Muriel Augry-Merlino invitée de Souffle inédit

Poésie
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Poétesse voyageuse et polyglotte, Muriel Augry-Merlino allie son amour des lettres à une riche carrière internationale, mêlant écriture, enseignement et dialogue avec les arts.

Entretien conduit par Grégory Rateau

Muriel Augry-Merlino : L’ouverture sur d’autres cultures par la poésie

Après des études littéraires à l’Université de Paris Sorbonne et l’obtention d’une thèse de Doctorat, sur la littérature française du XIX ème siècle, Muriel Augry-Merlino quitte la capitale française pour le Piémont, et enseigne à l’Université de Turin, pendant une dizaine d’années. Sa carrière se déroule ensuite entre Maroc (Rabat et Kénitra), Italie (Palerme) et Roumanie (Iasi) où elle travaille pour les services culturels de l’Ambassade de France, entrecoupée d’un séjour professionnel en France, au Ministère des Affaires Etrangères. Les voyages et l’écriture sont les deux passions qu’elle conjugue à travers la rédaction d’essais, de nouvelles, de poèmes. Elle aime aussi engager le dialogue avec des artistes plasticiens ou des musiciens.

Muriel Augry-Merlino invitée de Souffle inédit

G.R : Vous avez beaucoup voyagé (aussi avec votre poésie) dans le cadre de vos fonctions diplomatiques. Comment est perçue la poésie française contemporaine à l’étranger ?

Muriel Augry-Merlino : J’ai en effet beaucoup voyagé et séjourné longuement pour des missions professionnelles dans deux pays, à savoir l’Italie et le Maroc et plus brièvement, la Roumanie. J’ai participé à de nombreux festivals ou salons du Livre où la poésie a largement sa place, à Paris, Pise, Rome, Abidjan, Bucarest, Beyrouth, Montréal… Je suis allée rencontrer des lecteurs dans des universités, des librairies francophones.
La poésie française est certes appréciée, mais ce sont les grands noms de la poésie du XIX ème siècle qui sont sempiternellement cités : Rimbaud, Verlaine, Apollinaire, Chateaubriand, Lamartine, Mallarmé. Parfois un timide XXème siècle : Perec, Char, Eluard…Les poètes du XXI ème siècle ne font que très rarement leurs  entrées livresques dans les universités.

La poésie contemporaine en revanche est présente dans les Instituts français ou Alliances françaises et lors des événements que la France organise dans l’hexagone et à l’étranger comme la « Nuit de la Poésie » ou le  « Printemps des Poètes ». J’ai d’ailleurs invité bon nombre de poètes français à ces occasions et le public était au rendez-vous. Mais il s’agit souvent d’un public d’initiés ou alors de vrais curieux…

G.R : Vous publiez très peu en France chez des éditeurs mais dans des éditions bilingues à l’étranger. Pourquoi cette démarche ?

Muriel Augry-Merlino : J’ai publié peu en France pour une raison très simple, à savoir que je me suis tournée vers l’écriture poétique au milieu de ma carrière et que je me trouvais toujours à l’étranger. Je ne revenais que pour les vacances en France, et encore pas toujours…Et puis, plus sérieusement, ce choix s’est imposé tout seul, car pour moi toute écriture est partage. Et j’ai besoin d’échanger avec ceux qui sont autour de moi, d’abord des amis proches, puis des artistes et écrivains locaux, des institutionnels. Je ressens la nécessité d’être en phase avec la vie culturelle du pays dans lequel j’ai vécu ou je vis. Huit de mes recueils de poésies sont publiés à l’étranger.

J’ai donc écrit dans ma langue, le français, mais j’ai souhaité publier avec une traduction. Aussi ai-je eu des parutions en édition bilingue en Italie, au Maroc, en Roumanie, en Espagne. Et des poèmes traduits en une dizaine de langues pour des revues. Pour un livre en Roumanie, j’ai souhaité une traduction dans les quatre autres langues romanes : le roumain, l’italien, l’espagnol et le portugais.

Publier à l’étranger constitue une superbe ouverture, j’aime que mes mots voyagent, comme moi. J’aime qu’ils rencontrent des lecteurs auxquels je n’aurais pas du tout pensé…

Bien sûr, je ne suis pas hostile à la publication en France et je remercie mes éditeurs français qui me font confiance.

G.R : La traduction n’est-elle pas bien souvent une trahison ? Cette « grande école de l’échec » comme la définit Claro qui y voit également une chance d’apprendre par cet échec renouvelé précisément.

Muriel Augry-Merlino : Je ne sais si on peut aller jusqu’ à la caractériser de trahison, mais c’est une « opération », « un acte » particulièrement complexe. Surtout en poésie. J’ai eu une aventure périlleuse qui m’a mise en garde pour donner mes poésies à  traduire. Certes le traducteur a souvent le souci légitime de rester fidèle à la pensée, à l’expression d’origine, mais si le résultat dans la langue de réception est d’une banalité désespérante, alors non. Cela dénature totalement le texte. Il y a aussi des langues plus difficiles que d’autres à traduire qui utilisent plus de lyrisme, je pense à l’arabe. La meilleure traduction pour moi est celle qui va se lire sans penser au fait qu’il s’agit d’un texte traduit.

Et pour la traduction de la poésie, seul un poète peut le faire. Je me refuse désormais de donner mes poèmes à toute autre personne, sauf dans le cas où celle-ci ou celui-ci me connait très bien et se trouve à l’aise dans mon univers poétique pour le retranscrire avec rigueur et émotion.

La traduction est un métier ou une passion. Et j’ai une grande admiration et reconnaissance pour mes traducteurs. J’exige d’ailleurs, auprès de mes éditeurs, que leur nom figure en couverture.

G.R : Votre poésie s’inscrit dans une certaine tradition qui tend à magnifier le réel, en commençant par le choix de vos titres (Eclats de murmures, Instantanés d’une rive à l’autre…). Pensez-vous qu’une écriture poétique se construit inévitablement en contradiction voire en marge de son époque ?

Muriel Augry-Merlino : Ma poésie prend appui sur le réel, mais ne cherche pas à le magnifier à tout prix. En revanche je suis à la recherche souvent d’un esthétisme, peut-être d’une élévation, d’un sentiment ou sensation qui fuit la banalité.

Mes titres font l’objet d’une longue réflexion. Là encore, je ne cherche aucune forme de lyrisme exacerbé. Je m’amuse souvent avec les oxymores. Je m’efforce de trouver un titre qui fasse que le lecteur ait envie de se plonger dans le recueil, un titre qui invite à la découverte.

Non je ne pense pas du tout qu’une écriture poétique doive se construire en marge de son époque. Pourquoi ? Si je me réfère à ce que j’écris, cela passerait par un constat profondément amer de notre époque et d’une volonté mensongère de ma poésie d’édulcorer la réalité. Non je suis au fait, comme tout un chacun, de toutes les horreurs du monde, je ne les ignore pas, mais mes textes poétiques veulent plutôt apporter un apaisement aux maux du monde, ou tout simplement aux maux du quotidien. Ils sont aussi le plus souvent une évasion, voire une errance. Ils se veulent une halte dans ce monde frénétique où la violence est omniprésente.

G.R : Quelle place occupe encore le poète de nos jours ?

Muriel Augry-Merlino : Le poète a un rôle aussi minime qu’essentiel. Mais dans ce monde contemporain où chacun parle et exprime les pires banalités sur les réseaux sociaux, quelle est vraiment la place de la parole ? Ou mieux du silence ? Il faut savoir parler, à bon escient. Il faut aussi faire des pauses et réfléchir, prendre du recul.

Le poète est celui qui est en marge du monde, ou plutôt en décalage. C’est un écrivain qui vit à son rythme et peut inviter le lecteur à ralentir son propre rythme. Il peut avoir une mission salvatrice dans ce chaos où la déraison galope jour après jour.

La « folie » du poète est raison.
Mais encore faut-il savoir l’écouter.

Muriel Augry-Merlino invitée de Souffle inédit

G.R : Que peut encore la poésie au regard de nos actualités ?

Muriel Augry-Merlino : La poésie peut bien sûr dénoncer. Et de nombreux poètes le font. Mais pour ma part il existe d’autres genres littéraires qui me semblent mieux appropriés, comme l’essai. L’actualité est si préoccupante qu’elle nécessite une analyse, une expertise, un raisonnement. Or ce n’est pas l’apanage de la poésie.

Et si on lisait Victor Hugo ou Lamartine pour comprendre l’Histoire, il me semble qu’on ne lit pas forcément aujourd’hui un poète pour déchiffrer la cruauté ou l’absurdité du monde. Chaque époque a ses codes Si le poète est lu, ce n’est de toutes façons pas en priorité.

G.R : Lors de vos rencontres, une poésie qui vous aurez particulièrement marquée et pourquoi ?

Muriel Augry-Merlino : Je pense qu’il est difficile de répondre à cette question. Je pourrai vous en parler au passé, ce qui est tout autant primordial pour moi.  Le Bateau ivre de Rimbaud découvert à l’adolescence m’a fascinée : les images, le rythme, une totale liberté… la vraie vie.

Une poésie à citer maintenant. Non cela n’est pas possible. Il y en a trop, aussi bien chez les poètes français qu’étrangers.

Plus qu’une poésie en particulier, ce sont des poètes rencontrés à maintes reprises et qui sont devenus des amis, qui m’ont marquée et guidée vers l’écriture poétique. Il s’agit du poète tunisien Tahar Bekri et de la libanaise Vénus Khoury Ghata. Leur prose poétique, leur recherche lexicale, leur rigueur et en même temps l’explosion de sensations exacerbées d’une subtile sensualité a indubitablement ouvert mes horizons.

G.R : La poésie est souvent marginalisée, mise de côté quand on aborde le sujet de la littérature. Il en va de même de la nouvelle. Une autre passion pour vous. Pouvez-vous nous en parler ?

Muriel Augry-Merlino : Oui je suis toujours étonnée lorsqu’on met la poésie en marge de la littérature. Le poète n’est-il donc pas un écrivain ? Il en est de même de la nouvelle à laquelle je me suis intéressée dès mes études de doctorat avec une thèse sur Le cosmopolitisme dans les textes courts de Stendhal et Mérimée.

La nouvelle a souvent et longtemps été considérée comme un genre mineur. Et mon choix de m’intéresser aux nouvelles de Stendhal et non à ses romans était jugé par les enseignants comme quelque peu étrange, mais finalement heureusement accepté pour une recherche universitaire.

J’ai donc analysé la structure de la nouvelle et me suis passionnée pour ce genre particulièrement exigeant où dans une dizaine, une quinzaine de pages l’intrigue doit se dérouler. Où le début et la fin sont d’une importance capitale. J’aime cette économie de moyens mise au service d’une grande intensité. Pour écrire des nouvelles, je pars d’un fait divers et laisse naviguer ensuite mon imaginaire. Le quotidien est rempli de faits absurdes et j’aime m’appuyer sur ces données.

J’ai donc commencé l’écriture de fiction par la rédaction de nouvelles et j’en publie régulièrement dans des anthologies.

Actuellement, j’alterne avec les deux genres, selon mon humeur. Ils sont pour moi très complémentaires, car le mot juste est l’enjeu de la nouvelle comme de la poésie. Et s’il laisse une empreinte chez le lecteur, alors le pari est réussi.

Un extrait de sa poésie

Dans le lit sans fin

La nuit a un goût d’amande brûlée
elle se plait à jouer avec les figures de l’oubli se prélassent
dans les fauteuils
trop vieux pour avoir mémoire
Aguichante elle te montre
ces endroits où tu vécus en cœur apaisé
de la crique cristalline à la ville dédale
sournoise son étreinte se resserre peu à peu
contractions bleuies par le ciel dans l‘angle de la lucarne
mensonges et fausses félicités
sur l’écran obsolète des jours hier

Lourd est le drap de la nuit sur ton corps fatigué
les secondes tournent à rebours
elles ont perdu le chemin du pays qui naguère te conviait
aux festins de l’aube rassasiée
tu cherches le sommeil dans les bras malingres
de l’ombre invitée
dans le lit sans fin

Grégory Rateau
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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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