La réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania présente « The Voice of Hind Rajab » – La Voix de Hind Rajab- en compétition au Festival du film de Venise 2025. Un film poignant qui donne corps à la mémoire d’une fillette palestinienne tuée à Gaza, et interroge le pouvoir du cinéma face aux tragédies humaines contemporaines.
Kaouther Ben Hania bouleverse la Mostra de Venise avec « La Voix de Hind Rajab » : quand le cinéma porte la voix d’une enfant dans la nuit du monde
À Venise, une voix résonne au-delà des images
La 81e édition du Festival International du Film de Venise, prévue du 27 août au 9 septembre 2025, se profile une fois de plus comme un événement majeur du cinéma international. Dans un contexte où le 7e art est sans cesse questionné sur ses responsabilités, ses angles morts et sa capacité à conserver la mémoire, la sélection officielle de cette année allie une esthétique audacieuse à une urgence politique.
Parmi les œuvres aspirant au prestigieux Lion d’Or, « La Voix de Hind Rajab » de la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania s’annonce déjà comme un choc émotionnel et éthique. Face à des figures du cinéma comme Guillermo del Toro, Kathryn Bigelow ou encore Park Chan-wook, Ben Hania propose un film d’une simplicité radicale, basé sur un matériau sonore poignant : l’enregistrement réel de l’appel à l’aide d’une enfant de six ans, Hind Rajab, décédée à Gaza en janvier 2024.
Une voix comme ultime souvenir
Ce film, conçu comme une réponse directe à l’intolérable, est né d’un instant suspendu. En pleine promotion de « Four Daughters », nommé aux Oscars 2024, Kaouther Ben Hania découvre cet enregistrement déchirant. « Il y avait quelque chose de saisissant dans l’énergie de ce projet – si immédiat, si vivant », explique-t-elle. Elle délaisse alors tout pour consacrer une année entière à ce seul film.
« La Voix de Hind Rajab » est tourné dans un décor unique, sans images de violence. Le choix de la réalisatrice est clair : rejeter le spectaculaire, se concentrer sur la perception, la peur, le silence, l’attente. La réalité brute de la voix de Hind, seul élément sonore de la tragédie, suffit à bouleverser.
« Parfois, ce qu’on ne voit pas est plus accablant que ce qu’on voit », dit Ben Hania. Une forme de cinéma éthique, où l’image cède la place à l’écoute, et où le dispositif lui-même devient un acte de résistance contre l’oubli collectif.
Un film pour les vivants
Si « La Voix de Hind Rajab » est un hommage à une enfant disparue, c’est aussi un cri pour les survivants. « Je ne peux accepter un monde où un enfant appelle à l’aide et où personne n’intervient », affirme la cinéaste. Le film est à la fois un témoignage, un message commémoratif et une interpellation : que faisons-nous, en tant que société, face aux tragédies dont nous sommes les témoins silencieux ?
La mère de Hind, Wissam Hamadah, témoigne de la douleur, mais aussi de l’espérance contenue dans cette démarche artistique : « Savoir que sa voix résonnera désormais partout dans le monde me donne de la force. »
Que peut le cinéma ?
Face à une guerre qui déshumanise, face à des chiffres qui effacent les identités, le cinéma peut-il encore rendre des visages, des voix, des récits ? Que peut un festival, même prestigieux, face à la brutalité du réel ?
En accueillant ce film en compétition officielle, la Biennale de Venise soulève elle-même une question fondamentale : les festivals doivent-ils rester des lieux de projection du cinéma d’auteur ou se transformer en des espaces d’une conscience politique active ?
Dans « La Voix de Hind Rajab », Kaouther Ben Hania propose un art du deuil et de la mémoire, une œuvre où la forme minimaliste devient intensité maximale. En choisissant de faire entendre plutôt que montrer, elle nous confronte à l’innommable : non pas dans sa violence visuelle, mais dans son absence de bruit.
Résister par l’art
La Voix d’Hind Rajab n’est pas seulement un film sur la guerre. C’est une réflexion sur l’abandon, la peur, l’indifférence. C’est une protestation contre la disparition. Un rappel que chaque voix peut se convertir en un acte de résistance, à condition qu’on l’écoute.
Dans un monde inondé d’images, la voix d’un enfant peut-elle remettre en question les convictions, franchir les barrières, sensibiliser les esprits ? Kaouther Ben Hania semble en être persuadée, et nous offre, avec ce film, un espoir fragile mais essentiel : celui que le cinéma demeure un art vivant, qui se dresse contre l’oubli.
Une mise en scène sobre et un casting précis
Ce long-métrage de 89 minutes a été réalisé entre la Tunisie et la France, dans un environnement unique qui s’accorde à l’intensité dramatique de son histoire. Kaouther Ben Hania, constante dans son style simple et profond, guide une équipe d’acteurs restreinte mais remarquablement talentueuse. On retrouve Amer Hlehel, Clara Khoury, Motaz Malhees et Saja Kilani, des comédiens appréciés pour leur aptitude à communiquer, par le regard et le silence, ce qui dépasse les mots. Cette sélection d’acteurs, issus du monde arabe et de la scène internationale, met en évidence la résonance universelle du récit, entre drame personnel et souvenir commun.