Découvrez l’univers de Watson Charles, poète et romancier haïtien, dont l’écriture lucide et sensuelle révèle la complexité du monde. De Seins noirs à Le Goût des ombres, son œuvre explore mémoire, corps et résistance.
Watson Charles, une voix poétique d’Haïti entre mémoire et résistance
Par Christophe Condello
Watson Charles a fait ses études de Lettres modernes à l’école normale supérieure (ENS) de Port-au-Prince (Haïti). Il est l’auteur du recueil de poésie Seins noirs (éditions Æthalidès 2022), du roman Le Ciel sans boussole (éditions Moires 2021), mention spéciale du Prix Senghor du premier roman francophone et francophile, et du recueil de nouvelles Le Goût des ombres (éditions Unicité, 2024) pour lequel il a reçu le Prix Christiane Baroche de la Société des Gens de Lettres ( SGDL). Chez Watson Charles, l’écriture ne cherche ni à dénoncer ni à consoler, mais à révéler la complexité du monde par l’élaboration d’une langue qui résiste, à la fois lucide et sensuelle, sobre et hantée. Il a cofondé les Éditions Bas de Page avec James Pubien, Wébert Charles et Jean-François Toussaint.
Me voici sur cette terre tarie
où ma peau taillée de pierres blanches
poursuit sa danse frénétique des Loas
Me voici avec ma bouche d’homme -fleuve
hurlant de mes derniers souffles
nos batailles
et les corps tranchés aux lames de l’épée des blancs
Me voici sur cette terre tarie
de poussière vagabonde
et de deux siècles de combats
Dans l’aube noire
et des chemins conquis
dire que notre histoire
est aussi fragile que notre royaume intérieur
(Je compte le temps des cyclones
pareil aux cadavres sur le sol poussiéreux)
Mes pieds sont fatigués de marcher
et parcourir cette terre tarie de poussière vagabonde
ma bouche à soif de l’eau nouvelle
Rive hantée
aux bras morts
danseurs cleptomanes
aux pieds calleux
deux siècles que nous hurlons
de nos plaies vives
et de fleuves noirs
Entre l’épuisement et le chaos
entre ceux dont leur rêve est hanté
de l’histoire et des chaînes
entre le jour clair des bas-fonds
ma gorge asphyxiée du soleil pauvre
(inédit)
***
Lèvres béantes
du gisement scrutant
promesses et blé
ton orage poursuit
le cadran solaire
dardant mon corps
tel un défi jaloux
tu regardes la barque
et la rivière sans courant
et dis !
quel est ce désir
qui te poursuit tel un cadavre
et le ciel farouche où aucun
animal ne geint
dis !
est-ce
nos griefs
nos blessés
tangibles
et nos espoirs amarrés du calvaire
mes mains. Ouvertes devant toi
comme un grand ciel incendié
et mon rire t’invoque
tel un été vagabond
je sens. L’odeur âcre de la mort
pareille au chant monotone
brûlant l’ellipse
l’écume est aussi semblable
à nos ruines lointaines
***
J’exile ma langue
pour que personne
ne trouve son mystère
Écoutant la voix du bohème
Je dis : ô peuples aux mille visages
et sans terres
que ton souffle soit celui des bateliers
qui crient sa peine
que les dieux meurent d’infamie
que nulle trace n’invoque ta présence
Je regarde le passé
telle une fleur accrochée au soleil
Je sais que mon visage
et celui de tes ancêtres
Je lève mes mains
vers les annonceurs de l’aube
vers les féticheurs
vers vous, ô peuples naissant des ruines
Je contemple les rives
jusqu’au ciel dominé
***
Le matin renaît
dans la fêlure des arbres
lacérant les pierres
et le cri des guêpiers
une porte se referme
comme cette main retenant cette feuille
qui tombe sur le parquet
Je saisis cet instant
semblable au fleuve
et ce voyageur fatigué
Lentement je m’éloigne des hommes
comme cette lueur pareille à un gouffre
***
Les trois derniers poèmes sont extraits du recueil Seins noirs
Christophe Condello est poète, blogueur (Christophe Condello | « Les arbres sont des êtres qui rêvent » Aristote), chroniqueur et directeur littéraire de la collection Magma Poésie chez Pierre Turcotte Éditeur.