L’origine – Bassam Jamel
L’origine, nouvelle de Bassam Jamel
J’ai entendu le bruit d’un verre se casser d’une manière étrange. Il ne s’est pas uniquement cassé mais s’est réduit en miettes comme pour retourner à son état d’origine, avant de devenir verre. J’ai essayé de nettoyer ce que je pouvais, une bonne partie des miettes de verre s’est glissée pour disparaître dans les fissures du tapis en plastique couvrant le sol de la chambre. Paresseux de nature, j’ai laissé le tapis tel qu’il est sans essayer de le soulever et de le débarrasser du sable qui s’y est infiltré. En fait le sable me rassure plus que le verre, il ne risque pas de me blesser les pieds, moi qui marche pieds nus dans la chambre, et puis je pourrais y trouver des coquillages et des pierres colorées.
J’ai préparé mon café avec le rituel habituel sans en manquer aucune étape : j’ai rempli d’eau froide la cafetière, j’ai attendu que l’eau bouille pour y ajouter les pépites de café et humer délicieusement l’arôme qui s’en dégage chatouillant fortement mon nez. Les yeux fermé, j’ai inhalé son odeur qui ne se répète guère deux fois par jour. Je me remplis les poumons de la dose journalière de plaisir que procure l’arôme du café, quand sont respectés les conditions de sa préparation : le timing, le degré d’ébullition et la douceur de la flamme dessous. Il ne me restait qu’à la déguster, sauf que ce matin-ci, c’était différent. À peine ai-je ouvert le placard où je range les tasses que du sable s’est mis à couler abondamment.
Bizarre que cela puisse arriver, parce que lorsque le vase s’est cassé et les perles céramiques se sont effritées, j’ai pensé que c’est une mauvaise fabrication chinoise pour que cela se passe de cette façon. Mais ces tasses sont en verre italien de Murano, que ma mère a pu préserver pendant des années.
J’ai laissé le café à sa place, confus et par habitude, j’ai allumé ma première cigarette, tout en me dirigeant vers le balcon. J’ai senti le sable passer entre mes orteils sous la porte en bois et sans vitre. Devant moi, l’horizon de la ville semble être un désert aride ne ressemblant à rien avec l’horizon que j’ai quitté hier soir pour aller me coucher.
Comme si toute chose retournait à son état premier avant d’interagir avec les autres choses. Mais comment ma maison a pu échapper à cela ?
Question que je me suis posée avant de descendre l’escalier et sortir du bâtiment pour escalader un tertre juste devant moi, mais elle aussi n’a pas échappé au phénomène. Un bruit pareil à celui du fracas de verre est parvenu jusqu’à mes oreilles, tout le bâtiment s’est effondré cette fois-ci, provoquant en moi un profond tremblement, moi qui viens de le quitter à l’instant. Le fer du bâtiment s’est mis à couler comme de l’eau pour se noyer dans l’énorme masse de sable qui m’entoure.
Je n’ai pas eu peur mais s’est confirmé en moi qu’il s’agit d’un retour à l’état originel.
J’ai commencé à me liquéfier et m’évaporer, et la dernière chose dont je me souviens, c’est la tête d’un oiseau essayant de boire l’eau de mes yeux.
Traduit de l’arabe par Monia Boulila
Tableau de couverture : Bassam Jamel
Bassam Jamel : Nouvelliste, poète et peintre Palestinien.
Magnifique texte