Najet Ounis invitée de Souffle inédit

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NAJET OUNIS - L'Agora 2025 © Ghaith Nouira

Avec sa voix chaude et son univers métissé, Najet Ounis incarne une voix singulière de la scène musicale tunisienne contemporaine. Entre héritage oriental et influences afro-américaines, elle explore une voie libre, sincère et résolument moderne.

Najet Ounis : une artiste tunisienne en quête d’authenticité

Entretien conduit par Monia Boulila

Autrice-compositrice-interprète et productrice tunisienne, Najet Ounis incarne une nouvelle génération d’artistes qui façonnent leur propre voie, loin des formats convenus. Entre soul, jazz, blues et influences orientales, elle compose une musique aux sonorités métissées, sincères et profondément ancrées dans la culture tunisienne. Inspirée autant par les grandes voix afro-américaines que par la richesse de son terroir, elle partage sa voix sur scène affirmant une identité musicale libre et lumineuse.

Rencontre avec une artiste qui avance à son rythme, portée par la conviction que la création n’a de sens que dans l’authenticité, pour évoquer son parcours, ses influences et sa manière d’habiter la musique, entre ancrage et ouverture au monde.

Najet Ounis invitée de Souffle inédit
© Mehdi Hassine, 2022

M.B : Pouvez-vous nous raconter vos premiers pas dans la musique et ce qui vous a conduite à devenir professionnelle ?
Najet Ounis : J’ai grandi dans une famille passionnée de musique. Dès l’âge de huit ans, je jouais sur un petit clavier et chantais pour le plaisir. Mon père a découvert ma passion pour la musique et m’a offert un clavier Yamaha, ce qui m’a encouragée à poursuivre. Tout le monde me disait que j’avais une belle voix. À mes débuts, je chantais du R&B et j’étais très influencée par Beyoncé et Alicia Keys.
À vingt ans, alors étudiante, j’ai rencontré Atef Lakhoua, qui m’a invitée à rejoindre son groupe. C’est là que j’ai découvert l’énergie du blues et du rock, avec des artistes comme Etta James, AC/DC ou Prince.
En 2012, j’ai accordé ma première interview à RTCI, où l’on m’a conseillé de créer une page Facebook. C’est à ce moment-là que j’ai compris que la musique pouvait devenir une véritable voie professionnelle.
Les années suivantes, j’ai rejoint le Jazz Club de Tunis, où j’ai exploré le jazz et collaboré à plusieurs projets, notamment Ladies Sing the Blues et Setta Zeet Big Band Funk.

M.B : Vous êtes designer graphique, autrice-compositrice-interprète et productrice. En quoi votre formation en design influence-t-elle aujourd’hui votre regard sur la création musicale ?
Najet Ounis : Ces deux disciplines se complètent parfaitement. Le design graphique m’a appris la recherche d’harmonie, d’équilibre et de sens dans la composition — des notions que je transpose naturellement à la musique. Je passe souvent de l’un à l’autre, et les acquis de chaque univers nourrissent mutuellement mon processus créatif.

M.B : Vous avez signé avec Universal Music France avant de reprendre votre liberté artistique. Qu’avez-vous retenu de cette expérience ?
Najet Ounis : En 2016, lors du TEDx Carthage Women, j’ai interprété une reprise d’Etta James qui a attiré l’attention d’un producteur chez Universal Music France. Peu après, j’ai signé un contrat avec le label Capitol et enregistré deux albums en français. En 2018 sortie de mon premier EP Colorful Covers, et en 2021, sortie de mon premier single D’une Seule Voix, suivi de l’album Najet.  Ce fut une belle opportunité et une expérience enrichissante. Mais pendant le confinement, en explorant la composition et en partageant mes créations avec mon public sur les réseaux sociaux, j’ai découvert le plaisir de créer librement. C’est à ce moment-là que j’ai compris que l’indépendance artistique me correspondait vraiment.

M.B : Vous écrivez en plusieurs langues – arabe, français, anglais. Qu’est-ce qui guide ce choix pour chaque chanson ?
Najet Ounis : Le français, c’était surtout lors de mon passage chez Universal, ce n’étaient pas mes textes. J’ai commencé à chanter en anglais, influencée par mes artistes de jeunesse : Destiny’s Child, Lauryn Hill ou D’Angelo. Aujourd’hui, j’écris principalement en dialecte tunisien, pour rester proche du public.
La musique peut toucher tout le monde, mais la langue renforce l’émotion. Notre culture regorge de mots, d’expressions et de thèmes d’une grande richesse. J’essaie de créer des textes qui parlent du quotidien et de la vie, avec une touche tunisienne authentique. Ma chanson Ya Rabbi, sur Spotify, illustre bien cette approche. Mes choix viennent de mes racines, tout en restant ouverts sur le monde.

M.B : Vous êtes influencée par la soul, le jazz et la chanson orientale. Comment ces univers se rencontrent-ils dans votre musique ?
Najet Ounis : Mes débuts étaient orientés vers le blues, puis le jazz m’a permis d’élargir ma palette. Aujourd’hui, je chante plutôt le R&B alternatif, un univers nourri par le gospel, le blues et la soul. Des artistes comme PJ Morton, Jazmine Sullivan ou H.E.R. m’inspirent beaucoup.
Ma chanson Tohrob Bik, par exemple, mêle des harmonies R&B à une mélodie inspirée d’un générique égyptien. C’est exactement ce que j’aime : un dialogue entre mes racines orientales et mes influences occidentales.

M.B : Dans les scènes française ou américaine, certaines artistes de votre génération mêlent chant, mise en scène et performance. Quelle place accordez-vous à la dimension visuelle dans vos concerts ?
Najet Ounis : Le visuel est essentiel, mais il doit être en harmonie avec la musique. Un spectacle beau mais déconnecté du fond ne touche pas. Aujourd’hui, à l’ère numérique, quelques secondes suffisent pour capter l’attention : soit on accroche, soit on passe. Je privilégie donc un visuel sincère, vivant, en accord avec l’esprit de la chanson plutôt qu’une image soignée et parfaite. L’image doit prolonger la musique, pas la trahir.

M.B : Y a-t-il des artistes, tunisiens ou internationaux, qui ont marqué votre parcours et que vous considérez comme des sources d’inspiration ?
Najet Ounis : Oui, comme je l’ai déjà dit, Beyoncé, Alicia Keys et Lauryn Hill ont façonné mes débuts, tout comme Etta James et Aretha Franklin m’ont donné le goût de la profondeur vocale. Plus tard, avec le Jazz Club de Tunis, j’ai découvert Ella Fitzgerald, Robert Glasper ou Snarky Puppy, qui ont nourri mon oreille et mon sens du rythme.
Côté tunisien, j’aime beaucoup Saber Rebai, dont j’ai repris une chanson sur mes réseaux sociaux. Et j’admire aussi des collectifs comme Osool, Dendri Stambeli Movement ou Erkez Hip Hop, qui font avancer la scène tunisienne avec audace et modernité.

M.B : Aujourd’hui, en tant qu’artiste indépendante, quels sont vos projets à venir et quel est votre rêve le plus cher ?
Najet Ounis : Je prépare un nouvel album, dont trois chansons sont déjà sorties : Ya Rabbi, Tohreb Bik et M3a Rou7i. J’ai pris le risque de créer un projet entièrement en dialecte tunisien, dans un style qui me ressemble. Pour moi, oser, c’est déjà créer. Je me sens en parfaite cohérence avec mes racines et mon époque.
Mon rêve ? Constituer une équipe de confiance — musiciens, vidéastes, spécialistes du son et du marketing — avec qui je pourrais concrétiser ma vision et construire une œuvre durable, libre et sincère. J’aimerais montrer aux jeunes qu’on peut être soi-même, puiser dans sa culture et créer une musique nouvelle. C’est là, je crois, que commence la vraie liberté artistique.

M.B : Libre et exigeante, Najet Ounis poursuit son chemin loin des formats imposés, portée par un désir de sincérité et d’ouverture. Une voix singulière, qui trouve sa place dans le paysage musical tunisien et au-delà.
Je remercie chaleureusement Najet pour cet échange inspirant et lui souhaite un parcours toujours guidé par la liberté et la lumière de sa musique.

M3a Rou7i  dans ce lien linktr.ee/najetounis

Monia Boulila
Poète tunisienne
Déléguée de la 
Société des Poètes Français
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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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