient un pont entre héritage tunisien et musiques du monde. De ses premiers pas à Sfax à ses projets internationaux, elle partage sa vision d’une musique ouverte et universelle.
Hend Zouari, la princesse du qanoun : entre tradition et innovation
Surnommée la Princesse du qanoun, Hend Zouari est l’une des rares musiciennes au monde à maîtriser cet instrument millénaire. Née à Sfax dans une famille de musiciens, elle découvre le qanoun à sept ans et se produit à quatorze ans à la télévision tunisienne. En 2004, un prix présidentiel la mène à Paris, où elle développe sa carrière et multiplie les collaborations internationales, de l’IMA à l’UNESCO, avec des artistes comme Souad Massi, Ibrahim Maalouf ou Gabriel Yared.
Après ses albums L’Envol (2008) et Bledi (2018), Hend Zouari s’implique dans des projets collectifs, forme une troupe féminine arabo-andalouse et compose pour le théâtre. Entre 2022 et 2025, ses participations à festivals et collaborations diverses la conduisent à être invitée d’honneur au Festival International du Malouf de Constantine. Toujours en mouvement, elle poursuit une œuvre où tradition et ouverture au monde se rencontrent avec subtilité.
M.B : Vous avez grandi dans une famille de musiciens et votre père a été votre premier guide musical. Pouvez-vous revenir sur vos débuts et sur ce moment où le qanoun est devenu une passion pour vous, et comment cette éducation familiale a façonné votre identité musicale ?
Hend Zouari : Je suis musicienne professionnelle et docteure en musicologie à la Sorbonne. J’ai commencé le qanoun à l’âge de sept ans avec mon père, puis avec Monsieur Nourri Rebai au conservatoire.
Je me souviens que mon père répétait presque tous les dimanches avec son orchestre. À la fin des répétitions, je me dirigeais vers le qanoun et je commençais à jouer. Mon père a remarqué ma passion pour cet instrument ; il a alors commencé à m’apprendre à en jouer et à m’encourager. J’ai toujours été attirée par le son du qanoun depuis mon plus jeune âge.
Dans ma famille, tout le monde joue de la musique, à commencer par ma grand-mère qui jouait du piano, puis ma mère, mon père, mes oncles, mon frère, ma sœur et mes cousins. Le fait d’avoir grandi dans une famille de musiciens m’a donné encore plus envie de me spécialiser en musique et d’en faire à la fois ma passion, mes études et mon métier.
J’ai fait le Conservatoire régional de Sfax en Tunisie, puis l’Institut supérieur de musique de Sfax, avant de poursuivre mes études à la Sorbonne Université, où j’ai soutenu ma thèse de doctorat en décembre 2012.
M.B : Votre première apparition télévisée en Tunisie, à seulement quatorze ans, reste un moment marquant, comment l’avez-vous vécue ?
Hend Zouari : Ma première apparition à la télévision tunisienne, sur Al Wataniya, est bien sûr un moment marquant.
Depuis mon jeune âge, je faisais partie de l’orchestre du conservatoire, et ce passage télévisé a eu lieu à l’occasion de ma participation au Festival des enfants musiciens à El Kram, en Tunisie, où j’ai obtenu le premier prix dans la catégorie instrument, qanoun.
M.B : En 2004, vous partez étudier à Paris grâce à un prix présidentiel. Comment ce changement de pays, de culture et d’univers musical a-t-il nourri votre évolution artistique ?
Hend Zouari : Grâce à un prix présidentiel de l’État tunisien en musique et musicologie, je suis arrivée à Paris, à la Cité Universitaire, et j’ai commencé à développer ma carrière artistique à Paris, en France, puis à l’international.
Paris a marqué un changement majeur dans l’évolution de mon art : l’ouverture vers d’autres musiques, d’autres cultures musicales, a nourri ma sensibilité et ma créativité, et m’a permis de faire évoluer mon travail.
L’exil, également, est une source d’inspiration importante pour composer et créer de la musique.
M.B : Au fil de votre carrière, quelles rencontres ou expériences ont été décisives dans votre approche du qanoun et dans votre manière de le faire évoluer aujourd’hui ?
Hend Zouari : Les rencontres les plus importantes ont eu lieu en 2001, dans le cadre du Festival international du qanoun en Algérie, où j’ai obtenu le troisième prix. Ce festival m’a permis de rencontrer le joueur de qanoun Hassan Falah, ainsi que le joueur de qanoun qui accompagnait le chanteur Kadhem Sahir et qui a remporté le premier prix. Durant ce festival, j’ai beaucoup appris de lui.
Entre 2002 et 2004, j’ai étudié avec le joueur de qanoun irakien Souhad Hassan Najim, tout en découvrant en parallèle la musique turque avec le joueur de qanoun Aytac Dogan.
En 2016, j’ai participé au Festival international de Sfax aux côtés de deux joueurs de qanoun très reconnus : l’Égyptien Majed Sourour et le Turc Göksel Baktagir.
M.B : Vous avez collaboré avec de grands artistes du monde arabe et au-delà : quelles rencontres ont été déterminantes dans votre parcours ?
Hend Zouari : Plusieurs rencontres et collaborations ont été particulièrement intéressantes au cours de ma carrière.
Il y a notamment ma rencontre avec le guitariste flamenco Manuel Delgado, la chanteuse Carmen Dora, le maître iranien Ali Shaigan, le joueur de doudouk Didier Malherbe, le clarinettiste Loïc Poincenet, le trompettiste Ibrahim Maalouf, ainsi que les chanteuses Lena Chamamyan et Souad Massi.
Chaque rencontre est unique, et chaque collaboration permet de tisser des liens et de faire évoluer mon art.
M.B : Votre premier album L’Envol puis Bledi témoignent d’une ouverture aux musiques du monde : comment définiriez-vous aujourd’hui votre style et votre manière d’aborder la fusion des genres ?
Hend Zouari : Mon premier album L’Envol est un mélange de musique arabe, de flamenco et de musique iranienne, tandis que mon deuxième album, Bledi, s’inscrit davantage dans une esthétique pop-rock orientale.
Pour moi, la musique est un langage universel, sans frontières. C’est un peu l’esprit du style que j’ai développé avec le qanoun : un jeu international, capable de trouver sa place dans n’importe quel genre musical. Dans le jeu du qanoun, on peut entendre des couleurs qui évoquent la harpe, la guitare, le guzheng ou encore le clavecin ; c’est comme un voyage musical à travers le monde.
Le qanoun devient ainsi un instrument phare, un véritable pont de communication entre différentes cultures musicales.
M.B : Vous êtes également compositrice pour la scène et le théâtre, notamment avec Tim Supple. En quoi cette expérience a-t-elle élargi votre rapport à la narration musicale ?
Hend Zouari : Mon expérience de compositrice et d’interprète avec le réalisateur anglais Tim Supple m’a beaucoup apporté. Composer pour le théâtre est encore différent : il faut vivre la scène avec les acteurs pour pouvoir créer une musique qui accompagne l’action et qui met surtout l’accent sur les émotions.
J’ai également composé pour le théâtre dans le projet La Porte de Lassaad Salani, dans la pièce Asmahan de Sophie Jabes, ainsi que dans Tour de France, brin de folies de Yves Pontonnier.
M.B : Vous avez mené des projets exclusivement féminins, fondé une chorale et sillonné le monde à travers de nombreuses tournées. Que signifient pour vous le partage, la transmission et le travail collectif ?
Hend Zouari : Le travail collectif est très important. J’ai toujours aimé mettre en valeur la femme artiste, car c’est un parcours difficile, un véritable parcours de combattantes. J’ai créé mon groupe de femmes et j’ai eu la chance de participer, en septembre 2025, au Festival international du malouf à Constantine, en Algérie, où j’étais invitée d’honneur avec mon groupe de femmes.
M.B : Votre parcours est international, mais votre attachement aux musiques traditionnelles tunisiennes demeure très présent. Comment conciliez-vous héritage et innovation ?
Hend Zouari : L’héritage musical reste toujours ma base, car c’est mon identité culturelle. La création musicale doit toujours partir des fondements de la musique traditionnelle tout en s’ouvrant à d’autres horizons. C’est cela qui fait la richesse de la musique : la transformation du discours musical pour toucher un public plus large.
M.B : Enfin, quels sont vos projets actuels — et surtout : quel est votre rêve d’artiste le plus cher pour les années à venir ?
Hend Zouari : Depuis toute petite, je rêvais de devenir musicienne et soliste à l’international. Aujourd’hui, on m’appelle « la princesse du qanun » : j’ai eu l’occasion de jouer dans plusieurs pays et festivals à travers le monde.
Pour mes projets futurs, je prépare mon troisième album, avec de nouvelles compositions musicales et un style de jeu du qanun à la fois traditionnel et moderne. Plusieurs thèmes y seront abordés, tels que l’exil, la paix et l’amour.
Je travaille également sur un projet de « qanun augmenté », visant à développer le jeu de cet instrument grâce à un prototype permettant l’accord automatique instantané pendant le jeu. Ce projet est mené avec une équipe de recherche composée d’ingénieurs en mécanique, d’électronique et de musicologues. Il a été présenté pour la première fois au Congrès international d’acoustique musicale à Marseille, en avril 2022.
M.B : Je vous remercie, chère Hend, et je vous souhaite beaucoup de succès dans toutes vos futures aventures musicales.





