Plongez dans l’univers méconnu de Jelil Memmedguluzadeh, figure majeure de la littérature azerbaïdjanaise du XIXe siècle, à travers Le Barbier et autres nouvelles, traduit pour la première fois en français. Un recueil riche en satire, traditions, et scènes du quotidien au cœur du Caucase.
LE BARBIER et autres nouvelles de Jelil Memmedguluzadeh traduit de l’azerbaïdjanais par Stéphane A.Dudoigno
Par Djalila Dechache
Dès les premières lignes de cet ouvrage, le lecteur est absorbé, enchanté, happé dans un autre monde, totalement méconnu.

Méconnu et ignoré en Europe et au-delà. L’auteur, Jelil Memmedguluzadeh (1866-1932) est prolixe, il a oeuvré dans différents domaines : feuilletoniste, nouvelliste, dramaturge et homme de presse, il a inspiré, de nombreux intellectuels et auteurs du XIX ème siècle dans la région du Caucase notamment. Le plus fameux étant son journal satirique illustré « Molla Nasreddin », imprimé dans l’actuelle Tbilissi en Géorgie. Ce nom n’est pas sans rappeler ce personnage facétieux Nassredin Hodja toujours sur son âne, allant de ville en ville, se sortant de toutes les péripéties, ses histoires bien connues des enfants et des adultes traversent le monde arabe et musulman.
La région étant poreuse aux contacts et aux échanges, elle est traversée par de nombreux peuples et cultures. A telle enseigne que l‘on peut retrouver des influences du conte persan, et turc et plus loin encore d’écrivains tels qu’Anton Tchékhov (1860-1904)et Léonid Andreïev,(1871-1919).
L’ouvrage devint rapidement la référence tant dans l’Empire russe, ottoman et de la Perse des Qadjar.
Dans ce livre, Jelil Memmedguluzadeh, dresse le portrait d’une société rurale et rude, faite de commerçants se déplaçant de village en ville, pleine de ruse et de malice, de drôlerie, d’ironie, de religion, de mise au pilori des Arméniens, qui deviennent un exemple de négativité dans le langage courant.
A chacune des onze nouvelles, des scènes de la vie quotidienne qui donnent au lecteur la vision d’une société humaine, vivant dans une autre temporalité où il faut toujours attendre, où l‘homme seul, l’individu n‘existe pas. Des scènes placées sous le sceau de la domination de l’un, puissant, sur l’autre, faible.
Des scènes dénotant d’un mode vie qui n’existe plus. L’homme évolue dans le collectif, un groupe social musulman, pourvu de proverbes et des tournures de langage qui renvoient à la crainte de Dieu, à la prière et à la foi.
Les conflits sont le plus souvent réglés par le sang entre Azerbaïdjanais et Arméniens et quelquefois à l’amiable.
Les nouvelles moquent le conservatisme d’une société à la fois agraire et commerçante, et pointent les ressorts des sanglantes confrontations entre Azerbaïdjanais et Arméniens.
L’ensemble est agréable à lire et fait découvrir une région qui était absorbée et fondue dans l’URSS.
Toutes les nouvelles sont intéressantes, évocatrices, elles abordent un thème différent à chaque fois, portant des titres suggestifs : La boite aux lettres, Le Barbier, Un agneau, La jeune fille russe etc…
La boîte aux lettres narre les péripéties d’une lettre confié à une sorte de majordome Norouz-Ali par un Khan.( titre que prenaient les souverains mongols, les chefs tartares, les souverains turcs, persans ou indiens). Il doit la poster sans tarder dans une boite située près de la sous-préfecture de la ville.
Extrait : « je l’ai pris cet infidèle, par les épaules, je l’ai jeté par terre et tout de suite il s’est mis à saigner de la bouche. Alors les soldats se sont mis à jaillir du bureau du sous-préfet, ils se sont jetés sur moi, m’ont roué de coups puis ils m ‘ont jeté en prison! ».
Le barbier, ou l’histoire d’un enfant Memmed -Veli de onze ans qui s’est mis à saigner du nez sans interruption. On court au bazar pour chercher Maître Hussein qui s’y connait en médecine…
Dès que cet homme vit, l’enfant il commença à dire au père « Je te plains » ! Il faut que tu rases ta tignasse pour être un bon musulman sinon le malheur s‘abattra sur toi !.Sur le chemin du retour chez lui, le sang du nez de son fils avait complètement cessé…
Extrait : « Enfin, si tu ne veux pas de l’islam, fais-toi passer pour un Arménien et que l’on sache que tu n’es pas des nôtres. Sinon, mon frère, je me permets de te dire qu’être musulman, ce n’est pas ce que tu crois. »
Un agneau, Kerbeleyi Memmed-Hussein reçu un petit agneau maigrichon en cadeau. Il décide de le vendre afin d’en tirer un bon prix. Il se rend chez le khan coutumier de fêtes et ripailles. Sauf que rien ne se passera comme prévu et le paysan en tirera un excellent prix…
Extrait : « qu’est-ce-que tu veux dit Aziz Khan à, Memmed-Hussein ? Enfin …c’est que…je suis venu vous demander mon argent… pour mon agneau….Quoi, tu en as encore ramené un ? Non, l‘autre fois j ‘en ai amené un, quand il y avait des invités.Mais vous ne m aviez pas payé, vous n’aviez pas de monnaie… ».
La jeune fille russe, en 1894 de l’ère chrétienne, le voyageur Rheingarten arriva à pied de Russie dans le Caucase pour se rendre en Iran, en Inde, en Chine et au Japon. Puis il prendrait la mer pour se rendre en Amérique, puis l’Angleterre, la France et l’Allemagne afin de rentrer chez lui à Riga (capitale de la Lettonie actuelle). Il a prévu quatre ans pour ce long périple, mais ce n’est que six ans plus tard que les journaux russes firent par de son retour. Il fut accueilli en grandes pompes. Une jeune fille belle comme le jour passa dans la rue…
Extrait : « Mon cher, je voudrais te raconter quelque chose mais j‘ai peur que tu ne me croies pas.(…) il y a deux semaines j‘ai embrassé cette fille sur la bouche. Meshdi Ghulam-Hussein, non content de son âge était aussi très laid, ses dents de devant, celles du moins qui ne brillaient pas par leur absence, avaient noirci au point que l’on ne discernait plus celles du dessus de celles du dessous ».
Il va de soi que ces petits résumés ne sont pas représentatifs ni ne traduisent l’essence de ces merveilleuses nouvelles, pleines de subtilités, d’images, de dialogues qui font le génie de l’écriture de l’auteur.
Le livre est complété d’un glossaire et d’un carnet d’illustrations représentatives de la société de l’époque, conçues en images traditionnelles.Ce qui est sûr est que l‘on passe un très bon moment à la découverte de ce livre.