Le poète tunisien Aymen Hacen rend hommage à son ami disparu, Farazdaq Mhiri, à travers un texte intitulé Liberté pour Farazdaq. Écrit comme une oraison poétique, ce poème allume une bougie de mots pour célébrer la mémoire d’un homme libre, resté debout jusqu’à la fin.
Aymen Hacen : “Liberté pour Farazdaq” — Une bougie sous forme de poème
Liberté pour Farazdaq Poème d’Aymen Hacen
Parti le 2 août 2019, Farazdaq Mhiri aurait eu 57 ans le 10 janvier 2023. Nous souhaitons célébrer sa mémoire en soufflant, ne serait-ce qu’à titre posthume, une bougie pour lui. Une bougie sous forme de poème.
Liberté pour Farazdaq
L’ami pendu à l’arbre un olivier sans doute
Cet ami ainsi pendu pourquoi s’est-il pendu
Personne ne le sait tous parlent sans trop savoir
Je ne sais pas non plus je ne parle pas j’entends
Écoute perçois frissonne avec cette voix :
Il faut, il le faut.
J’inventerai une éthique propre à moi,
Je ferai de ma mort un poème avec lequel inaugurer ma vie.[1]
Autant dire je vis avec cette voix pour lui
Lui qui s’est pendu à cet arbre que je crois être
Un olivier afin d’avoir racines pérennes
Et peut-être mourir debout oui être toujours
Debout même mort même enterré après s’être
Pendu même prédestiné à la vengeance
Du Dieu qui Lui hait la liberté la liberté
Malheureux est des enfants de Darem celui qui a marché
Au feu bleu le cou attaché
Si au jour de la résurrection un commandant
Violent doublé d’un conducteur de troupeau al-Farazdaq venait emmener
J’ai peur que si la nudité du tombeau ne me secoure pas
Le tombeau soit en flammes et étroit[2]
Quel mot quel nom quels sentiments : LA LIBERTÉ
Une unique inique dans ton cas branche
d’olivier servant de bras pour soutenir ton poids
De géant oui tu en es un Farazdaq Mhiri
Géant sans gants géant au grand dam des gens
Qui confondent Dieu avec argent Dieu leur agent
Dieu leur petit sergent Dieu leur vil détergent
Qu’il est loin mon pays, qu’il est loin
Parfois au fond de moi se ranime
L’eau verte du canal du Midi
Et la brique rouge des Minimes
Ô mon paîs, ô Toulouse, ô Toulouse
Avec en tête cet air de Nougaro j’appris
Farazdaq ton départ je crus à une mort banale
Inattendue mais banale mais ta mort était
Délibérée comme une hirondelle qui ne vole
Plus et là où elle bat de l’aile sur un arbre
Quel qu’il soit décidé que c’est son printemps enfin
Enfin est-ce bien une mauvaise fin est-ce
Vraiment la fin ou toi entré dans la légende
Des hommes libres oui hommes poèmes en vie
Aymen Hacen
Hammamet, le 5 août 2019.
Le 2 août 2019, Farazdaq Mhiri s’en est allé, laissant derrière lui une empreinte indélébile dans le cœur de ceux qui l’ont connu. Il aurait eu 57 ans le 10 janvier 2023. Pour commémorer sa mémoire, le poète Aymen Hacen lui dédie un texte d’une intensité rare : Liberté pour Farazdaq.
Ce poème, empreint de douleur et d’admiration, évoque la liberté comme ultime souffle, celle qu’aucune contrainte ne peut éteindre. Hacen y tisse des vers d’une beauté grave, où l’image de l’olivier — symbole méditerranéen de résistance et de paix — se fait métaphore de la mort choisie, du retour à la terre, et du courage de rester debout même après la chute.
À travers des vers qui vibrent de fraternité, le poète médite sur la liberté intérieure, sur la dignité de celui qui refuse la soumission. “Je ferai de ma mort un poème avec lequel inaugurer ma vie”, écrit-il, donnant à la disparition de Farazdaq la portée d’un acte poétique, presque mythique.
Hacen signe ici un texte testamentaire, à la fois cri, prière et geste d’amour, où la mort devient le lieu d’une renaissance symbolique. Entre douleur personnelle et engagement moral, ce poème fait résonner les grandes voix de la poésie arabe contemporaine, celles pour qui la parole demeure le dernier refuge de la liberté.

- Il s’agit d’un extrait d’un long poème d’Adonis, paru en 1994, intitulé Alphabet second. Inédit en français. Toutes les traductions de l’arabe sont d’A.H.
- Al-Farazdaq, poète omeyyade, ayant vécu entre 641 et 732. Son vrai nom était Hûmam ben Ghaleb ben Saasaa al-Daremi al-Tamimi, il comptait parmi les notables de Bassora.



