Théâtre

« Écrire sa vie » de Virginia Woolf

« Écrire sa vie » de Virginia Woolf par Pauline Bayle au Théâtre Public de Montreuil

Par Djalila Dechache

"Écrire sa vie" de Virginia Woolf

Écrire sa vie, création adaptation et mise en scène de Pauline Bayle, d’après l’œuvre de Virginia Woolf, Théâtre Public de Montreuil du 26 septembre au 21 octobre 2023.

Il n’y a pas si longtemps en France, il y avait des Centres Dramatiques Nationaux dédiés à l‘enfance et à la jeunesse. Celui de Montreuil en faisait partie. Jusqu’à l‘année 1999, il n’était pas facile de créer et de programmer des spectacles pour les Jeunes, il y avait comme un manque, un évitement, une absence de prise en compte d’un public méconnu à conquérir au moins sur le temps scolaire.

Aujourd’hui tout a changé, tout le monde, tous les lieux créent pour ce public jugé difficile, en abordant des thèmes diversifiés.

Depuis l’arrivée en janvier 2022 de Pauline Bayle aux commandes de ce lieu, une énergie nouvelle est palpable. En m’y rendant l’autre soir j‘ai pu mesurer le changement dès son parvis devenu terrasse ensoleillée en ce jour de fête où plusieurs stands sur la place proposaient une multitude de choses.

Avec un titre si parlant, d’après l’œuvre de Virginia Woolf créé à Béthune la saison passée, joué au Festival d’Avignon le spectacle est à l‘affiche à Montreuil.

Dès l’entrée en salle, le public est accueilli par les comédiens, une salle en bi-frontal à la jolie lumière, parterre de graviers blancs, au centre une table avec ce qui pourrait être un repas de famille en préparation.

Ils sont six comédiens bondissants, flamboyants, prêts à tout pour vivre, quatre filles et deux garçons plutôt maussades qui attendent un certain Jacob engagé à la guerre, attendu comme l’enfant prodige. Il est parti comme d’autres partent en mission et… il ne reviendra pas. Ce petit groupe provient de différents milieux sociaux, a du vécu en commun, a grandi ensemble et a des rêves aussi. L’absence de Jacob est l‘occasion de réminiscences, de secrets dévoilés, d’aveux et de fragilités des unes et des autres.

Nous les suivons jusqu’au plongeon vers l’âge adulte orchestré en chorégraphie joyeuse ritualisée où les rêves se sont évanouis, les idéaux et les croyances volatilisés…

Il n’y a plus rien s’il n ‘y a pas de futur ! semble être le message de ce spectacle, le futur est porté par la jeunesse et si cette dernière n ‘en a pas, il n ‘y en aura pas…

C’est bien ce qui se passe lorsqu’une guerre achevée ou à venir, elle produit les mêmes effets. Bien sûr nous pensons aux résonances de la première guerre mondiale dans l’œuvre de Virginia Woolf avec l’actualité de la guerre en Ukraine aujourd’hui, investie par une comédienne plus âgée que les autres, plus blonde que les autres, avec un léger accent français par rapport aux autres…La France, l’Europe et plus encore est en guerre, une guerre diffuse, une guerre qui dure, une guerre qui ressemble à « la société du spectacle » repoussée aux portes frontalières mais pas aux portes de notre quotidien que nous ressentons chaque jour comme une menace et comme une détérioration quotidienne. Sans parler du contexte international qui gronde vers une autre guerre, celle du Moyen-Orient.

C’est cela Virginia Woolf, une autrice remarquable qui fait réfléchir son lectorat, qui va plus loin par sa démarche novatrice.

C’est cela une grande metteure en scène Pauline Bayle qui a décelé la modernité de l’autrice et qui propose avec brio un spectacle de mouvements et de réflexions.

C’est cela un grand spectacle qui relève de l’expérience du sensible, de la métamorphose, de l’advenir.

On l’aura compris, ce spectacle s’adresse à tous ceux qui ont à écrire leur vie ou qui sont en train de le faire ou encore de le refaire.

Le verbe est puissant, un sens de la formule percutant, des mots comme entendus du plus fond de soi, incarnés par des comédiens convaincus.

Où l‘on retrouve la merveilleuse comédienne depuis Odyssée jusqu‘aux Illusions perdues qu’est Charlotte van Berveselès.

La conclusion de cette proposition théâtrale est quasi philosophique : écrire sa vie pour renaître de ses failles, renaitre plus fort, plus conscient plus sûrement « parce que les plus belles histoires commencent toujours par un naufrage ».

L’autre soir, au premier rang un groupe d’adultes non-voyants a assisté à la représentation avec un émoi contenu. Un public diversifié suivait avec une attention quasi spirituelle.

La force, la puissance et la nécessité du théâtre étaient présents au Théâtre Public de Montreuil.

"Écrire sa vie" de Virginia Woolf

Tournée :

Théâtre Public de Montreuil, Centre dramatique national du 26 septembre au 21 octobre

– Le Parvis, Scène nationale Tarbes-Pyrénées les 20 et 21 novembre

– Châteauvallon-Liberté, Scène nationale de Toulon les 8 et 9 décembre

– TCC, Théâtre Châtillon Clamart les 14 et 15 décembre

– Théâtre Dijon Bourgogne, Centre dramatique national du 13 au 16 février 2024

– Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon du 5 au 8 mars 2024.

Djalila Dechache Auteure, chercheure sur l ‘Emir Abdelkader l ‘Algérien, Kateb Yacine et le théâtre arabe.

Crédits photos Simon Gosselin

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