Bruno Geneste invité de Souffle inédit

Poésie
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© John Sellekaers

Bruno Geneste, le sémaphore de la poésie

Entretien conduit par Grégory Rateau

Bruno Geneste est un poète et écrivain breton passionné par la Beat Generation et les Surréalistes, il vit et travaille à Moëlan sur Mer où il monte régulièrement sur scène entouré de musiciens. Il est d’ailleurs le co-fondateur et animateur avec Isabelle Moign du Festival de la Parole Poétique « Sémaphore » (qui fêtait cette année son 20ème anniversaire) et de la Maison de la Poésie du Pays de Quimperlé où le monde de la musique rencontre précisément celui de la poésie. On lui doit entre autres des livres hommages sur Jack Kérouac, Bob Dylan et Xavier Grall.

Bruno Geneste invité de Souffle inédit

 

G.R : De Bob Dylan à la Beat Generation, vous semblez habiter à votre tour par le chant des vagabonds, des hobo, des hommes libres, des chanteurs de blues, des musiciens de jazz et de folk. Pourquoi cette fascination pour cette mythologie américaine ?

Bruno Geneste : Dans mon adolescence, j’arpentais inlassablement de la côte sud-ouest de la Cornouaille finistérienne, un bout de terre battue par les vents d’ouest où me parvenait le souffle de cette contre-culture américaine en gestation. La lecture des transcendantalistes, comme Henry Thoreau, Walt Whitman et dans leurs sillages les subtils poètes comme Robinson Jeffers et Gary Snyder, puis l’étude de la philosophie de Ralph Waldo Emerson et son « Natura » m’aideront ensuite à sonder l’espace de cette Amérique des amérindiens, celle du Winderness, de cet espace sauvage peu impacté par les activités humaines. Cette notion d’espace m’intéresse plus que l’aspect mythologique, car il ouvre un champ d’énergie d’une intensité souvent négligé, pour ne pas dire ignoré. Ce dernier  m’a ouvert de singulières portes. Dès mon premier recueil « Les Veines du Silence » paru en 1992, ce rapport au rivage m’a fait que s’amplifier et s’éclaircir, tracer aux fils de mes recueils et essais une ligne d’introspection que je qualifierais d’en marge de l’indéfinissable, à savoir qu’elle opère un fin basculement du visible vers l’invisible. C’est le cas, par exemple, de l’oeuvre de Robinson Jeffers, de laquelle se dégage les contours d’une voie en marge d’un moralisme borné, celle d’un poète qui tente de s’extraire du marécage de la pseudo-culture américaine et d’élaborer une pensée, comme l’écrivait Montaigne le plus éloigné possible du contexte lourdement humain. C’est pourquoi, l’espace américain m’a toujours fasciné, car il me renvoyait, chaque fois que j’arpentais ma côte bigoudène à cette notion d’« en face de l’humanité » (the coast opposite humanity) qu’évoque Jeffers dans son ouvrage « Le dieu sauvage du monde ». À partir de cette contemplation des lisières du sauvage on sort de « l’humain trop humain », on aborde les rivages présocratiques de la côte ionienne avec leurs notions de lointain. Ma fascination pour l’espace américain provient de son aspect indomptable où des hommes ont choisi de vivre et de « s’explorer » en empruntant des chemins de traverses, « le Vagabond solitaire » de Jack Kerouac en dit long sur cette quête d’une liberté absolue et d’une autre manière de ce mouvoir et, par la même, d’une volonté de sortir du contexte trop étriqué de son époque.

G.R : Vous venez de fêter les 20 ans du Festival Sémaphore que vous dirigez avec votre compagne Isabelle Moign. Vous y mêlez précisément lectures de poésie, chanteurs et musiciens. Là encore vous tissez des ponts entre les différents arts. Croyez-vous en un retour de l’oralité en poésie ?

Bruno Geneste invité de Souffle inédit

Bruno Geneste : Nous avons fondé en 2005, ma compagne Isabelle Moign et moi, le Festival de la Parole Poétique avec cette volonté de tout d’abord mettre toutes les paroles poétiques en mouvement, car elles répandent force de vie et beauté, en faisant jaillir les mille facettes du merveilleux. La poésie est un chant qui se déploie et se répand, c’est pour cela que nous attachons la plus haute importance sa mise en voix et à sa diffusion. Le chant du poète et celui qui porte, produisant une inflammation émotionnelle, il ritualise la parole, met à mal toutes tentatives de classifications et autres enfermements idéologiques, il porte en lui le grand poème homérique, cette symphonie océanique vibrant, à chaque édition, dans la voix des poètes invités. Oui, je crois profondément à ce retour à l’oralité en poésie car il donne profondeur au poème. Cet intérêt nous le voyons monter en puissance, pour preuve, jamais, notre Festival n’a connu une aussi grande fréquentation qu’aujourd’hui.

G.R : Je sens également un attachement très fort à la Bretagne. Votre poésie est-elle une ode à vos racines ?

 Bruno Geneste : Je dirais plutôt que ma poésie entretien depuis fort longtemps, une correspondance avec le paysage premier de l’enfance. De ce socle quaternaire surgit un lyrisme, que j’instille à mes poèmes. Les mots qui me viennent recomposent, chaque jour, et d’instant en instant le réel, aiguisent cette sensation si puissante qui depuis mon plus jeune âge n’a cessé de se manifester. Elle provient de ce paysage archaïque ouvrant des univers, déverrouillant la parole, m’insufflant une perception augmentée de cette réalité. La Bretagne est une région à forte identité, au sens du divers, elle véhicule des imaginaires, des mythes et une histoire qui commence, non pas en France, mais de l’autre côté de la Manche, dans l’actuelle Angleterre « La terre des angles », bien avant les invasions saxonnes sur l’île de Bretagne. C’est là que commence l’épopée poétique avec des poètes comme Liywarch-Hen, d’Ameurin ou encore Myrddin, un trésor qui s’échoue après avoir traversé les âges et qui est l’Esprit même du celtisme. Ma poésie provient de cet espace « primitif « à partir duquel l’on visite des contrées, que l’occident a occulté, réfréné… La figure du chaman apparaît, ici et là, dans mes poèmes de manière incantatoire et très proche de tout un système mythologique emprunté par les Celtes aux civilisations subarctiques, dont on trouve trace dans les mythes des Indiens des forêts de l’Amérique du Nord.

G.R : Vous êtes également très influencé par le surréalisme. Qu’est-ce que ce mouvement vous a apporté ? Y a-t-il un héritage aujourd’hui ?

Bruno Geneste : Le surréalisme ouvre à plus de réalité, plus de beauté et donc plus de force de vie. Ce dernier est éternel et irradie par ses multiples prolongements les travaux d’un grand nombre de créateurs. Je me suis particulièrement intéressé à cette force étrange que le surréalisme répand en nous, ses lignes de forces, sa poétique en lutte permanente contre le rétrécissement des imaginaires. Ce dernier nous invite à un dépassement par la résolution des contraires, par son inépuisable volonté à mettre au centre de toute quête la recherche du merveilleux. Mon « Manifeste du Surréalisme des Grève s» éd. La Rumeur libre 2022, en exhume les aspects les plus indomptables, car le surréalisme procède de l’ouvert, son caractère sauvage ne supporte que peu l’enfermement.

G.R : Votre dernier livre est un hommage à Bob Dylan que vous considérez comme un authentique poète, entre biographie et poésie vous écrivez sur lui :
ll vient entre les battements
entre les persiennes de sang
entre le tamis des rêves
il vient sous la brume des navires
sur le papier du chant
sous le buvard des lumières
il vient dans les couleurs
avec l’archange des brumes
avec le blanc nocturne
de la nuit qui te respire
il vient Dylan dans les vibrations

Cherchez-vous comme lui à mettre votre histoire, vos tripes dans chacun de vos poèmes ?

Bruno Geneste : Sachant que le poème est une tentative pour s’extraire de la lourdeur des temps et de ce trop de réalité, comme le rappelle si justement Annie Le Brun, oui, bien sûr et par la force des choses, en vous quelque chose s’imprime et qui très certainement devient un cri, une avancée vers cette écume de l’inconnu, cet élargissement de la vue, ce promontoire si vibrant de grandeur que suggère Dylan dans ses poèmes. Je crois donc que toute poésie est intimement  liée au lieu que l’on habite. Pour ce qui concerne l’espace breton, où la culture celtique était déjà présente lorsque les bretons insulaires ont commencé à migrer vers le 5ème siècle, et à s’installer en Armorique l’actuelle Bretagne, les grandes figures mythologiques comme Brigitta, la déesse de la poésie et de la sagesse, faisaient partie de ces mythes fondateurs d’une poétique qui tournait autour des dieux et des déesses et l’on retrouve aussi dans le christianisme celtique primitif. Il est évident que cette dynamique, que l’on retrouve aussi dans les poèmes de Dylan, continue d’irriguer mon travail de poète.

G.R : Ce qui m’amène à vous demander si pour vous la poésie peut encore faire changer les mentalités comme la musique (Bob Dylan en première ligne dans ses engagements) a pu le faire durant les périodes les plus sombres de notre Histoire ?

Bruno Geneste : La poète œuvre de manière pélagique et en secret, car il va au-delà des apparences, toujours en quête de son moi profond. Je pense que pour garder sa justesse, il doit se tenir en lisière de l’histoire et œuvrer en marge de toutes agitations. Dylan a toujours gardé ses distances avec son temps, évitant, chaque fois, le poème de circonstance, afin justement d’en recueillir la substance nécessaire à élargir l’horizon, tout en nous ouvrant à quelque chose de plus intense, de plus stimulant.

G.R : Vous montez régulièrement sur scène pour des performances musicales. Que vous apporte la collaboration avec un musicien, le fait de monter sur scène, dans votre propre travail d’écriture ?

Bruno Geneste : La scène irrigue de manière permanente mon travail d’écriture, mon travail expérimental avec Loran Ran, plasticien et subtil créateur sonore. Notre approche a pour objet d’établir un dialogue entre musique et poésie, en faisant en sorte que cet échange soit le plus surprenant possible, qu’il apporte au texte sa force incantatoire, sa dimension trop souvent insoupçonnée et tout cela sans jamais tomber dans le piège de l’illustration.

G.R : La poésie peut-elle encore toucher un plus large public sans s’éloigner de sa source ?

Bruno Geneste : Je crois que la poésie, tout comme les arts visuels, est de nature initiatique, même si le public est de plus en plus nombreux, la poésie garde son secret en ne le dévoilant que partiellement. La poésie retourne sans cesse aux lisières, à ces pourtours de tournoiements dans le ciel de la côte. Elle se tient au large des foules et de l’histoire. Mon futur recueil « La Symphonie des Albatros » sonde l’espace vacant afin d’en faire jaillir la merveille, sachant que le poème porte en lui cette conscience d’une certaine grandeur, d’une certaine blancheur. La poésie permet, entre autre, d’augmenter la vie de celui qui l’écoute, d’aiguiser l’esprit de celui qui le reçoit et c’est aussi pour ces raisons que le public de la poésie n’attirera jamais la foule.

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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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