À travers ses poèmes inédits, Bernard Fariala Mulimbila dénonce les dérives des puissants, appelle la jeunesse africaine à s’affranchir et interroge le destin des peuples.
Bernard Fariala Mulimbila : La voix des peuples et des mémoires
Renégats
Réduisez, ô renégats, vos délices et vos morgues
Qui vous font perdre le sens
De l’humanisme, et vous rabaissent.
Protégez vos terres des prédateurs
Ignominieux, ces patrimoines de vos aïeux.
Pensez à vos nations, sans raison, détruites,
Honorez vos peuples sur qui reposent
Vos redoutables règnes vibrant des tonnerres
Et des foudres, pareils aux déluges de grêles.
Malgré eux, o seigneurs, sans sortir de leur torpeur,
ils vous applaudissent malgré l’oppression ;
Cependant, les pervertis vous encensent
En vous adorant comme des demi-dieux.
Au moment où, avec remords, ces misérables
Se dessèchent grommelant,
Les autres s’engraissent et s’abreuvent
Du nectar comme des abeilles inconscientes
Des sombres cycles de l’âme.
Vers l’abîme de la mort, ces peuples !
Prompts à vous déchoir, sans merci,
Mais aussi à vous glorifier, si vous leur évitez,
O seigneurs, l’hécatombe et les malheurs.
Tandis que s’évapore leur espoir,
Vos notoriétés s’estompent également sans peine.
Jamais, dans la nature, la belle mélodie
Du canari ivre de joie n’a consolé, ô parjure,
L’affamée cigale, jour et nuit, en larmes.
Cloués au pilori vos peuples, leurs détresses
Soufflent, dans les rues, sans détour, les bourrasques,
Et, puisque sans valeur, le sang des innocents arrose la poussière.
La vie corrompt la vie, rien ne compatit à cette précieuse existence.
Murmurant de tristesse ou parfois de fugace liesse,
Ils vous observent impuissants.
A vos discours alléchants, ô pauvres monarques,
ces peuples,
Remuant l’espoir, s’accrochent et, à tort, s’entre-tuent.
De vos philippiques, ils se rengainent ou se dérobent,
Car vos pompes rhétoriques ne reflètent rien d’empathique.
Plus vous les écoutez, plus ils vous réaffirment leur loyauté ;
Moins vous les harcelez, moins vous ressentez des épines à vos pieds.
Si peu que vous assurez leur subsistance,
Vous vous parerez des honneurs
En dépit de vos faramineux avoirs
Entassés au détriment d’eux.
Croyez-vous, ô renégats, être heureux à vos perchoirs !
Ô quelle illusion ! ô quelle ostentation !
La raison est pour le souverain primaire
Muselé par vos funestes puissances.
Il n’existe pas de corps vif sans tête,
Ni de tête bien pensante sans corps.
Cette harmonie là ne consacre-t-elle pas
La survie de l’organisme ? ô seigneurs !
Méfiez-vous des leudes, flatteurs le jour
Et la nuit des hiboux, neveux des chouettes,
Voisins des chauves-souris.
Les mouches ne se ruent elles pas davantage
Sur les Blessures que sur les égratignures ?
Alors qu’elles les infectent en les couronnant
Des palmes sans mérite ni estime !
Ne laissez pas, ô renégats, la magnificence
Des éloges empoisonnés vous détourner
De votre rôle de garants des nations.
Car rien ne vous élèvera sans l’amour
Avéré envers vos peuples.
Ainsi, vous laisserez des effigies indélébiles
Dans l’histoire de vos pays décousus.
Les trônes souvent en dispute, ô seigneurs,
Véritables croix de martyr, loin de parures ni de convoitise.
Sachez que vos jubilations corruptibles
Enchaînent les cœurs de vos peuples meurtris,
Et sacrifient leurs désirs inassouvis de la vie.
Ô triste terre des vivants ! ô vanité du monde!
Maîtres du monde
Ô maîtres ! ô puissances du monde !
Vous tentez de dominer, certes, la terre sans la maîtriser.
Vous explorez l’univers sans appréhender son immensité.
Vous, ô maîtres, dont les donations corruptrices,
Apportées par Astarof et Belzébuth,
A cette humanité en décadence,
N’ont jamais éradiqué ses flairs.
Pourquoi écoutez-vous uniquement
Les supplications des uns en négligeant celles des autres ?
Ô maîtres ! Éloignez de vos cœurs ces rudes richesses
Qui alimentent ce temple transitoire,
Et vous amnésient les souvenirs de Sodome.
Elles vous dévorent en silence,
Elles nourrissent votre orgueil ;
Aussi sûrement que les catastrophes chaînent
Votre puissance et rasent vos cités,
Ainsi, les conflits ravagent et dispersent les existences.
Pourquoi investir dans la fureur plutôt que,
Sans discrimination, dans la mutation de nos sociétés !
Quelle obsession avoir soif de se baigner dans le sang des humains !
Quand se lève, des affres de guerres, un Moïse,
Sur lui s’abattent, par la jalousie d’âme,
D’épouvantables grêles
Comme à l’ époque des conquistadors.
Ô faiblesse de notre existence ! Ruine de notre humanité !
Êtes-vous, ô maîtres, agents du mal ou du bien ?
Sur cette terre où le destin nous a tous mis à l’épreuve,
Que les puissants avec leurs mérites reconnus
Portent assistance aux faibles avec leurs fortunes admirables.
Ainsi, en synergie, nous surpasserons les agressivités
De la nature et défierons honnêtement les pandémies…
Qui ne permettra pas, ô maîtres, de voir
Ce bâtiment, bail de l’âme, s’effondrer !
Nul n’a encore décelé quoi que ce soit,
Ni entendu dans l’histoire de l’humanité.
Les rivières de larmes et les prières des peuples,
Injustement assujettis, à travers le monde,
Ne semblent rien apporter face à des conjurations maudites,
Et n’ont jamais effacé les flots de sang des innocents.
Ils teintent leurs terres, et vous nourrissent.
Ô maîtres ! ô puissances du monde !
Laissez à la nature ou à l’univers
Les soins de s’occuper des incrédules.
L’heure est à l’éveil des consciences
De tous les êtres, en les rendant
Pleinement heureux, et non pas à leur épuration.
Ô jeunesse africaine
Cherche ta liberté, affranchis-toi de toute contrainte
Avilissante. Ne quête pas cette liberté à tâtons
Tel un aveugle désespéré,
Conduit par un enfant mendigot;
Lorsque celui-ci s’arrête, tu te figes.
Il avance, tu progresses; il trébuche, tu chutes.
Ô jeunesse de l’Afrique tourmentée !
Essuie de tes yeux les chassies
Qui obscurcissent ta vision et te privent de lucidité.
Ne te lamente jamais face aux rapaces voraces
Qui, sans scrupules, dévorent hélas tes trésors,
Assurant l’avenir de leur descendance.
Dans ces geôles, certes, meurtrières, à ciel ouvert
Sans verrous insurmontables, toi dans la délectation
Ou sous la douleur, tu continues, sans raison, à gémir.
Alors que des amorces te flagornent, te garrottent.
Mais cela ne t’enseigne point comment t’en libérer !
Ô rires de Lucifer ! Ô douleurs des anges !
Perte d’espérance ou résurgence !
Tes ancêtres tirailleurs ont marqué l’histoire,
Mais, la mollesse, ô jeunesse, engloutit ta mémoire.
Prends courage, déchaîne-toi des nervis d’Al Capone,
Essouche ta liberté, affranchis-toi des entraves
Qui te consument tel le feu dans les ordures.
Elle t’accompagne partout telle une ombre.
Scrute ton cœur, remue ton esprit, agis.
À l’unisson, ô jeunesse de l’Afrique tourmentée,
Déploie ton courage, façonne ton avenir
En acceptant le sacrifice, en inhumant ta peur,
En ressuscitant les exploits de nos héros trahis.
Assassinée est ton unité sous le joug des ténèbres !
Pourquoi es-tu envoûtée par les illusions de l’outre-mer ?
Ô sages d’Afrique, ramenez cette jeunesse
Sur le chemin de la raison, sur les pas de la sagesse
Où soufflent le vent du réveil et le cri de la libération,
Où s’ébranle l’élan d’abnégation et d’autodétermination.
Les pays-esclaves
Pays-esclaves, peuples semi-libres,
Peuples qui gémissez dans un déséquilibre
Désolant, sans être entendus par les seigneurs
En majesté. Tels les cris d’oiseaux,
Vos ovations s’élèvent dans les cieux.
La pauvreté s’empare d’eux, tout comme la terreur.
Les uns, sans soupirs de survie, les autres, avec soupirs de joie.
De vos supplices, ô peuples privés de ripailles,
Aux cœurs déchirés par tant de funérailles,
Loin s’envolent, ô dommage, vos destinées,
Et au sein de vous, éclatent des guerres intestines.
Réveillez-vous, libérez vos pays des oripeaux
Ou de la félonie décevante des suppôts.
Pourquoi persister à courber l’échine,
Tel un vieillard appuyé sur sa canne,
Désespéré de se redresser un jour !
Alors que le temps mûrit vos pensées sans détour,
N’acceptez pas, ô peuples des contrées à la vie ardue,
Les détours d’un dessein non encore perdu.
Vos nations sont traînées dans les fanges en file,
Tels les captifs à l’époque de Greene King ou de Marie Brizad.
L’esclavage des âmes s’est métamorphosé sous des accords
En celui des pays, assujettis à des enjeux singuliers.
Si certains anciens monarques avaient tant
Cautionné ce crime, ceux d’aujourd’hui ne s’en écartent guère.
Pays-esclaves, peuples semi-libres, peuples doux,
Autant qu’il y eut en Haïti des Toussaint Louverture,
Au Mali des Soundiata Keita brandissant leurs bravoures,
Autant qu’aujourd’hui, sur les monts de Tenakourou,
Hombori Tondo et de Hidoukal-n-Taghes, rugissent
Des rois-lions empreints d’empathie, sans grimoires,
Pour leurs peuples, mais aussi affamés de périls et de gloires ;
Leurs rugissements font vibrer des murailles,
Et bravent les escadrons de la mort sans failles.
D’exploit en exploit, ils cueillent des fleurs au milieu des ronces.
Leurs voix renforcées, ils ne tergiversent point avec irrévérence,
Ni ne reculent, ni ne trahissent leurs peuples ; mais,
Ils les nourrissent de merveilles et d’espoir à jamais.
Protégez ces leaders, ne les sapez point comme
Les félons d’antan avaient cruellement sacrifié
Nos tribuns. Frayez, pour votre libération, des chemins sanctifiés.
Que l’honneur de la patrie se grave à jamais dans vos âmes.
Car il n’est rien de plus affligeant qu’une tête dénuée de pensées
Et un cœur abject, dépourvu de sentiments apaisés.
Gare aux éloges imposteurs qui blessent
Les âmes sincères avec effervescence.
Un cœur noble se contente de son essence
Et non de s’applaudir des vertus d’autrui.
Ô peuples, le perroquet en cage,
Comble de son verbe loquace,
Ne jouit pas de liberté, celle de planer dans les airs à son gré.
Tels sont des pays esclaves sous le condominium.
Ô peuples des contrées captives de pandémonium,
Déployez les étendards d’unité et de résilience.
Jamais le voile des nuages épais couvrant le ciel
N’a empêché de rayonner, dans l’azur, le soleil.
Surplombez-les afin de contempler les merveilles.
Extrait du recueil « Ô triste terre des vivants» ( Poésie et contes), inédit.
Fariala Mulimbila Bernard, RDC
Bernard Fariala Mulimbila est né le 26 novembre 1955 à Kibali, dans la province du Maniema, en République démocratique du Congo. Passionné de poésie et de littérature, il consacre également ses recherches à l’histoire douloureuse de l’esclavage africain et à ses répercussions.
Auteur du recueil Femmes captives, publié aux éditions Edilivre en France, il poursuit son chemin d’écriture avec un manuscrit encore inédit, Ô triste terre des vivants. Ce recueil mêle poésie libre, haïkus et contes, témoignant d’une sensibilité littéraire où s’entrelacent mémoire, dénonciation et quête de sens.
À travers ses textes, Bernard Fariala Mulimbila interroge la condition humaine, la mémoire collective et les aspirations des peuples, inscrivant sa voix dans la continuité d’une littérature engagée et universelle.