Hiba Tayda invitée de Souffle inédit

Poésie
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Hiba Tayda, poétesse algérienne discrète et lumineuse, puise son inspiration dans les paysages du Djurdjura et les douleurs du monde. Enseignante, autrice, illustratrice, elle incarne une voix forte de la littérature contemporaine berbérophone et francophone.

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Hiba Tayda : « L’amour est le sentiment positif le plus puissant qui existe. »

POÈTES SUR TOUS LES FRONTS

Qui est Hiba Tayda, cette voix douce et forte née au cœur du Djurdjura ?

Par Lazhari Labter

Hiba Tayda est son nom de plume. Discrète et humble, elle a choisi d’écrire sous ce pseudonyme, mélange savant entre un prénom arabe qui signifie « don » ou « cadeau » et un nom berbère qui veut dire « pin », comme l’arbre et le nom du quartier où elle habite : Tayda.

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Née au village de M’Chedellah, elle vit et travaille à Saharidj, une commune de la wilaya de Bouira, dans une région autrefois pauvre et démunie mais d’une beauté à couper le souffle avec ses montagnes majestueuses, ses forêts denses, ses sources d’eau pure, sa riche faune et sa flore, qui font partie du parc national du Djurdjura dont le sommet culmine à plus de 2300 mètres. Comme pour saluer les merveilleux nuages et tutoyer les muses.

Djemâa Saharidj n’est pas riche seulement de ses paysages grandioses, mais aussi d’intellectuels illustres dont le plus connu est le défunt Mohamed Said Ziad, l’ami de l’artiste plasticien M’hamed Issiakhem et du romancier Kateb Yacine. Le journaliste de radio et de presse au long cours, le conteur né à Mekla, mais qui tout comme Hiba habitait Saharidj, qui parlait aux roses qu’il cultivait avec amour dans son jardin comme il ciselait les mots, en particulier à Algérie Actualité, le célèbre hebdomadaire où il animait une rubrique sous le titre « Sagesse du terroir » dont un des contes, jugé « subversif » par le pouvoir de l’époque, lui a valu en 1985 une semaine de détention. Rien que ça !

Si Said Ziad parlait aux roses, le genévrier sous lequel repose M’hand, l’ancêtre de Hiba, murmure, lui, des prières, à l’autrice de Papillon de nuit, la poétesse qui a consacré l’endroit où il est planté comme le plus magique, le plus énigmatique et le plus mystérieux du monde.

Entre le pin, symbole d’immortalité et de longévité et le genévrier, symbole de protection et de vie éternelle, Hiba explore dans sa poésie « ce que l’âme a de plus mystérieux et de plus indescriptible », se nourrissant de ses arbres qui hantent les rêves et les vers, leur communiquant lumière, énergie, vitalité et sagesse.

Mais les roses font partie de sa vie aussi : « Sur la pointe des pieds, Zahra sortit de la maison et referma la porte derrière elle. La matinée était agréable même si le printemps n’avait pas encore commencé. La cour sentait bon le frais grâce à toute l’eau qu’elle y avait versée pour la nettoyer. Et plus important encore, le parfum des roses embaumait l’air. Lentement, elle se dirigea vers les rosiers de son oncle qui faisaient tout le mur près de la porte de la cour. Le rosier qui montait dans l’angle était son préféré. Ses roses étaient charnues, généreuses et d’une couleur foncée. C’était un vrai bonheur de les sentir. Ce qu’elle ne se priva pas de faire.

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Dès qu’elle porta une de ces fleurs à son nez pour la respirer profondément, elle sentit son âme s’épanouir et son esprit voler loin. La sensation était toujours la même mais elle s’en étonnait à chaque fois. Elle passa sa joue sur les pétales doux et frais comme des gouttes de pluie d’été. Elle ferma les yeux et laissa sa tête se vider. Durant ces petits instants, elle n’avait aucun mal à imaginer que sa vie était aussi douce et parfumée que ces magnifiques roses. Sa vie d’autrefois avait été marquée par un drame insurmontable. Les jours passaient mais l’oubli ne venait pas. Même avant de venir dans cette maison, le monde était pour elle un tableau gris et sans vie où la pluie ne cessait de tomber. » (Extrait du roman Les cœurs qui s’aiment s’appellent).

Sensible à toutes les souffrances et les détresses humaines, elle qui à qui il suffit d’une plume pour se mettre à écrire, perd ses mots face aux palestiniens qui errent comme des zombis revenus de la mort, « les gazaouis (qui) ont supporté un tel degré de famine que leurs corps ne pourront plus assimiler la nourriture s’ils venaient à manger normalement. Les séquelles de cette famine sont irréversibles surtout pour les enfants. Même après avoir survécu aux snipers, à la drogue dans la farine, à la privation la plus abjecte, ceux qui auront la chance de mettre la main sur un bon repas, ne pourront pas récupérer leurs santés. » écrit-elle dans un post sous le titre « Je n’ai vraiment plus les mots… »

Quoi de plus normal pour celle qui a côtoyé des enfants en tant qu’animatrice en périscolaire, l’enseignante de français, l’autrice de littérature de jeunesse, l’illustratrice et la poétesse qui portent en elle des rêves d’enfants jouant dans des jardins aux mille fleurs, sous les pins et les genévriers comme en écho aux « Rêves en désordre » du grand poète et militant, le défunt Bachir Hadj Ali :

Je rêve d’îlots rieurs et de criques ombragées
Je rêve de cités verdoyantes silencieuses la nuit
Je rêve de villages blancs bleus sans trachome
Je rêve de fleuves profonds sagement paresseux
Je rêve de protection pour les forêts convalescentes
Je rêve de sources annonciatrices de cerisaies

Parlant plusieurs langues dont l’arabe, l’anglais et le turc, en plus du français, sa langue de plume et du berbère, sa lague maternelle, Hiba Tayda porte haut la voix des sans voix, des laissés pour compte, des malheureux dans les salons du livre, les cafés littéraires, les ateliers d’écriture et de lecture et les événements culturels à chaque fois que l’occasion lui ait donnée sans parler de sa participation à des après-midis poétiques toutes les deux semaines au club « Le Cercle des poètes » de la maison de la culture de Bouira depuis 2016 à ce jour.

Cœur aimant, âme généreuse, elle appelle les cœurs qui s’aiment à s’unir et se réunir tout en semant à tout vent partout où elle se trouve les graines de la bonté et de la beauté. Et en répandant de l’amour autour d’elle, ce « sentiment positif le plus puissant qui » existe dans l’univers selon sa belle formule.

Lazhari Labter : J’aime bien commencer mes entretiens pour cette rubrique de « Souffle Inédit » avec la convocation d’un souvenir. Qu’évoque pour toi cette photo ?

Hiba Tayda invitée de Souffle inédit

Hiba Tayda : Cette photo représente le genévrier qui cache la tombe de mon ancêtre M’hand. Cet endroit se trouve non loin du village de ma famille, qui fut détruit pendant la révolution par l’armée française.  Cette photo évoque aussi mon attachement pour la terre de mes ancêtres, mon lien avec mon environnement naturel et mon amour pour la terre (la matière). L’endroit qu’on voit sur cette photo est le lieu le plus magique que je connaisse. Il renferme des secrets du passé, des énigmes insolubles et le mystère de la vie et de la mort… le tout murmuré par les branches tombantes du genévrier centenaire… Comme si notre ancêtre nous murmurait des prières depuis l’autre côté.

L.L. : Il y a dix ans, en 2015, tu sortais de l’ombre avec la publication de ton premier roman Un slow avec le destin. Cinq ans après, tu reviens sur le devant de la scène littéraire avec Papillon de nuit, un recueil de poèmes, avant de revenir quatre ans après au roman avec Les cœurs qui s’aiment s’appellent. Comment es-tu venue à l’écriture ?

Hiba Tayda invitée de Souffle inédit    Hiba Tayda invitée de Souffle inédit

Hiba Tayda : Depuis aussi longtemps que je me souvienne, j’ai toujours écrit. Puis, à quinze ans, j’ai décidé de devenir écrivain parce que j’aimais écrire plus que tout. Mon premier roman, je l’ai écrit quand j’étais au lycée. J’ai écrit mon deuxième à l’université, pendant ma licence. J’ai arrêté pendant quelques années et j’ai reprit avec Un slow avec le destin que j’ai publié sous forme de chroniques sur mon blog de l’époque. Je n’ai jamais arrêté d’écrire depuis.

L.L. : Avant d’être connue sous le pseudonyme de Hiba Tayda, tu as commencé à publier des textes sur des forums et par la suite sur ton blog il y a de cela quelques bonnes années. Quelle expérience tires-tu de ce passage par le numérique ?

Hiba Tayda : J’ai aussi beaucoup publié sur une page Facebook à une époque. De cela, j’ai appris à me faire confiance par rapports à mes écrits. Avant cela, je n’écrivais que pour moi-même. Pourtant, je savais qu’un jour ou l’autre, je devais me lancer et faire connaître mon travail. Je ne pouvais pas souhaiter devenir écrivain et rester dans l’ombre toute ma vie. Internet m’a permis de prendre de l’assurance grâce aux encouragements des lecteurs et de leur fidélité. C’était une expérience bienheureuse et je serais toujours reconnaissante à toutes ces personnes, ces inconnus, qui ont pris le temps de me lire, de m’encourager et de me suivre durant un temps.

L.L. : En plus de ton travail d’enseignante de français, de romancière et de poétesse, tu t’adonnes à la peinture et au dessin et tu illustres toi-même les contes pour enfants que tu écris. Que t’apporte ce « mélange des genres », si je puis dire, dans le sens positif ?

Hiba Tayda : Tout ce que je fais, fait partie de moi, depuis toujours. Le dessin n’est pas une nouvelle pratique pour moi, j’ai toujours dessiné. J’ai seulement repris cet art avec plus de considération, avec un objectif et non comme un hobby pour satisfaire mes lubies créatrices. La peinture est venue bien plus tard. J’ai commencé par l’aquarelle durant le tout premier confinement. J’ai appris en regardant des vidéos sur Youtube. Mon objectif était de réaliser un livre pour enfants. Je n’avais pas encore l’intention de faire une collection. C’est venu avec le temps et l’inspiration. Depuis, je réalise des tableaux, des fresques murales et bien d’autres choses. Je me considère encore comme débutante, donc, on ne verra pas encore mes modestes œuvres. Le poète lyrique grec ancien, Simonide de Céos a dit « La peinture est une poésie silencieuse et la poésie, une peinture parlante ». Quand je réalise une toile qui me touche plus qu’une autre, je ne la vois pas en tant que peinture de plus mais comme un poème exquis qui exprime l’inexprimable, qui expose silencieusement des émotions subtiles qu’on pourrait presque toucher du bout du pinceau. Donc, toucher à l’art, c’est d’une certaine façon, toucher à l’âme humaine sans avoir à recourir aux mots.

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L.L. : Tu es présente dans tous les salons du livre, tu participes à des tables rondes, des cafés littéraires, des après-midi poétiques, sans parler des ateliers d’écriture et de lecture que tu animes. D’où tires-tu cette force d’être sur tous les fronts ?

Hiba Tayda : Je ne sais pas si on peut parler de force. Je le fais parce que c’est moi, tout simplement. Je n’ai pas encore mesuré la somme de travail que j’ai fourni depuis ces dix dernières années. Il est tout à fait naturel de parler de son travail, de l’exposer et de le défendre, qu’importe le lieu, la circonstance ou le nombre de fois. Chaque événement, chaque plateforme est une occasion de s’enrichir. Je n’ai pas grandi dans un milieu culturel ou littéraire, je n’ai jamais côtoyé ce milieu avant de publier mon premier roman. Je suis arrivée novice et prête à apprendre. Le contact avec mes pairs m’a permis de me confronter à moi-même et à mes propres limites. L’écriture est une expérience très solitaire, on peut ne pas identifier ses objectifs, sa vision, immédiatement, cela vient avec le temps. Plus j’expose mon travail au grand jour, mieux je sais quoi et comment écrire à l’ombre.

L.L. : Ton dernier roman intitulée joliment Les cœurs qui s’aiment s’appellent est un hymne à l’amour qui est capable de venir à bout des blessures et des meurtrissures de la vie. Crois-tu en la force de résilience de l’amour ?

Hiba Tayda : L’amour est le sentiment positif le plus puissant qui existe. Ce pays a été libéré par l’amour de la patrie, de la liberté. Je suis écrivain à cause de mon amour pour l’écriture. Nous avons tous, dans notre vécu, fait l’expérience d’une situation où l’amour a été le moteur principal. La force de l’amour réside surtout en sa capacité à unir, soutenir et guérir. L’amour n’est pas un décor de conte de fées avec des chants d’oiseaux et une fontaine magique qui redonne force et jeunesse. L’amour, c’est lorsque tout vous incite à abandonner mais vous refusez. C’est lorsque vous ne voyez pas d’issues mais vous continuez car vous pensez à la raison qui vous a conduit dans cette situation difficile. Et c’est aussi affronter les ténèbres les plus denses pour récupérer la personne qui a perdu son chemin et lui faire retrouver la lumière.

Hiba Tayda invitée de Souffle inédit

 

L.L. : Dans Défense de la poésie, le grand poète romantique britannique Shelley dit que « la poésie immortalise tout ce qu’il y a de meilleur et de plus beau dans le monde ». Partages-tu ce point de vue toi qui ne peut, à juste titre, imaginer un monde sans femmes, poésie et femme étant depuis toujours liée ?

Hiba Tayda : La poésie est bien plus qu’un exercice littéraire pour moi. La poésie est une exploration de ce que l’âme a de plus mystérieux et de plus indescriptible. C’est aussi donner voix aux émotions les plus profondes, aux sensations les plus fugaces et aux pensées les plus obscures. Comme je vois des symboles en toutes choses et en toutes situations, la poésie me permet de réinventer le monde et de révéler ma vision avec mes propres mots. La poésie nous apprend à regarder le monde au-delà des apparences, à percevoir la beauté dans le quotidien et à redécouvrir ce qui était sous nos yeux pendant tout ce temps.

Deux poèmes de Hiba Tayda extraits de son recueil Papillon de nuit

Un monde sans femmes

Hiba Tayda invitée de Souffle inédit

Un monde sans femmes
Est un monde sans lumière
Pourtant, on nous chasse
Qu’importe le lieu, on nous chasse

Comment préférer les ténèbres ?

Un monde sans femmes
Est un monde sans rires
Pourtant, on nous fait taire
Qu’importe le moment, on nous fait taire

Comment préférer le grognement des ours ?

Un monde sans femmes
Est un monde sans douceur
Pourtant, on nous bat
Qu’importe la circonstance, on nous bat

Comment préférer le crime ?

Un monde sans femmes
Est de votre faute
Pourtant, vous vous trompez de coupables
Qu’importe vos problèmes,
Vous vous trompez toujours de coupables

Choisir au cœur de la nuit

Tant d’étoiles pour de si petits yeux
Et pourtant,
Je ne cesse de regarder le ciel

Tant de regrets pour de si petites épaules
Et pourtant,
Je continue de changer de chemin

Tant de route pour de si petits pieds
Et pourtant,
Je n’ai pas fini de marcher

Des choix trop lourds à porter
Des choix difficiles à assumer
Des choix trop ambitieux
Le choix de la différence
De la grandeur et de l’inhabituel
Choisir au cœur de la nuit

Si je ne les porte pas sur mes épaules
Si je ne vais pas les chercher avec mes pieds
Je ne mérite pas toutes ces étoiles

Lazhari Labter
La poétesse
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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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