L’art de Patrick Lalande fait surgir du bronze et du bois des figures premières, entre mémoire géologique et souffle de création.
Patrick Lalande : sculpter la mémoire originelle du monde
Par la rédaction
Aux sources de la forme
Chez Patrick Lalande, la sculpture n’est pas un geste décoratif : elle est un retour aux origines. Antérieurement à l’être humain, antérieurement au langage, existait la substance – ce vert immaculé, primordial, détaché du feuillage et du sol, appartenant à l’insondable. De cette mémoire originelle, l’artiste fait naître ses figures, comme si le cosmos s’était édifié par couches, par ascensions progressives.
Les sculptures de l’artiste ne se posent pas simplement devant un arrière-plan, elles en émergent, elles sont issues de son propre terreau pictural. Les têtes en bronze qu’il installe semblent surgir de la terre elle-même, tels des embryons d’humanité. Tout juste extraites de la glaise, elles portent dans leur regard purifié une éternité silencieuse. Elles ne profèrent rien, elles sont présentes. Elles jaillissent du bois et du bronze comme des vestiges d’un rêve initial.
Le support n’est pas qu’une base, mais une brèche. Le bois, usé et craquelé, se transforme en blessure; le bronze, lui, s’épanouit à partir de cette meurtrissure, comme une fleur sur le flanc d’un cri. Chaque œuvre donne l’impression de jaillir d’une nécessité intérieure plutôt que d’une intention délibérée. Le geste de l’artiste ne force pas une forme, il libère ce qui est en sommeil.
Les visages se distinguent subtilement. Certains semblent las d’ouvrir les yeux, d’autres hurlent, la bouche déformée par la pression du monde. Une colonne d’âme percée de sept orifices interpelle le spectateur : sept jours de création, sept portes, sept inspirations ? Rien n’est statique, tout palpite. Ce sont les masques de la genèse, des figures pressentant déjà l’être humain, encore immergées dans l’obscurité du chaos mais traversées d’une lueur fragile.
En regardant ses sculptures, on a l’impression d’assister à une scène primordiale. Le monticule strié, tel un autel, accueille des têtes dressées comme des prophéties. Rien n’est artificiel : tout est là parce que cela doit l’être. Certaines créations semblent des totems survivants d’un naufrage, d’autres tiennent en équilibre sur des tiges délicates, comme si l’univers reposait sur un brin d’herbe. Pourtant, toutes résistent, vibrent d’un désir tenace d’exister.
Patrick Lalande ne façonne pas pour offrir des solutions, mais pour soulever des questions. Ses œuvres sont des interrogations incarnées, à la fois majestueuses et vulnérables, ouvertes comme une faille.
L’artiste nous rappelle avec force que la création n’est pas un aboutissement figé, mais un acte continu. Elle se manifeste chaque jour, dans les gestes de ceux qui façonnent sans tout saisir, laissant la matière s’exprimer d’elle-même. Le bronze brut posé sur un bois brut se transforme alors en une respiration, un souffle du monde.
Patrick Lalande ne crée pas au sens classique du terme : il est à l’écoute. Il écoute la fêlure, le chaos, la nature originelle. Et de cette fissure naît la forme, non pas pour affirmer « voici le monde », mais pour questionner : l’entends-tu ?
Ses sculptures exigent le silence. Elles invitent à s’arrêter, à patienter, à se laisser pénétrer par la mémoire d’avant la mémoire. Dans ce tête-à-tête, quelque chose en nous se reconstitue, non pas à l’image d’une divinité, mais à la ressemblance du mystère.