Rodin / Bourdelle Exposition Corps à Corps
Rodin / Bourdelle – Corps à Corps au Musée Antoine Bourdelle Paris
Par Djalila Dechache
J’ai été invitée à une visite de Presse de l’exposition Rodin / Bourdelle, deux géants de l’art de la sculpture français du XIXème siècle.
Quel ne fut mon bonheur d’être guidée par six éminents professionnels lors du parcours de cette exposition scénographiée en cinq parties d’un labyrinthe sublime où il serait recommandé de se perdre.
La présentation générale a été ouverte par la Conservatrice en chef du patrimoine, Directrice de Musée Bourdelle Ophélie Ferlier Bouat qui souligne que les expositions précédentes ont donné une place à Antoine Bourdelle sans mentionner Auguste Rodin. Or, il se trouve que les deux artistes ont connu une relation intense et dans leur travail artistique et dans leur vie d’homme. Bourdelle, neveu d’un tailleur de pierre et fils d’un ébéniste très habile pour tailler des marbres, a travaillé cette matière noble pour Rodin, grand innovateur de la sculpture française, dans ce musée pendant une dizaine d’années de 1893 à 1907. Leur approche esthétique de la sculpture divergeait avec des liens communs comme le démontrera cette exposition nouvelle qui présente des sculptures du début du XXème siècle comprenant 160 œuvres dont 60 en provenance du musée Rodin, ajoutons-y également un bon nombre de dessins.
A cette époque-là Rodin (1840-1917) est très connu tandis que Bourdelle (1861-1929) plus jeune, demande de l’aide à son ainé lors d’une exposition à Prague.
Une correspondance entre les deux hommes, témoigne de leur relation de travail et d’amitié. Bourdelle écrit bien, il a une belle plume, il est aussi photographe, Rodin y est sensible et reconnaissait les talents de son disciple.
Cette Exposition, insiste la directrice Ophélie Ferlier Bouat, met en avant les ponts entre les des deux artistes
Un goût commun pour la matière calcaire et marbre
A partir d’un nu féminin, issu des réflexions de Rodin pour La Porte de l’Enfer, œuvre fameuse du maître, reposant sur un socle de matière brute en plâtre et marbre, Bourdelle cherche à rendre le velouté de la chair du modèle, jusqu‘à restituer le granulé de la peau du corps par endroits comme l‘est celui d’une vraie femme vivante avec ses imperfections pour faire jaillir la beauté de sa réalité. Il travaillait de nuit à la lumière des becs de gaz et l‘on peut déceler la trace des outils utilisés. C’est d’une précision étourdissante ( Eve, Auguste Rodin, Antoine Bourdelle ( praticien) Eve au rocher, grande version (1893-1906)Pierre Calcaire, Copenhague, Ny Carlsberg Glyptotek).
A partir de 1908, Bourdelle commence à s’émanciper de Rodin, il dit: «J’ai en ce moment beaucoup de travaux. Je n’ai plus besoin de travailler pour Rodin. Je vends beaucoup ».
Les deux artistes affectionnaient les masques de toutes sortes et de nombreux pays à commencer par ceux issus de l’art antique gréco-romain, asiatique, japonais ou encore hindou.
Ils cherchent à travailler l’expressivité du visage, du portrait. Sans compter le goût prononcé pour l‘art médiéval qui a la préférence des deux artistes ainsi que pour les sculpteurs de leur temps : Jean-Baptiste Carpeaux, Pierre Puis de Chavannes ou encore Eugène Carrière notamment qui seront des sources d’inspiration pour leurs propres créations.
Un secrétaire particulier, poète, qui plus est.
Rodin éprouve de l’intérêt pour le poète, et pas seulement parce que celui-ci doit écrire un livre sur lui : tous deux partagent le goût des voyages et de l’Italie, et une passion pour l’art du passé, en particulier pour le grand Michel-Ange. Rodin estime que le fragment n‘est pas une partie d’un tout, c’est un tout en soi.
Rainer Maria Rilke a été secrétaire de Rodin pendant presque une année. Le poète a écrit un texte remarquable dont un chapitre sur la main et le corps qui commence ainsi : « (…) Il y a dans l’œuvre de Rodin des mains, des mains indépendantes et petites qui, sans appartenir à aucun corps, sont vivantes. Des mains qui se dressent, irritées et mauvaises, des mains qui semblent aboyer avec leurs cinq doigts hérissés, comme les cinq gorges d’un chien d’enfer. Des mains qui marchent, qui dorment, et des mains qui s’éveillent ; des mains criminelles et chargées d’une lourde hérédité́, et des mains qui sont fatiguées, qui ne veulent plus rien, qui se sont couchées, dans un coin quelconque, comme des bêtes malades qui savent que personne ne peut les aider », ( extrait de Auguste Rodin de Rainer Maria Rilke 1928 p 24-25).
Comme on peut le constater ce texte est assez parlant sur l’approche de Rilke sur l’art de la sculpture où le mystère du corps, de la vie et de la mort reste entier malgré une tentative de briser l‘armure.
Autre sculpture en bronze, celle du Torse du Belvédère, assez impressionnante par sa beauté mutilée, dont Michel-Ange aurait refusé de la terminer. Cette œuvre pose la question de l‘énergie vitale qui sera développée plus tard par le philosophe français Henri Bergson. Selon Rodin cette énergie est d’ordre sexuel, c’est elle qui anime l’humanité toute entière, rien ne saurait l‘en dispenser.
Rodin et Bourdelle des collectionneurs insatiables.
Rodin étant plus fortuné et plus âgé que Bourdelle a commencé le premier à collectionner des œuvres d’art. Dès 1890, installé à la villa des Brillants, il acquiert plus de 6000 œuvres entre 1893 et 1917. Bourdelle commence à chiner de son côté auprès d’antiquaires parisiens et provinciaux. Dès 1890 la collection de ce dernier prend forme sans pour autant s’aligner sur celle de Rodin.
En réalité une collection permet de prolonger l‘atelier et constitue une matière de premier choix qui vient nourrir l’inspiration. Tous deux s’offrent mutuellement dessins et sculptures en signe de complicité et d’amitié.
Les deux artistes, selon toute vraisemblance ne sont ni en concurrence ni en rivalité, y compris lorsqu‘Antoine Bourdelle est devenu aussi important que son maître.
Des commandes hétéroclites et homogènes
Peu à peu les commandes publiques affluent en direction de Bourdelle qui a réalisé le fronton du théâtre des Champs Elysées à Paris, bâtisse très géométrique, avec la représentation de corps qui vont s‘adapter au cadre imparti. Une seule condition prévaut : faire en sorte qu‘ils soient lisibles à distance. Et c’est une réussite.
Rodin quant à lui s’attelle à un monument Les Bourgeois de Calais qui a suscité beaucoup de bruit, de même la tête de Balzac, « un monolithe émergé de terre », tête sauvage et brutale comme pouvait l’être parfois cet écrivain magnifique lorsqu’il écrivait à se faire mourir. À petits feux.
D’autre œuvres tout aussi importantes et célèbres que les autres vont venir agrandir le carnet de commandes des deux artistes en France et à l‘étranger.
Ce qu‘il faut souligner également est l‘attrait pour la mythologie des deux sculpteurs, qui s’illustre fort bien dans le parallèle entre bestialité et humanité, offrant ainsi une réflexion toujours aussi d’actualité au XXIème siècle. En effet, qu‘il s‘agisse de Dyonisos, le Centaure, Apollon, Daphnée changée en laurier, Cléôpatre, Athena et beaucoup d‘autres que le visiteur pourra découvrir et admirer, nul ne se lasse de s’attarder sur les interprétations proposées.
En tout état de cause, il ne peut être fait ici de tout ce que cette exposition remarquable renferme, c’est pourquoi il est tout à fait nécessaire de la visiter et de plus plusieurs fois.
En outre, il y a le jardin sublime de la propriété proche d’une nature luxuriante avec des sculptures monumentales impressionnantes.
Cette exposition est l’œuvre d’une équipe magnifique de professionnels dont je fais figurer les noms un peu plus loin.
Les avoir vu, entendu, suivi, senti évoquer chacune des cinq parties de cette présentation fait ressentir une joie sans pareille par leur connaissance, leur générosité, leur quintessence et leur implication communicatives.
Cette exposition est également un événement pour ce motif qui a permis l‘accès à une culture savante.
Exposition Corps à Corps Musée Antoine Bourdelle Paris jusqu’au 02 février 2025.
Commissariat général
Ophélie Ferlier Bouat, conservatrice en chef du patrimoine, directrice du musée Bourdelle.
Commissariat scientifique
Jérôme Godeau, commissaire d’exposition, historien de l‘art, musée Bourdonne
Colin Lemoine, responsables des photographies et des collections des XX et XXI siècles, musée Bourdelle
Véronique Mattiussi, cheffe du service de la Recherche musée Rodin.
Valérie Montalbetti-Kervella , responsable des sculptures , musée Bourdelle
Lili Davenas, conservatrice des peintures et dessins musée Bourdelle.
Pour aller plus loin : Correspondance Rodin / Bourdelle (1893-1912) de Colin Lemoine et Véronique Mattiussi Gallimard collection Arts et Artistes
Riche de 320 lettres, la correspondance entre Auguste Rodin (1840-1917) et Antoine Bourdelle (1861-1929) couvre quelque vingt années. Vingt années de création, vingt années d’amitié qui voient, de 1893 à 1912, les deux artistes échanger autour de l’art et de la vie.
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