Dans cette nouvelle au rythme haletant, l’art devient refuge, vertige et perte de soi. Un peintre solitaire voit son œuvre dérobée et son identité dissoute dans le tumulte du monde.
Mon Art, Ma Folie : le maître de l’obscurité
Par Hajar Ouhsine
La jeune femme grande et brune jeta un coup d’œil rapide et poursuivit son chemin.
Un groupe s’arrêta, prit quelques photos et repartit.
Le grand homme au chapeau rouge passa sans même prendre la peine de regarder.
Puis, une jeune femme approcha, le claquement de ses talons hauts résonnant, son parfum délicat emplissant l’air… Elle s’arrêta un instant, scrutant les détails : les joies et les peines, les échos et les contradictions, des clichés aléatoires, dispersés, brouillés, sans liens apparents…
Un flot ininterrompu de visiteurs au cœur de la galerie, pour l’exposition la plus importante de l’année.
La porte principale s’ouvrit. Il entra, majestueux et fier.
Il avança…
Le public, en cercle, l’acclama. Un silence se fit. Il monta à contrecœur sur la scène principale, confiant et droit. Il prononça un discours fleuri, parla de son art, de ses souffrances, de ses rêves. Il pleura et sanglota. Il affirma que l’art était son remède et le pinceau, son compagnon de route. Ils l’applaudirent chaleureusement, émus.
« L’identité de l’artiste mystérieux et inconnu derrière la toile « Le Soleil Noir » a été révélée aujourd’hui à la galerie de la ville… L’artiste énigmatique est apparu après avoir exposé sa célèbre toile et d’autres œuvres sous le nom de… »
Il frappa du poing sur la table, son café se déversa sur une feuille blanche où il griffonnait ses pensées éparses… Il éteignit la télévision et s’écria : « Quoi ? Comment cela a-t-il pu arriver ???? »
Il hurla de colère vers l’écran, se leva d’un bond et commença à tourner en rond, marmonnant dans cette mansarde. Des tableaux entassés dans les coins, l’ancienne collection de dagues de son père sur les étagères, des piles de papiers ici et là. Un chaos assourdissant régnait, et ses cris montaient peu à peu. Il tournait en cercle fermé : « Non ! Mes tableaux ! Ce sont mes tableaux… Mes tableaux ! Qui a osé commettre cet acte odieux ? Qui a volé mes enfants ? »
Il s’était reclus dans cette mansarde depuis environ cinq ans… depuis qu’il avait fui sa ville… la pression de son ancienne vie… et depuis, il n’avait jamais rencontré personne ni assisté à aucun événement. L’art l’avait accompagné, et il avait accompagné l’art. Ils s’étaient soutenus mutuellement, avaient pleuré ensemble, ri ensemble, s’étaient émerveillés ensemble.
Il saisit la télécommande et ralluma la télévision.
« C’est la soirée événement ! L’artiste Chadi sera avec nous sur la grande scène ce soir pour nous présenter ses œuvres les plus célèbres et nous raconter le secret du Soleil Noir… »
Il cria : « Chadi ? Qui est Chadi ? C’est Ali ! Mon Soleil Noir, où es-tu ? Où ? »
Il se précipita à la recherche de la toile : « Ah ! Te voilà, ma chérie ! »
Il la prit et la cacha sous le lit : « Oui ! Tu es à moi… Tu seras en sécurité ici ! »
« Toc… toc… toc… » Ali entendit frapper à sa porte pour la première fois. Personne ne lui avait jamais rendu visite.
Avec des gestes lourds et hésitants, il se dirigea vers la porte et tourna la poignée : « C’est toi ! Comment et que fais-tu ici… ? »
« Oui, c’est moi… Je suis tes traces depuis des années… depuis l’exposition de tes premières œuvres. Hmm, enfin, j’ai une offre alléchante pour toi… Je vais te donner une somme qui te suffira pour toute ta vie… Donne-moi juste la toile originale du Soleil Noir pour la présenter ce soir sur scène… Qui sait, nous pourrions travailler ensemble à partir d’aujourd’hui… Et je te promets, tu ne le regretteras jamais… »
« C’est mon soleil… C’est ma noirceur… Je ne permettrai jamais cela… Quelle audace… »
Il se précipita vers l’étagère, saisit une dague et la planta dans le cœur de l’homme, le laissant mort. Il dit : « C’est mon soleil… Mon soleil… C’est ma seule source de lumière… Personne ne me l’enlèvera… »
Il laissa le corps inerte et s’enfuit en courant dans les rues de la ville, criant : « Personne ne te prendra, tu es ma lumière et mon obscurité… »
Il courut et courut… jusqu’à se retrouver sur la grande scène. Il monta sous le regard stupéfait des présents. Certains crièrent : « Qui est ce fou ? », « Qui est-ce ? », « Vite, éloignez-le avant l’arrivée de Monsieur Chadi… », « Que se passe-t-il ?? ».
Il descendit de scène et fit le tour, saluant le public et leur demandant un par un :
« Qui suis-je ? »
« Qui suis-je ? »
« Moi ? »
« Je suis le maître de la lumière… »
« Oui… oui
« Je suis le maître de l’obscurité… »



